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Avec son style et ses locaux atypiques, l’agence hollandaise détonne dans le paysage publicitaire. Une visite dans le sanctuaire de l’enseigne dévoile les ressorts de cette fabrique à idées.

A l'extérieur, c'est une coquette façade en brique noire de maison amstellodamoise, en bord de canal. A l'intérieur, c'est une ancienne église du XIXe siècle que l'on découvre. Un ancien lieu sacré où l'on voue désormais un culte à la créativité publicitaire de qualité. L'agence hollandaise indépendante Kesselskramer a acheté ces locaux inhabituels dans le monde profane de la communication et en a fait un espace à la mesure de son univers étrange et souriant.

 

Dans la nef, la vue est saisissante. Au centre se trouve un fort en bois à deux étages et à côté une tour de contrôle pour surveillants de baignade, tandis qu'au fond brillent les vitraux d'origine de l'église. «Il règne une sorte de tension entre cet endroit sacré et la nature de notre activité, mais d'une certaine manière l'église est aussi un lieu de propagande», estime Erik Kessels, cofondateur de l'agence. Son immense taille en ferait l'un des plus grands publicitaires de la place... et peut-être son talent également.

 

Au sein de l'internationale de la communication, Kesselskramer est connue pour son style à part. Refus des récompenses publicitaires et de budgets en cas d'incompatibilité créative, pas de poste de commercial en son sein, telles sont quelques-unes des caractéristiques de cette agence pas comme les autres.

 

«Dans la communauté publicitaire d'Amsterdam, nous sommes un peu le mouton noir, notamment parce que notre préoccupation n'est pas de chasser les prix publicitaires», s'amuse Olaf Kampman, planneur stratégique chez Kesselskramer. Cette décision a été prise à la fin du siècle dernier. «Nous avons décidé de ne plus participer aux concours en 1999, se souvient Erik Kessels. Nous nous étions aperçus que les seuls professionnels à se décerner plus de prix que les publicitaires étaient les coiffeurs.»

 

Autre exemple du côté atypique, le concours «Hold On» organisé sur la page Facebook de l'agence, qui récompense le vainqueur d'un message d'attente téléphonique personnalisé. C'est une marque de vêtements française qui l'a gagné récemment, Monsieur Lacenaire, dont s'occupe Benoist Husson, par ailleurs concepteur-rédacteur de l'agence Hello Sunshine (groupe Fred & Farid). «Elle fait partie des agences que j'adore», s'enthousiasme-t-il.

 

Dans l'ancien baptistère transformé en une salle de réunion, le plafond est en plastique de couleur bleue, et le décor reproduit une verte nature. Erik Kessels raconte son histoire. En 1996, il a fondé l'enseigne avec Johan Kramer qu'il a rencontré car «il était le nouveau petit ami de [son] ancienne petite amie», se souvient-il. «Lui aimait le football et la réalisation de films, moi l'art et la photographie.»

 

Ils ont fondé ensemble Kesselskramer, parce qu'ils voulaient expérimenter et faire de la publicité à leur façon. «Je détestais 90% de la production publicitaire, raconte Erik Kessels. J'ai toujours eu une relation d'amour et de haine avec la publicité.» Aux Pays-Bas, c'est la première agence fondée par un duo de créatifs, si bien qu'un certain scepticisme entoure leurs débuts.

 

Parmi les premiers clients figurent le Hans Brinker Budget Hotel, un établissement d'Amsterdam à bas prix, et la marque de chaussures Shoebaloo, qui vont leur permettre d'exprimer une patte créative très particulière. Pour le Hans Brinker, Kesselskramer expose tous les défauts de l'hôtel avec une ironie mordante. Les crottes de chien devant l'entrée, les chambres sans fenêtres ou encore l'absence de services. Les visuels de Shoebaloo mettent en scène des unijambistes qui tiennent à la main la chaussure qu'ils ne peuvent mettre à leur jambe manquante, dans une sorte de remake d'une campagne Calvin Klein de l'époque. «C'était une confrontation, pas de la provocation», se défend-il.

