Media training
Après avoir coaché durant la présidentielle les porte-paroles d’Emmanuel Macron, l’ex-animateur de TF1 Laurent Fontaine a conseillé plusieurs candidats aux législatives. L'ancien présentateur vedette explique ses choix et raconte la manière dont s’est déroulée la dernière campagne.

Comment a débuté votre collaboration avec En marche?
Laurent Fontaine. J’ai commencé ma carrière en politique avant d’entrer à la télé, j’étais membre du PS à 16 ans, assistant parlementaire de 1984 à 1986 puis chef du service de presse du ministère des PTT, dirigé par Paul Quilès. L'an dernier, j'ai créé ma société de communication Bytheway avec Valérie Douillet. Nous faisons beaucoup de media training et de coaching. Lorsqu’En marche a été créé, j’ai adhéré au mouvement presque immédiatement. Je connaissais mal Emmanuel Macron comme beaucoup, mais j’ai été emballé par la puissance de l'homme politique. Au départ, on était 5000 et personne n’y croyait. Au bout de six mois, vers octobre-novembre 2016, j’ai commencé à conseiller assez régulièrement Benjamin Griveaux, Christophe Castaner, Richard Ferrand et Corinne Erhel avant leur interventions télévisées.
 
Pour la plupart, ce sont des novices par rapport aux médias. Quels ont été vos premiers conseils?
L.F. Le plus important était de sortir des sentiers battus des interventions politiques que l’on a l’habitude de voir. Cela commence par bien connaître son dossier. Il faut être compétent sur le sujet et ne pas se comporter en roquet agressif comme l’ont fait le Front national ou encore certains fillonistes. Il ne faut surtout pas casser son adversaire. Le débat Macron-Le Pen a parfaitement illustré cette opposition. On avait quelqu’un qui passait son temps soit à mentir soit à parler de la banque Rothschild, avec tous les sous-entendus nauséabonds. Le défi est de ne pas y répondre pour ne pas rentrer dans le jeu de l'adversaire et finir par lui ressembler. Lors des séances de media training, certains avaient plus de mal que d’autres à répondre aux attaques que je leur lançais en jouant l’opposant. Il faut savoir faire face à cette violence verbale. Sur les plateaux télé, on est souvent face à des interlocuteurs qui donnent un chiffre qui n’est pas forcément le bon et qu’on n'a pas les moyens de vérifier en direct.


Quelle intervention télévisée fut la plus compliquée à préparer, celle qui vous a le plus marqué?

L.F. Au départ, on a commencé en préparant les porte-paroles sur des modules courts ou moyens comme ceux des plateaux BFM et des autres chaînes info. Mais très vite, les interventions se sont multipliées. Il ne se passait pas deux jours sans que Christophe Castaner intervienne à la télévision. À la création d’En marche, les premières apparitions étaient décisives. Macron était présenté comme le candidat marketing, il fallait prouver le contraire avec pédagogie. Benjamin Griveaux, par exemple, n’est pas politicien mais il parle clairement et connaît très bien les sujets dont il parle.

Les Français en ont assez des effets de manche des politiques, je pense qu’ils veulent un peu plus de compétence et de dignité. L’équipe Macron a réussi à ringardiser ses opposants politiques grâce à ça. Lorsque vous êtes face à Castaner par exemple, le ton est complétement différent que celui employé par Alexis Corbière, le porte-parole de Mélenchon, ou du vice-président du Front national, Florian Philippot, qui sont dans un mode pitbull agressif. Et c’est ce qui les a depassé lors de cette campagne. Parce que vous avez beau être un aboyeur, balancer cinq fake news ou trois mauvais chiffres, si vous avez quelqu’un en face qui connait bien son dossier, vous vous sentez déstabilisé. C’est sur ça que s'est jouée la campagne.

