mécénat
L'agence Agenda organisait le 9 janvier à l'Institut du monde arabe la 3e édition de la conférence Culture Business. Sa présidente, Corinne Estrada, évoque pour Stratégies l'«inéluctable» émergence en France d'un marketing culturel inspiré des pays anglo-saxons.

Via l'organisation de rencontres comme Culture Business, vous prônez depuis plusieurs années un marketing culturel décomplexé. Cette approche ne suscite-t-elle pas encore de fortes résistances dans le milieu de l'art?

Corinne Estrada. Le premier rendez-vous que nous avons organisé en 2000, Communicating the Museum, ne comptait qu'une dizaine de participants. Pour notre 13e édition, à Stockholm en juillet prochain, nous attendons plus de 300 personnes. Quant à la 3e édition de Culture Business, une conférence plus orientée marketing qui se tient à Paris, quelque 150 professionnels de la communication liés ou s'intéressant à l'art seront présents. Leurs profils ont beaucoup changé. Auparavant, ces postes étaient occupés par des personnes issues du monde de l'art. Aujourd'hui, la plupart sont des professionnels de la communication, comme Françoise Pams, ancienne du CNPF, au Centre Pompidou, Nathalie Mercier, ex-Euro RSCG, au musée du Quai Branly, ou Eléonore Valais de Sibert, une HEC, au Louvre. En fait, ce métier s'est considérablement professionnalisé en recourant à des méthodes anglo-saxonnes.

 

Quelles sont ces méthodes?

C.E. Elles consistent à faire entrer les marques et le «business» dans les musées. Une approche qui intéresse de plus en plus les institutions culturelles françaises, dont les subventions publiques ne cessent de se réduire. Cela passe, bien sûr, par du sponsoring financier, mais aussi par des soutiens de mécènes à des projets RSE [responsabilité sociale de l'entreprise]: actions dans les prisons, dans les quartiers défavorisés, etc., et à des partenariats médias plus systématiques.

 

Quand a commencé à émerger cette approche plus «business»?

C.E. Tout a réellement démarré avec la création de la Tate Modern en 2000. Ce fut à l'époque une révolution. C'était la première institution culturelle à parler de marque, à développer une stratégie de conquête de visiteurs profitant de l'essor d'Eurostar et à se positionner, en fin de compte, en concurrent d'Harrod's. La Tate Britain et la Tate Modern ont été les premières à proposer des expositions thématiques et «transchronologiques», une manière de cacher les trous de leur collection, notamment pour la période de l'entre-deux guerres, qui ont rencontré un énorme succès. Enfin, avec les Unilever Series, la Tate n'a pas hésité à donner à l'un de ses événements phares le nom d'un de ses sponsors. Une première! Le résultat est concluant: la Tate Modern accueillent aujourd'hui plus de 5 millions de visiteurs par an, ses prévisions tablaient sur 1 million.

 

Le monde de l'art en France est-il prêt à ce genre de révolution?

C.E. C'est, je pense, inéluctable. Pour ne prendre que l'exemple du Louvre, d'ici deux ans, compte tenu de la baisse des subventions publiques, le musée devra assurer seul 50% de ses ressources. Or, la culture est un domaine en pleine ébullition et de plus en plus convoité par les marques. Il y a de nombreuses opportunités à saisir. Et la concurrence n'a pas fini de se développer. Il n'y a qu'à voir le succès de l'exposition Toutânkhamon organisée l'an dernier à la Porte de Versailles, à Paris, par la société allemande de production de concerts Semmel Concerts, dirigée par Christoph Scholz. On est là dans l'«art entertainment» avec un stratégie de «storytelling» très structurée. Ce que fait, dans une moindre mesure, la Pinacothèque de Paris. 

 

Mais peut-on vraiment appliquer à une institution culturelle les mêmes critères qu'à une marque commerciale?

C.E. Bien sûr. Une marque culturelle répond à la même règle marketing des 4 P [«product, place, price, promotion»]. C'est d'ailleurs autour de ces quatre principes qu'a été organisé cette année Culture Business. Le produit, c'est la programmation. Il faut soit doser soit choisir son positionnement, entre les «blockbusters» assurant une forte affluence, comme en ce moment Dali au Centre Pompidou et Hopper au Grand Palais, les accrochages contemporains, qui donnent une image plus sexy [les «Contrepoints» du Louvre ou les «Correspondances» du musée d'Orsay], et les expositions plus scientifiques et contributives à l'histoire de l'art, qui sont la mission historique des musées, comme L'Art en guerre au musée d'Art moderne de la ville de Paris ou Raphaël, les dernières années au Louvre. Autre règle majeure: «the place» (le lieu). Comme tout autre produit, le produit culturel ne doit pas seulement faire venir le visiteur, mais il doit aussi aller à lui. C'est le cas du musée Guggenheim, qui a essaimé à travers le monde, mais aussi du Louvre, avec ses extensions à Lens et Abu Dhabi, et du Centre Pompidou, avec son site à Metz et ses centres mobiles. Le British Museum, lui, a adopté une logique différente en privilégiant des partenariats inédits et précurseurs en Irak et en Chine, par exemple, formant notamment des équipes curatoriales locales.

 

Sur le 3e P du mix marketing, celui du prix, quelles innovations observe-t-on dans ce marché?

C.E. Au-delà des traditionnels tarifs réduits, beaucoup de choses ont évolué. Le «yield management» [la gestion optimisée des prix] est aujourd'hui intégré dans le plupart des services marketing des institutions culturelles. Les musées londoniens ont également développé des systèmes de packages, avec Eurostar notamment. A l'inverse, d'autres institutions, comme la National Gallery à Londres, n'offrent jamais de réductions pour une raison d'image. C'est un choix dans un marché désormais beaucoup plus ouvert au niveau tarifaire. Reste enfin, le P de promotion. Dans ce domaine, il est d'abord important de savoir raconter une histoire – de faire du «storytelling» – en commençant par soigner le titre de l'événement et son affiche, encore trop souvent négligés par les musées. L'exposition Titien, Tintoret, Véronèse. Rivalités à Venise du Louvre [fin 2009-début 2010] est en l'espèce un exemple à suivre. Son seul intitulé a permis de toucher un public plus jeune, de cadres supérieurs notamment. Mais la véritable innovation viendra de la coproduction de contenus avec des marques, comme on a déjà pu le voir avec Nivea et l'exposition Ultra peau au Palais de Tokyo, ou Habibat et sa production de produits dérivés et son «pop-up store» autour de l'exposition sur le modernisme du Victoria and Albert Museum [toutes deux organisées en 2006].

 

(encadré)

Agenda, héraut du business culturel

Créée par Corinne Estrada en 1995, Agenda est une agence de relations publics spécialisée dans la culture. Avec l'ouverture de la ligne Eurostar, l'agence accompagne notamment les grands musées londoniens dans leur conquête du marché continental. Comptant aujourd'hui cinq collaborateurs (1 million d'euros de chiffre d'affaires), Agenda a créé, en 2000, Communicating the Museum, et lancé en 2008 Culture Business.

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