communication
L'onde de choc des événements tunisiens touche aussi le secteur de la communication. Havas Tunisie, qui venait d'arriver en force sur ce marché, n'y échappe pas

Jacques Séguéla était-il chargé de la communication du président Ben Ali avant sa fuite? Le vice-président d'Havas dément formellement l'information révélée par Bakchich info. Une chose est sûre: Havas Tunisie est touchée de plein fouet par la «révolution du jasmin». Pour s'implanter en 2010 sur ce marché dynamique, le groupe français s'est en effet associé à l'homme d'affaires Slim Zarrouk, président de l'agence et époux de… Ghazoua Ben Ali. La fille de la première femme du président banni siégeait au conseil d'administration de l'entreprise. Où sont-ils aujourd'hui ? «Je n'ai aucune nouvelle d'eux», affirme Pascal Allard, président d'Euro RSCG 360et directeur général d'Havas Tunis, en déplacement à Dubai où son groupe réunissait vendredi 21 janvier l'ensemble des patrons d'Havas. Mais des sources concordantes, reprises par le site d'information Kapitalis.com, semblent indiquer qu'ils seraient arrêtés et détenus par l'armée à Tunis, dans un lieu sûr. À moins qu'ils n'aient déjà fui à Dubai…

Tunisie Telecom, premier client d'Havas Tunisie, est également sur la sellette. Cette fois, ce sont ses salariés, en grève, qui demandent des comptes aux dirigeants de cette entreprise étatique soupçonnée, comme bien d'autres, de fraude et de favoritisme en matière de recrutement et d'octroi de marché. «Nous avions préparé un grand plan de communication pour Tunisie Telecom. Mais des ordres du palais ont empêché son application. Le pouvoir nous a carrément imposé Havas Tunisie comme prestataire de la communication», confie l'un deux sur Tunitech.net. Aucune compétition n'a en effet été organisée pour cet annonceur, l'un des plus importants du pays (lire l'encadré).

Alors que Jacques Séguéla joue, à Paris, la carte du «tout va bien», les salariés d'Havas Tunisie – une cinquantaine de Tunisiens de moins de trente ans – sont forcément inquiets, partagés entre le bonheur d'être délivrés d'un dictateur et la crainte de perdre leur emploi à cause des liens de leur société avec Ben Ali. «Ces amalgames faits par les médias sont très graves. Ils peuvent mettre des vies en danger. Nous n'avons rien à nous reprocher», lance Pascal Allard. «La famille du premier mariage de Ben Ali n'a rien à voir avec les pratiques du régime mises en avant ces derniers jours. Elle n'est pas inquiétée», assure, de son côté, Jacques Séguéla.

Racket organisé

Et pourtant, dans un marché en pleine mutation, Havas Tunisie, comme bien d'autres entreprises locales, va certainement devoir revoir sa copie. Pas un jour ne passe sans qu'une démission ou une révélation ne viennent changer la donne, notamment dans le secteur des médias, longtemps muselé. Alors que les langues se délient, le webzine Reveiltunisien.org raconte comment la famille Ben Ali a investi à tour de bras dans ce secteur hautement stratégique. Et comment l'Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), gestionnaire du budget publicitaire de toutes les entreprises étatiques, faisait taire les critiques en menaçant de couper les vivres. Elle perturbait également les plans médias des entreprises privées, prises dans l'engrenage d'un véritable racket organisé au plus haut niveau.

Selon un expert interrogé par Le Figaro, la famille de l'ex-président aurait fait main basse sur 40% de l'économie du pays. Dans ce contexte, s'implanter en Tunisie passait souvent par la création d'une entreprise commune avec la famille Ben Ali. Orange Tunisie, filiale de France Télécom lancée en février 2010, est ainsi majoritairement détenue par Marwan Mabrouk, autre gendre du président déchu, époux, lui aussi, d'une des filles issues du premier mariage du dictateur. «Une commission vient d'être créée pour vérifier l'ensemble des appels d'offres et la manière dont ils ont été attribués. Tunisie Telecom pourrait faire l'objet d'une nouvelle compétition», commente Khaled Aouij, créateur en 2006 de Prosdelacom.com, un site d'information sur le marché de la communication, éditeur de guides et organisateurs de grands prix.

Porte d'entrée sur le Maghreb

Observateur avisé du marché, Khaled Aouij s'est empressé d'appeler les grandes agences du secteur, venues en Tunisie pour accompagner leurs gros clients: IBM pour Ogilvy, Coca-Cola pour McCann, Danone pour Young & Rubicam, etc. «Elles ont toutes de bons échos de leur réseau, qui se dit prêt à les soutenir et à accompagner la reconstruction du pays», indique-t-il. Optimiste, Khaled Aouij rappelle que le secteur de la communication tunisien, porté par les annonceurs de l'alimentation et des télécommunications, est en pleine progression, sous l'impulsion notamment d'Orange. TBWA est sur le point de s'y implanter, adossé à un partenaire local. «Ce marché est stratégique. C'est une porte d'entrée pour d'autres pays, notamment l'Algérie et la Lybie», précise-t-il.

Havas, pour sa part, ne cache pas son intention de se développer au Maghreb. Le groupe est déjà très présent en Afrique noire. En 2010, il a ouvert plusieurs bureaux, notamment au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Sénégal, dans le sillage des investissements et implantations portuaires notamment du groupe Bolloré, son principal actionnaire.

«L'important, maintenant, est de ne pas rater la saison estivale», lance Khaled Aouij. Avant la révolution, le ministère du Tourisme tunisien, conscient qu'il devait davantage s'affirmer face à ses concurrents marocain, égyptien et turc, avait porté son budget de communication à 40 millions d'euros. Plusieurs agences étaient sur les rangs, notamment Havas Tunisie, qui planchait sur la promotion de l'image du pays à l'étranger. L'idée était de passer à une communication internationale centralisée. Elle est aujourd'hui gérée pays par pays, les marchés français et belge étant rassemblés chez TBWA Paris. Mais, pour l'heure, le sujet n'est pas franchement d'actualité: les voyagistes jouent encore la prudence et les départs restent suspendus jusqu'au 31 janvier.

 

(encadré)

 

Près de 120 millions d'euros d'investissement médias

Meilleurs spots télévisés, bilan des médias et performances publicitaires… Le 22 janvier, la société d'études Sigma avait prévu de délivrer ses chiffres 2010 lors d'une conférence. Cette dernière a été reportée à début février. Selon les dernières données disponibles, les investissements dans les médias en Tunisie sont de 120 millions d'euros, dont 52,6% à la télévision. Trois annonceurs, issus des télécoms, prédominent: Orange, Tunisie Telecom et Tunisiana. Ils investiraient chacun 12 millions d'euros. Côté conseil, trois agences occupent le haut du tableau avec un chiffre d'affaires estimé à 5 millions d'euros chacune: FP7 McCann, chargée d'Orange et de Coca-Cola, JWT qui gère notamment Tunisiana, et Havas Tunisie qui a remporté Tunisie Telecom, un budget jusque-là géré par Karoui & Karoui, seule agence locale rivalisant avec les filiales des grands réseaux internationaux.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.