 

Concrètement, quelle était votre stratégie face aux fake news?
L.F. Les fake news ont été un sujet récurrent pendant cette campagne, surtout avec l’émergence des sites russes comme Channel One Russia ou Sputnik. D'ailleurs, chaque semaine, les équipes d’Emmanuel Macron avaient une liste de nouvelles fake news qu’elles s’attendaient à voir paraître. Tout était étudié en amont. Une préparation à l’image de celle dont a fait preuve Macron face aux rumeurs avec Mathieu Gallet. Avant même que la news ne sorte officiellement, il est allé de son propre chef expliquer la machination et n’a pas attendu que l’information prenne des proportions démesurées. En politique, il n’y a pas pire que d'être traité de menteur. Il vaut mieux donc dire la vérité, en reconnaissant par exemple ne pas connaître le dossier.
 
Communique-t-on de la même façon sur You Tube et sur une chaîne de télévision?
L.F. Les moyens d’internet sont réduits. Sur la toile, une seule caméra suffit. Le plan est souvent fixe et il n’y a pas de plan de coupe. C’est surtout une cible complétement différente de celle du plateau télé où il y a plein de notions assez nouvelles à gérer, comme la lumière, le son et la manière de se tenir. On doit faire très attention à son langage corporel parce qu’on passe des images de coupe des réactions, on doit être concentré comme dans un ring de boxe. Le stress est plus intense, comme dans un spectacle. Vous êtes face à des adversaires et en même temps il ne faut pas oublier qu’on s’adresse à un public, donc les regards caméra sont nécessaires.

 

Aujourd'hui, diriez-vous que vos conseils sont toujours suivis?
L.F. J'espère. Durant cette campagne, il y a eu très peu d’erreurs et aucune sortie de route. Nous avons beaucoup débattu pour savoir s'il fallait montrer les dents ou pas. Mais je reste convaincu qu’il faut être modéré dans ses propos. Je suis persuadé que l’on travaille plus efficacement au sein d’En marche. Nous avons adopté de nouvelles méthodologies de travail et nous employons mieux notre temps, comparé aux autres partis politiques. Évidemment, cela changera peut-être, parce que l’expérience, les vieilles habitudes et les enjeux personnels parasitent souvent les politiques. Mais comme on a pu le voir dans le reportage de TF1, l’équipe est dynamique, soudée, très compétente et surdiplômée. À l'exemple de Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique qui connait parfaitement les enjeux. Les premiers pas de Macron ont bien prouvé qu’il voulait prendre ses distances avec le cirque médiatique et il me l’a dit. Les débuts veulent dire beaucoup de choses. Souvenez-vous de ceux de Sarkozy ou Hollande. Ils avaient besoin de commenter tout ce qui se passait dans les médias. À l'heure du conspirationnisme et des fake news, il faut être vigilant.

 

Après la période électorale, allez-vous continuer à coacher l’équipe d’En marche?
L.F. Désormais, le parti est un peu orphelin d’un leader, le patron étant devenu président. J’étais au QG hier [le 23 mai], les équipes sont réduites. Une bonne partie des gens sont allés dans les ministères et à l’Élysée. Il y a moins d’énergie et il faut reconstruire le parti. Qu’est-ce qu’on fait de ce quart de million de personnes qui ont adhéré et qui ont envie de faire de la politique autrement? Macron s’est retiré des médias, il est devenu plus jupitérien. Il a la volonté de se faire plus rare. Il renoue avec la communication politique de Francois Mitterand des années 80: prendre de la hauteur et ne pas avoir un avis sur tout. Avec Sarkozy, c’était un fait divers-une loi. Macron a besoin de temps pour travailler et pour réfléchir.

Parmi les candidats aux législatives que vous avez coaché, lesquels vous ont le plus marqué?
L.F. Indéniablement, Marie Lebec! La plus jeune candidate REM en Île-de-France. Elle a 26 ans et elle incarne cette nouvelle génération à qui Emmanuel Macron a redonné confiance. C’est une jeune femme compétente et qui vient de la société civile. Vous rajoutez l’honnêteté et l’envie de faire bouger les choses, et vous avez le parfait CV pour être l’élue-type de cet état esprit de renouvellement des personnes et des pratiques. Je fais le pari que dans cinq ans, nous découvrirons que l'expérience professionnelle de ces novices et leurs réelles compétences auront apporté énormément au travail parlementaire. Pour ce qui est de la maîtrise des médias, ils se mettront au boulot et ils apprendront au fur et à mesure…

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