Du corporate à la publicité de marque, la PDG d'Havas Paris, nommée il y a un an, dresse un premier bilan de son modèle d'agence intégrée et livre sa vision et ses chantiers prioritaires.

Ce n'était pas gagné. Agathe Bousquet a pris la présidence d'Havas Worldwide Paris (ex-Euro RSCG C&O) en novembre 2012, un mois après le changement de nom de l'agence et six mois après le départ de Laurent Habib. Et après que l'actionnaire Yannick Bolloré, s'attaquant à la réorganisation du groupe et au rebranding d'Euro RSCG, s'est interrogé sur la pertinence et la viabilité du modèle d'agence intégrée. La directrice générale adjointe, successeur légitime désigné par Laurent Habib, avait dû, alors, convaincre pour sauver son agence du découpage et faire ses preuves pour gagner ses galons de PDG. Mais les combats ne sont pas pour lui déplaire, elle qui, au sortir de Sciences Po et de l'université Paris-Dauphine, a choisi le milieu associatif, bénévole à la création de Solidarité Sida puis à sa direction de 1996 à 2001. En exclusivité pour Stratégies, Agathe Bousquet livre le bilan de l'an 1 d'Havas Paris.

 

Vous vous êtes battue, avec vos équipes, pour défendre le modèle intégré et le nom d'Havas Paris au lieu d'Havas C&O au moment du rebranding mondial. Quel souvenir gardez-vous de cette période?

 

Agathe Bousquet. Sur le moment, c'était évidemment difficile mais nous en sommes sortis plus forts. Il était assez légitime de la part de notre actionnaire de se poser des questions sur le modèle de l'agence, en pleine crise économique et après le départ de Laurent Habib qui l'incarnait tant. Finalement, l'attention que nous a portée Yannick Bolloré, PDG du groupe Havas, est bénéfique, car il a pris le temps de nous connaître et nous avons sa confiance.

 

Après trois années de décroissance, comment l'agence se porte-t-elle?

 

A.B. Havas Paris va bien. Après une baisse de la marge brute de 10% en 2012, mais sans perte de clients, nous consolidons en 2013 la marge à 53 millions d'euros pour 300 salariés. Nous sommes la troisième agence de communication en France et la première agence intégrée. Nous envisageons une reprise de croissance d'environ 2% et une amélioration de la rentabilité de 13%. Depuis un an, nous avons gagné 40 clients sur un portefeuille de 200. Pour la plupart, nous devons ces gains de budgets à notre modèle d'agence globale.

 

Pouvez-vous préciser ce modèle?

 

A.B. Chez Havas Paris, tout le monde travaille ensemble pour un seul P&L [compte de résultat], au service de la meilleure stratégie des moyens pour le client. Nous revendiquons notre capacité à gérer des dispositifs intégrés, à la fois au sein de l'agence mais aussi du Havas Village créé en juin 2012. Le Village est un avantage concurrentiel sur le marché.

 

En quoi?

 

A.B. Il permet de monter des équipes projet avec des clients communs à plusieurs agences du groupe - ce que nous faisons sur le budget La Poste regagné par Havas Paris en partenariat avec BETC - mais aussi de bénéficier de l'expertise des entités mutualisées que sont Havas Event, Havas Productions et Havas Digital. Nous sommes très encouragés à travailler avec ces structures, car la marge est réintégrée dans les comptes de l'agence commanditaire. Les "Journées particulières" de LVMH - mêlant événementiel, publicité, digital, contenus et réputation -, le "Show Hello" d'Orange, le gain récent de Michelin pour son "Challenge Bibendum" en Chine sont de belles illustrations de notre collaboration avec le Village.

 

Tous les annonceurs ne recherchent pas d'agence globale...

 

A.B. En effet, mais c'est notre modèle. Aujourd'hui, 73% de nos clients le réclament et font appel à nous pour plusieurs expertises. C'est le cas d'EDF, ERDF, Orange, LVMH, Veolia, La Poste, Carrefour...

 

Etre la meilleure agence dans tous les domaines, n'est-ce pas une gageure?

 

A.B. C'est toute notre ambition. Le modèle global ne vaut que parce qu'il repose sur une intelligence collective et que nous sommes forts dans chacune de nos expertises (stratégie de marque, influence, création, digital, communication interne, contenus, etc.). Havas Paris est historiquement une agence leader sur la communication corporate dont l'influence (RP, réputation, crise, lobbying) représente 30% de la marge brute en 2013, en croissance de 40%, avec l'arrivée de marques commerciales et le dynamisme de la communication de crise. Depuis cinq ans, l'agence a entrepris le virage grand public. Pour progresser, nous avons lancé, l'an passé, trois chantiers prioritaires: la créativité, le digital et l'international.

 

Et avez-vous fait des progrès?