 

De budget en budget, l'agence grandit et obtient avec Ben, un opérateur de téléphonie mobile néerlandais, un annonceur de poids. La veille de l'ouverture du marché de la téléphonie mobile au grand public en Hollande, Ben et Kesselskramer achètent un écran publicitaire entier sur toutes les chaînes principales à une heure de grande écoute. «Cela a été très remarqué, se félicite Erik Kessels. Cet annonceur nous a permis de réaliser des campagnes avec des messages de société (immigration, racisme etc.) qui étaient souvent occultés.»

 

Après quelque 250 spots TV, cet annonceur représente près de 60% du chiffre d'affaires de Kesselskramer. Mais un jour, sa maison-mère décide de le renommer T-Mobile NL. L'agence ne croit pas en ce nom et décide en très peu de temps d'abandonner ce budget majeur. «C'est parfois important de savoir dire non et de prendre des risques, relève Erik Kessels. C'est une caractéristique de notre enseigne, même si c'est très difficile. D'autant que chez une jeune agence, les réalisations des premières années donnent le ton pour la suite.» Chez Kesselskramer, ce sont ses travaux pour Diesel qui joueront ce rôle au début des années 2000.

 

Une autre particularité réside dans l'absence de commerciaux en son sein: «Nous prônons un contact direct avec le client», affirme Erik Kessels. Concrètement, les planneurs stratégiques effectuent quelques-unes des tâches que des gestionnaires de comptes remplissent dans les autres agences. «De cette manière, je suis au courant de tout et occupe un rôle central, explique Olaf Kampman. Cela engendre des conflits dans les différentes parties de mon travail, mais procure en même temps une vue d'ensemble.»

 

Kessels sans Kramer

 

En 2004, Johan Kramer décide de se consacrer à temps plein à la réalisation et de tourner notamment des publicités pour d'autres agences. Il quitte Kesselskramer huit ans après sa création. Cette perte a-t-elle ébranlé Erik Kessels? «Au début, nous travaillions ensemble sur les mêmes sujets, au point où nous accomplissions près de 80% du travail de l'agence par périodes, raconte l'actuel patron. Ensuite, nous avons pris l'habitude d'œuvrer sur des domaines séparés afin de laisser de la place aux autres créatifs de l'agence.»

 

Même s'il assure être en très bon terme avec Johan Kramer, Erik Kessels n'a plus retravaillé avec lui depuis. A l'agence, il demeure présent grâce à une photo extraite de son film «L'Autre finale», qui évoque un match de football entre le Bhoutan et le Montserrat.

 

Dans ce deuxième chapitre des aventures de Kesselskramer, l'agence évolue progressivement et s'intéresse désormais à toutes les disciplines de la communication, à l'image de sa collaboration avec les hôtels «Citizen M». «Notre travail ressemble à une fusion de différents éléments, indique Erik Kessels. C'est comme un puzzle dans lequel les pièces se complètent, c'est-à-dire des campagnes transmédias. L'important est de trouver des idées-force déclinées dans des disciplines différentes, aussi éloignées que le design de timbres, des expositions d'art contemporain ou des émissions TV pour enfant.»

 

Suspendue à l'un des murs du baptistère, une autre photo attire l'œil, celle de bergers sur une montagne avec divers animaux de taille croissante qui font penser à l'évolution de l'espèce.

 

La photographie, art de prédilection du maître des lieux, représente aussi sa seconde vie. Erik Kessels est commissaire d'exposition et le sera notamment aux Rencontres d'Arles en 2013. «En publicité, ce que nous apprend cet art, c'est l'importance du regard que l'on porte sur les choses, estime Erik Kessels. C'est parfois judicieux d'injecter une dose d'imperfection dans une création. Quand vous êtes effrayé par quelque chose que vous faites, c'est souvent le signe que c'est du bon travail!»

 

L'avenir de la publicité lui semble tout tracé. «En définitive, une agence de publicité ne vend que des idées, pense Erik Kessels. C'est la partie la plus difficile et la plus excitante à la fois de notre travail. Et Google ne permet pas de les trouver immédiatement.»

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