Verbatims
Quel est le rapport des professionnels d’agence au papier ? Ont-ils un crayon, un carnet fétiches ou sont-ils complètement digitalisés ? Quatre directeurs de création dévoilent leurs secrets professionnels.

Jean-François Sacco, cofondateur et directeur de création de Rosapark

« J'écris beaucoup à la main, pour briefer les créatifs, j'utilise un stylo et un papier. J'ai un carnet que je perds tout le temps, des feuilles A4 que je perds aussi, ça finit sur un Post-it. C'est par le dessin que je m'exprime le mieux. On parle beaucoup de bureau sans papier mais ce n'est pas mon cas. On n’écrit pas la même chose sur du papier et sur du digital. À partir du moment où des mots sont imprimés, ils prennent un sens différent. Personnellement, j’ai du mal à lire un livre digitalisé. Le rapport physique au papier, le fait de tourner les pages, de pouvoir le ranger dans sa poche, fait partie du plaisir de lecture.Chez Rosapark, nous voulions rendre hommage au quartier dans lequel nous sommes installés depuis cinq ans, le Village Paul Bert dans le 11e arrondissement de Paris. Nous l’avons fait sous forme de livre avec les éditions du Chêne. C’est une façon de prendre le contre-pied de cette ère digitale avec une mise en page, des photos, un papier noble, tout un “craft” qui correspond à ce quartier de restaurants, de commerces de bouche et d’artisans du meuble. En parallèle, nous avons publié des photos sur Instagram, mais nous tenions à avoir un objet que les commerçants peuvent vendre et qui est aussi distribué en librairie. C’est comme une campagne créative pour l’agence, mais autour d’un quartier et dans une forme qui a du sens. »

 

Igor Doan, directeur de création de Because

« On ressent un renouveau pour le papier, comme un retour au vintage, de la part de nos clients qui veulent des produits d’exception, mais aussi de nos collaborateurs en interne qui ont grandi avec le digital. Étonnamment, on passe souvent par le print pour faire du digital. Pour le motion design par exemple, on commence par dessiner des storyboards sur papier pour scénariser l’animation. Même chose pour la mode du sketchnoting, cette méthode de data visualisation où l’on se filme en train de dessiner. Ce type de vidéo est très répandu dans les intranets. Mais inversement, le digital influe sur le print, avec des formats plus petits, plus modulaires, des textes plus courts. Sur le fait de dessiner ou non sur papier, c’est plus culturel que générationnel, tout dépend de l’école qui a formé les directeurs artistiques. En revanche, il faut parfois justifier aux clients certains postes de dépense comme la gravure. On leur explique qu’avec le développement des photos sur smartphone la qualité a baissé, il faut passer plus de temps sur les retouches. »

 

Mathieu Chévara, directeur de création d'Atelier Marge Design, cofondateur des éditions Le Contrepoint

« Je travaille toujours avec les mêmes outils, un carnet Moleskine, un Bic cristal, un feutre Paper Mate noir. Comme les gens qui pensent tout haut, je dessine tout haut : parfois, c’est une idée que j’essaie de formaliser, parfois, c’est la forme qui mène à une idée. C’est un échange avec le client, on découvre sa problématique, on reformule ses questions, on se projette dans une matérialité. Par exemple, pour la conception de la revue Nez qui était l’émanation d’un blog sur le parfum, je me suis rendu compte que le N et le Z avaient pratiquement la même forme, cela a fait émerger une identité et par extension une têtière, une iconographie… On a fait pratiquement la couverture sous les yeux du client, cela l’a rassuré de voir son concept formalisé en direct. Je pourrais faire la même chose sur iPad et l’envoyer par e-mail, mais la dimension tactile du papier par rapport à l’écran n’a rien à voir. Et puis il faut de la batterie, il y a des risques de plantage, alors que mes carnets Moleskine sont toujours à ma disposition. Je les consulte, ils me permettent de documenter le processus de création. La montée en puissance du numérique a éliminé tous les supports de communication qui peuvent se passer de la matérialité. Il est plus simple de remplir un formulaire web que sur papier. En conséquence, la communication qui reste sur papier a gagné en prestige et en exception. Elle est plus rare mais plus spécifique. »

 

Cyril Cabry, directeur de création chez MullenLowe Paris

« Je n'utilise pas de carnet à dessin mais je reste attaché aux références print. Je travaille sur un Macbook dont le format est proche de celui d'un livre ouvert. J'utilise des gabarits et des grilles typographiques qui sont hérités de l’imprimé. Je fais beaucoup de recherches de mise en page et d'identités visuelles sur InDesign et Illustrator avant de décliner ce qui me convient : c'est comme remplir les pages d'un carnet à dessin. Je remarque en ce moment un retour à la photo argentique avec des books de jeunes photographes imprimés sur papier. Je vois aussi, lors de salons, énormément d'éditeurs indépendants qui proposent des livres ou magazines imprimés sur toutes sortes de papiers. On trouve, chez certaines marques, des carnets à dessin ou de notes. Le papier peint est très présent en décoration… Autant de signes qui montrent une envie de présenter quelque chose de différent, de rare ou de précieux. »

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