Dossier Design
Les mutations en cours dans les entreprises se répercutent sur le quotidien de leurs agences-conseils. Si la plupart tirent leur épingle du jeu, la tension sur les prix et les délais devient parfois problématique.

«On sent une sortie de crise » assure Cécile Poujade, directrice-conseil associée de Saguez & Partners. « Depuis trois ans, les entreprises ont investi dans les technologies, ont repensé leurs organisations. Elles sont à nouveau prêtes à mettre des moyens dans leur identité et leurs points de vente. » À l'instar de l'agence basée à Saint-Ouen, le marché français du design témoigne d'une activité soutenue, qui n'est pas ralentie par la présidentielle. «Je ne constate pas d'attentisme, le téléphone sonne beaucoup», souligne Christophe Fillâtre, président de Carré Noir (Publicis), qui revendique une croissance «entre 5 et 10%». «L'agence est passée de 25 à 40 personnes en cinq ans», se félicite Jérôme Lhermenier, directeur adjoint de Future Brand Paris (Interpublic).« Je n'ai pas l'impression que le marché soit atone, nous sommes sur trois à quatre compétitions simultanées. »

Le volume de travail va cependant de pair avec une baisse des honoraires, et les designers doivent mettre les bouchées doubles pour couvrir leurs charges. « On est confrontés à des directions des achats qui nous mettent sur le même plan que des fournisseurs de trombones et baissent nos rémunérations de 20 %, alors que nous représentons une prestation intellectuelle qui contribue à la valeur immatérielle des entreprises», déplore Gilles Deléris, directeur de création et cofondateur de W (Havas). Il y a quelques mois, celui-ci a poussé un « coup de gueule » contre les plateformes de freelances, qui proposent des logos à moindre coût (Stratégies du 5octobre 2016). « Ce n'est pas une concurrence en soi, mais cela accrédite l'idée que les métiers à valeur ajoutée créative sont une commodité comme prendre un taxi », poursuit le dirigeant de W. L'ubérisation de l'économie touche aussi le design. « On est face à un manque de respect catastrophique en ce moment, s'inquiète Sylvia Vitale Rotta, présidente de Team créatif. C'est comme si les agences ne payaient pas les salaires, les charges, les loyers. Les acheteurs sont prêts à payer pour de l'espace publicitaire mais ils ne connaissent pas la valeur du branding. »

Démontrer la valeur ajoutée 

Nouvellement élu président de l'ADC (Association Design Conseil), regroupant les principales agences françaises, Luc Speisser, directeur de Landor Paris et Genève, entend mettre en avant des «success stories», les cas pratiques qui prouvent le retour sur investissement du design. «L'enjeu est de démontrer notre valeur ajoutée au-delà du cliché de faiseurs de logos et de packagings. Le design est un dessein avec un "e", pas un dessin avec un "i", l'alliance du cerveau gauche et du cerveau droit, affirme-t-il. Une plateforme de marque n'est pas une plateforme de communication, on ne travaille pas seulement sur les mots et les signes mais aussi sur l'expérience de marque globale, les services, la formation en interne… À quoi sert d'avoir une superbe stratégie sur les réseaux sociaux si les salariés critiquent leur employeur?»

Menacées du côté de la création par le design «low cost», les agences le sont aussi sur le terrain du conseil en stratégie par les cabinets de consultants, qui intègrent de plus en plus des studios de graphisme. «Mais ils restent d'abord sur une logique financière. Je n'ai pas vu de marque forte et durable sortir de ces alliances», juge Luc Speisser.

Pour son prédécesseur à la tête de l'ADC, Frédéric Messian, le président de Lonsdale, «les entreprises vivent des transitions digitales et les agences de design, en tant qu'expertes de la marque, sont bien placées pour les aider à se transformer. La marque cristallise le changement. Lorsque l'on repense un point de vente, tout le monde est autour de la table, les commerciaux, les RH, les IT, le juridique. En revanche, on a de moins en moins de visibilité. Hier, au 1er janvier on pouvait prévoir les trois quarts de l'année. Aujourd'hui, on a une visibilité à trois mois.» En 2016, l'agence qui gère le réseau des boutiques Orange a racheté le spécialiste en architecture commerciale AKDV, dans le but d'atteindre une taille critique pour répondre à ces demandes accélérées des clients.

Mission diversification 

Autre solution pour les agences, se diversifier dans de nouvelles compétences, comme Saguez & Partners, qui mène pour son client Unibail-Rodamco de vastes projets urbains mêlant bureaux, commerces, loisirs. C'est le cas à Saint-Ouen, à proximité du futur siège du conseil régional, ou à Hambourg, dans le quartier d'Übersee. « La crise force tout le monde à se poser les bonnes questions. Après s'être engouffrées dans de grands concepts de flagships qui ne rapportaient rien, les marques reviennent au bon sens : le produit, le service, l'expérience », souligne Cécile Poujade. Finalement, l'époque est riche en opportunités pour les experts du branding. « Les défis auxquels sont confrontés nos clients retombent en pluie fine sur les consultants, qui doivent négocier avec les acheteurs et atteindre des objectifs de rentabilité avec des délais raccourcis » résume Gilles Deléris. « C'est une période unique où l'on voit une révolution numérique s'accomplir et où il faut savoir rebondir très vite. Pendant la révolution, les travaux continuent. »

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