CORPORATE
La pression des services achats et l'élévation du niveau d'exigence ont un fort impact sur la relation agences-annonceurs. Pour y pallier, les premières tentent de construire des liens plus étroits avec les directions de la communication.

Il y a du mieux. «Le nombre de compétitions qui servent à justifier un choix déjà arrêté diminue», affirme Thomas Marko, fondateur de Thomas Marko & Associés. Une légère amélioration qui ne doit pas dissimuler l’ampleur de l’effort qui reste à accomplir: «Il faut limiter le nombre d’agences consultées, car cette inflation met en péril leur modèle économique, avoir plus de transparence et mettre un terme à la suspicion. Certains annonceurs font signer des obligations de confidentialité parfois valables durant dix ans! Comment avoir une relation de confiance dans de telles conditions?» Un appel qui n'est pas toujours entendu, comme le démontre le cas récent de BPI France, qui a suscité une vive réaction de la profession, l'AACC s'étant même fendue d'une lettre ouverte sur le sujet.

Mais les agences peuvent faire bouger les choses, estime de son côté Romain Hamard, cofondateur de We are com, un collectif de communicants corporate: «Elles doivent davantage faire connaître leurs réalisations pour donner envie aux annonceurs de les rencontrer, et éviter les intermédiaires. Elles doivent miser sur la proactivité.»

Alliances rationnelles

Le versant rémunération est confronté lui aussi à un contexte difficile. Le facteur culturel reste prégnant, assure Sabrina Schmalstieg, responsable communication et services client du site Badakan et cofondatrice de We are com: «Il reste difficile d’acheter une idée, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. On achète une bannière web plus facilement qu’un concept de campagne.» En parallèle, la pression à la baisse est toujours de mise, déplore Bruno Scaramuzzino, PDG de Meanings: «Les services achats pèsent lourdement sur la dégradation de nos rentabilités, mais aussi, et c’est plus grave, sur les cahiers des charges et les objectifs des directions de la communication. Toutes les négociations invitent à revisiter les tarifs voire les prestations.»

Pour contrecarrer ce mouvement, Thomas Marko mise sur une relation forte avec les plus hauts dirigeants. Une approche d’autant plus vitale qu’elle enclenche un cercle vertueux: «Il faut travailler avec les interlocuteurs de niveau élevé pour avoir la meilleure rémunération et pouvoir recruter les profils les plus pointus, ceux qui intéresseront ces interlocuteurs de niveau élevé…» Une approche que Meanings a aussi adopté en construisant des «alliances objectives et rationnelles» avec les directions de la communication. «Nous sommes comme des alliés, explique Bruno Scaramuzzino. Un mode de fonctionnement qui peut aller jusqu’à accompagner une véritable stratégie de “personal branding” ou de “personal advocacy” pour les clients les plus proches.»

Fabrice Conrad, directeur général d'Havas Paris et président de la délégation corporate de l’AACC, appelle pour sa part à un changement plus profond: «Il faut sortir d'une dynamique où seuls les livrables se voient accorder de la valeur. Les agences doivent continuer de se battre pour défendre la valeur des idées, de la stratégie et de la création, mais aussi transformer leurs organisations afin de produire simultanément des campagnes ambitieuses et des dispositifs beaucoup plus agiles.» 

Diversification et contrastes du recrutement

La mesure de la performance offre, quant à elle, un paysage plus apaisé, indique Nathalie Bernard, directrice générale d'Hopscotch: «Nous définissons les critères de succès avec nos clients dès le début de la collaboration. Ils peuvent différer selon les attendus spécifiques de la mission, mais nous utilisons a minima trois critères d’évaluation: la visibilité, la tonalité de cette visibilité et l’impact pour le client.» Hopscotch accepte par ailleurs une part variable dans la rémunération à partir de la deuxième année de collaboration. Pour Romain Hamard, de Wa are com, les agences ont une carte à jouer auprès des clients: «Il reste à mieux connecter les reporting quanti et quali, mais nous sommes toujours emportés par le quotidien. C’est là que les agences peuvent être très utiles.»

Consciente de la difficulté, la délégation corporate de l’AACC s’est penché sur la question de concert avec Entreprises & Médias, l'association des directeurs de la communication: «Il faut aboutir à une vision partagée, estime Fabrice Conrad. C'est un préalable pour arriver à fixer, en amont des projets, la nature des critères à atteindre et leur mode de mesure.»La montée globale des exigences rejaillit aussi sur le recrutement. Hopscotch embauche ainsi, depuis 2011, d’anciens membres de cabinets ministériels. «Ils ont une capacité à questionner le brief, sont proactifs, force de proposition, réfléchissent bien et produisent rapidement», estime Nathalie Bernard. Une diversification du recrutement qui s’accompagne d’une fertilisation croisée des expertises, ajoute Cécile Granat, directrice générale adjointe de l'agence: «Un consultant habitué à travailler sur des sujets “consumer” peut être pertinent en corporate. Multiplier les expériences et se confronter à différents modes de management fait grandir les équipes.»Cependant, Bruno Scaramuzzino relève pour sa part un manque d’humilité parmi la soixantaine de CV que Meanings reçoit quotidiennement: «À 26 ou 27 ans, ils se revendiquent “senior”… Une plaisanterie qui s’accompagne d’une dégradation de l’idée de faire, versus l’idée de penser. On retrouve dans nos univers le syndrome du “Sciences Po de base”: bonne analyse et “so what”? Où est le point de vue? Que devrions-nous faire? Il est plus que jamais nécessaire de réhabiliter deux choses: le faire et l’expérience du faire.»

Des collaborateurs toujours plus nomades

Les 25-35 ans sont différents, constate Bruno Scaramuzzino, le PDG de Meanings: «Les former devient souvent un investissement à perte.» Pourquoi? «Leur nomadisme naturel, leur peu d’attachement à l’agence et le peu de cas qu’ils accordent à la notion de carrière», précise le publicitaire. Autant de facteurs incitant à une révision majeure du mode de fonctionnement des agences: «Aujourd’hui, celles-ci sont vouées à être traversées par des collaborateurs de passage. Il convient de reconsidérer nos “business models” pour faire de cet état de fait une force, et non plus une faiblesse. On managera de moins en moins par l’enseigne et de plus en plus par le projet.»

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