Création
Le 64e Festival international de la créativité s'est clôturé le 24 juin sur un palmarès aux accents très citoyens, où les Français ont particulièrement brillé en dépassant le record de 2014 avec 88 Lions à leur actif. Mais pas de Grand Prix français cette année (du moins officiel).

«Se concentrer sur les grandes marques et être intraitables avec les campagnes caritatives.» L’injonction lancée l’an dernier par Rob Reilly, global creative chairman de McCann Worldgroup et alors président du jury Promo & Activation, avait marqué les esprits et semblait avoir recadré le marché vers une plus grande exigence créative pour les «vraies» marques, celles qui font vivre le secteur. Un an plus tard, chassez le naturel… Pour cette 64e édition du Festival international de la créativité, les campagnes caritatives se sont glissées dans le palmarès et la vague d’engagement sociétal des marques s’est confirmée par une véritable OPA sur la Croisette. Les campagnes «commerciales», telle «Google Home of the Whopper» (David Miami) de Burger King, seraient presque l’exception (Grand Prix Direct).

Un Grand Prix presque français

Sur les 23 Grands Prix décernés dans les 22 catégories en lice, deux sont des campagnes d'intérêt général: «Meet Graham» de Clemenger BBDO Melbourne pour la Transport Accident Commission de l'Etat de Victoria en Australie (co-Grand Prix Cyber) et «The Humanium Metal Initiative» des agences Akeltam Holst et Great Works pour l'association IM Swedish Development Partner, engagée dans une opération originale de recyclage des armes illégales (Grand Prix Innovation). Trois autres sont issues du monde de l'art, tel le clip «The Blaze Territory» d'Iconoclast pour le groupe The Blaze (Grand Prix Film Craft). A noter, pour cette création, que la France avait là l'occasion d'emporter le Grand Prix qui lui manque cette année… Las! Iconoclast a inscrit ce dossier au nom de sa filiale américaine. Un choix très peu «business» que revendique Pierre Dupaquier, directeur de création chez We are from L.A., réalisateur chez Iconoclast et membre du jury Film Craft: «Un clip a tout à fait sa place dans cette catégorie, c'est un peu le concept-car de la pub, cela encourage de nouvelles écritures et la mutation de notre métier.»

Sur l'ensemble du palmarès, pas moins de quinze Grands Prix s'inscrivent dans une démarche sociétale. «Fearless Girl», action très médiatisée en faveur de la parité homme-femme imaginée par McCann New York pour le cabinet-conseil en investissement State Street Global Partners, a créé l'événement en raflant trois distinctions suprêmes en PR, Glass et Titanium. Les autres exemples de campagnes citoyennes récompensées se distinguent par leur diversité et leur originalité, de «The Unusual Football» du promoteur AP Thailand, qui investit des zones urbaines délaissées en terrains de foot improbables (Design) à «Care counts» de Digitas LBI Chicago pour Whirlpool, projet consistant à installer des machines à laver dans les écoles pour évaluer l’impact de la propreté sur la diminution du taux d’absentéisme en classe (Creative Data), en passant par «Payphone Bank» de Grey Bogota pour l'opérateur télécoms colombien Tigo-Une, qui a transformé 13 000 vieilles cabines téléphoniques en mini-caisses d'épargne pour les personnes pauvres (Product Design). 

Un tableau très caritatif

Le marché français n'échappe évidemment pas à cette vague. Malgré les réticences exprimées par la plupart des directeurs de création sur ces campagnes faites uniquement pour «choper du Lion à Cannes», sur la trentaine de campagnes françaises primées, un tiers sont finalement liées de près ou de loin à une grande cause ou un intérêt général. Preuve en est ce nom que les festivaliers ont eu sur le bout des lèvres toute la semaine: Louise Delage, jeune fille créée de toutes pièces par BETC pour le Fonds actions addictions, perpétuellement accompagnée d’un verre de rosé ou d’une coupe de champagne sur son compte Instagram. Une opération social media réussie (19 Lions à elle seule) visant à sensibiliser sur l’alcoolisme chez les jeunes, qui a contribué en partie à battre le record de Lions français remportés de 2014 (88 vs 87).

