Communication
Stéphane Fouks, vice-président d'Havas Group, président exécutif d'Havas Worldwide et président d'Havas Worldwide France, a donné un long entretien à la revue Le Débat datée du mois de mars. Verbatims.

Le rôle du communicant

 

«Les communicants [...] ont [...] une fonction d’équilibre cruciale, pour les entreprises comme pour les politiques. Il n’est que de constater les errements auxquels a conduit l’absence de professionnels de la communication auprès de François Hollande.»

 

«Aujourd’hui, les entreprises et les politiques qui veulent communiquer se sentent soumis à une double «dictature», celle des médias, qui seraient le seul vecteur légitime pour atteindre le public, et celle de l’opinion, qui imposerait le questionnement, et même la réponse, au travers des sondages et études d’opinion. Notre métier est fondamentalement de contribuer au marketing de l’offre, de soutenir la création d’offres nouvelles et de les aider à rencontrer leur public.»

 

«L’Histoire est pleine d’exemples qui prouvent que l’offre déplace les lignes. Notre métier consiste justement à déplacer les lignes. Il n’y a pas de désir, il n’y a pas d’envie, si vous ne déplacez pas les lignes.»

 

«[Le] talent [du communicant] est d’ajouter un angle qui n’était pas prévu, de proposer un discours qui n’était pas programmé par le client.»

 

Vérités et mensonges

 

«Du côté de l’émetteur, nous permettons à nos clients de reprendre le contrôle de leur communication. Cela gêne certains, qui voudraient imposer leurs diktats de transparence: tout savoir, tout vouloir, tout demander. Je m’élève contre cette tendance: notre métier répond à l’exigence de vérité, pas à celle de transparence.»

 

«[...] Si le fait de tromper l’ennemi peut relever de la stratégie et de la tactique, tromper ses électeurs, ses supporters ou ses clients n’est ni raisonnable ni pertinent. C’est pourtant l’erreur qu’entretiennent nos politiques, qui pensent, après avoir mal lu Machiavel, que le mensonge doit faire partie de leur "boîte à outils".»

 

«Les entreprises ont appris d’expérience qu’elles avaient tout à perdre au mensonge.»

 

«[...] Tout ce que je dis doit être vrai, mais cela ne m’oblige pas à dire tout ce qui est vrai.»

 

L'image des communicants

 

«Les communicants ne sont pas exempts de responsabilité dans la mauvaise image de leur profession. Ils n’en ont pas fait suffisamment la pédagogie. Ils ont laissé s’installer des mythes, quand ils ne les ont pas cultivés avec complaisance. Certains ont pu se sentir flattés d’être présentés comme tout-puissants. Mais, globalement, je trouve qu’ils ont plutôt péché par défaut que par excès.»

 

Communication politique

 

«En France, on commet l’erreur de vouloir séparer le fond et la forme. C’est particulièrement vrai dans la communication politique. Il y aurait une matière noble, qui serait le fond – le programme, le discours – et puis une matière impure, la mise en forme. C’est une méprise d’autant plus tragique qu’elle conduit à négliger l’importance de l’image comme élément signifiant dans nos sociétés. L’obsolescence du politique tient en grande partie à son incapacité à produire de l’image.»

 

«Faute d’anticiper ce que l’on veut montrer du politique, on laisse un président discourir sous la pluie, ou on laisse les portes ouvertes pendant une conférence de presse à l’Élysée, ce qui conduit les téléspectateurs à n’être attentifs qu’à ce qui se passe derrière l’orateur. Voilà où conduit l’absence de réflexion sur la communication.»

 

«Nous vivons dans une société où chacun, individuellement, prend beaucoup de décisions irrationnelles. C’est même le fondement de la plupart des actes d’achat. Si nous ne devions poursuivre que la satisfaction de nos vrais besoins, nos vies, et la société, seraient aussi uniformes que vides. Il en va de même en politique. L’acte de vote est par nature irrationnel, puisque c’est un pari sur le futur.»

 

«[...] Fondamentalement, le choix final échappe à la rationalité. C’est par là qu’il entre dans le champ de la communication, dont l’objet est précisément de susciter le désir en respectant la vérité.»

 

«Certains politiques ont voulu faire du refus de la communication une preuve de leur honnêteté intellectuelle, alors que ce n’était en réalité qu’une preuve de leur soumission au monde des sondeurs et des médias.»

 

«Les électeurs n’achètent pas le passé, qu’ils ont déjà consommé, ils se projettent vers l’avenir. Or, aucun sondage ne reflète cette projection vers l’avenir.»

 

«Nous ne sommes plus à l’époque où Jacques Pilhan pouvait prévoir une séquence commençant sur Europe 1 le matin, passant par Le Monde l’après-midi et s’achevant sur TF 1 le soir. Aujourd’hui, tout est immédiat et simultané.»

 

«La politique continue de fonctionner comme si les partis en constituaient encore l’élément central, alors qu’ils ont renoncé à leur pouvoir premier, qui était de choisir les candidats.»

 

Data et communication

 

«La chance est que l’on connaît mieux le consommateur. Beaucoup d’entreprises pensent que c’est une occasion de pouvoir s’adresser de manière fine et précise aux consommateurs intéressés par leurs produits. Mais il faut bien voir qu’on limite alors l’audience de l’entreprise, puisqu’elle ne communique plus qu’avec ses consommateurs et qu’en ne conversant plus qu’avec les gens proches d’elle, elle se ghettoïse, en quelque sorte. On voit ainsi des produits disparaître du marché général pour n’exister qu’auprès de publics particuliers. Les big data sont bien adaptés à de petits produits, et de petits marchés, pas aux produits qui visent un large public [...].»

 

«[...] Je continue à penser que dans nos métiers l’offre, c’est-à-dire la création, va durablement dominer la demande, c’est à-dire les mathématiques. On n’arrive pas encore – et c’est heureux – à créer des émotions à partir d’une équation..»

 

«Les limites des big data, ce sont les aléas de la vie. C’est aussi la part irrationnelle qui, en chacun de nous, résiste à la mathématisation.»

 

Influence

 

«Je suis partisan de l’obligation pour chacun de déclarer officiellement ce qu’il fait et pour qui il travaille. C’est la meilleure manière de mettre fin aux pratiques malhonnêtes. Mais je revendique mon opposition à ce diktat de la pureté qui voudrait que l’administration, les politiques et les entreprises s’ignorent pour ne pas se contaminer.»

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