Sensibilisation d'intérêt général aussi du côté de Publicis Conseil avec ses visuels pour Innocence en danger. Idem avec Serviceplan et son opération «Virtual Crash Billboard» pour la Sécurité routière, pour McCann et son faux site internet «Girls of Paradise» (Mouvement du nid) avec des prostituées assassinées, ou encore Fred&Farid Paris qui donne la parole aux réfugiés dans les pages de Libération, tandis que Buzzman s’intéresse à l’abandon des animaux de compagnie avec la Fondation 30 millions d’amis et aux femmes battues avec «Je ne supporte pas les bleus» pour Elle’s imagine’nt.

Seul film français primé d’un Gold, «Halloween», le film documentaire de TBWA Paris pour Burns&Smiles, complète ce tableau très caritatif en suivant un grand brûlé le soir d’Halloween. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, Herezie s’est fait une place dans le palmarès avec «Sounds of trauma» pour la Fondation David Lynch, sur le thème des soldats victimes de stress post-traumatique.

Retour tonitruant des distributeurs

Pour autant, toutes sont indiscutablement de belles campagnes. Mais on en oublierait que la publicité, ce sont aussi des produits, des services, du commerce… Sans compter que l'éventualité de «ghosts» planent toujours sur ce genre de campagnes. Si celle de DDB Paris pour Play Doh a été largement diffusée (quotidiens nationaux, Abribus, digital), contrairement aux rumeurs qui couraient sur la Croisette, en revanche, la détentrice du Gold en Print & Publishing, «Endless Debate» (Publicis Conseil pour Renault Zoe), a fait une apparition éclair dans Libération et dans la station de métro parisienne Havre-Caumartin. Mieux que rien, comme dirait l’autre?

Heureusement, certains sauvent l’honneur, à commencer par les distributeurs, qui ont fait un retour tonitruant avec une pluie de Lions pour Castorama et son «Papier plein d’histoires» (qui est effectivement commercialisé), deuxième campagne française la plus primée, un Gold pour Rosapark et son histoire d’amour chez Monoprix, cinq Lions pour la romance d’Intermarché, quatre pour «Apartment Stores» de Delamaison (Publicis Conseil Nurun) et un Silver pour Leroy Merlin et «L’Aventure d’une vie» (BETC). De beaux exemples… à suivre!

Rébellion à Cannes

Ces dernières années, les critiques sur la «cash machine» des Cannes Lions n'ont cessé d'enfler. Mais lors de cette 64e édition, la bronca des publicitaires a pris un tout autre tour. L'omniprésence des géants du web bénéficiant des retombées de la manifestation quasi-exclusivement financée par les agences n'y est pas non plus étrangère. Ainsi, la décision d'Arthur Sadoun, tout nouveau président de Publicis Groupe, de suspendre pour un an toute participation de ses réseaux aux compétitions créatives, et donc à Cannes, afin de financer sa nouvelle plateforme interne Marcel, a fait l'effet d'une bombe sur la Croisette…, mais aussi en interne, notamment parmi les créatifs. Martin Sorrell, CEO de WPP, numéro un mondial du secteur, qui a divisé par deux le nombre de ses salariés présents cette année à Cannes et sévèrement réduit les dossiers de ses réseaux déposés en compétition, ne s'est pas privé pour sa part de critiquer les dérives de l'événement. Face à ce tir de barrage, Ascential, l'actionnaire du festival, s'est empressé d'annoncer la création d'un comité consultatif, composé notamment d'annonceurs et d'agences pour mieux «répondre aux besoins de la profession». Un pitch qui s'annonce difficile…

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