 

A.B. Oui, sur tous les chantiers! La créativité est un domaine sur lequel Havas Paris est très attendue et nous devions nous renforcer. Dès ma prise de fonction, j'ai nommé Christophe Coffre, coprésident en charge de la création [il était vice-président depuis son recrutement en 2011], avec lequel j'ai une vraie complicité. Un signe fort pour marquer l'orientation créative de l'agence (90 créatifs). Quelques mois plus tard, le gain du lancement publicitaire des casse-croûtes McDonald's a démontré la capacité de l'agence à comprendre les enjeux marketing de la marque et à lui apporter une réponse créative. C'était, à la demande du client, une mise en compétition exceptionnelle de toutes ses agences: BETC, TBWA, DDB et Havas Paris [qui gère les RP et la réputation de McDonal'ds depuis 12 ans]. La troisième vague est en cours. Notre premier Lion à Cannes en RP en juin dernier est aussi très symbolique: nous avons apporté une réponse publicitaire et digitale à un enjeu d'influence pour Air Food Project [action pour le maintien de l'aide alimentaire européenne].

 

Vous avez recruté un patron du digital nommé au «comex», Paul Boulangé, débauché chez DDB Paris où il gérait le budget digital de McDonald's. Pourquoi cette création de poste?

 

A.B. Pour une meilleure visibilité sur le marché. Le digital pèse 22% de la marge brute -nous avons réalisé 60 sites web et 40 campagnes digitales depuis 2010 et environ 30 opérations d'e-influence par an avec notamment comme clients EDF, Sephora, Pernod Ricard, Orange, Marine Nationale....- et nous visons les 40% d'ici à 2 ans. Mais il nous fallait un talent pour incarner cette expertise auprès des clients. Paul Boulangé va diriger le pôle digital et, en tant que membre du comité exécutif, intervenir sur tous nos métiers.

 

Matthieu de Lesseux, coprésident de DDB Paris, assure qu'un directeur du digital a moins facilement accès en direct aux patrons et à l'actionnaire. Qu'en pensez-vous?

 

A.B. Membre du «comex», Paul Boulangé rencontre Yannick Bolloré une fois par mois. En sa qualité de «chief officer of digital», il a du poids pour rencontrer les clients d'autant que les patrons aujourd'hui sont plus en recherche d'expertise que de statut.

 

Pourquoi l'international est-il un chantier prioritaire?

 

A.B. Nos clients ont besoin que nous les aidions à piloter la réputation de leur marque à l'international. L'activité est en croissance de 40% et pèse pour 10% de la marge brute. Nous avons renforcé nos liens avec les agences du réseau. Le rebranding autour de la marque Havas Worldwide est, à cet égard, un atout.

 

Quel est pour Havas le plus gros danger si le projet de fusion entre Publicis et Omnicom aboutit?

 

A.B. Que les annonceurs oublient de faire jouer la concurrence dans les appels d'offres par manque de connaissance des agences qui constitueront ce nouvel ensemble. A nous d'être vigilants et de nous rendre incontournables.

 

Quelles sont vos relations avec Mercedes Erra, cofondatrice de BETC et présidente exécutive d'Havas Worldwide?

 

A.B. J'admire le parcours de Mercedes qui, je dois le dire, a fortement soutenu ma nomination. Nous travaillons ensemble sur plusieurs clients, La Poste, McDonald's, et nous savons à quel point se respecter crée de la valeur pour nos deux agences.

 

Dans le village Havas, avec Les Gaulois née de la fusion des agences H et Leg, qui joue le rôle des Romains?

 

A.B. Je comprends que la question soit tentante mais ce n'est pas franchement mon sujet.

 

Havas Paris reste associée à l'affaire Dominique Strauss-Khan qui a mis en exergue une culture de l'influence en politique proche de la manipulation de l'opinion. Comment le vit-on en interne?

 

A.B. Il faut du temps pour faire oublier certains dossiers, même s'il s'agit souvent d'initiatives personnelles et non de budgets de l'agence. Mais les métiers de l'influence méritent mieux que la caricature, car il est stratégique pour les marques de bâtir et de défendre leur réputation. A l'agence, nos méthodes ont évolué, les profils ont été renouvelés et les équipes digitalisées. Le digital change les attentes des publics, aujourd'hui plus exigeants en termes de transparence et d'engagement. L'influence est désormais un grand producteur de contenus sur les réseaux sociaux.

 

Par le passé, l'agence a été dirigée par des binômes masculins Stéphane Fouks/Laurent Habib, Laurent Habib/Bernard Sananès. Quel est votre mode de management?

 

A.B. Avec Christophe Coffre, nous partageons le goût du collectif, de l'aventure humaine. Il me semble que j'ai une grande capacité d'écoute et d'attention aux talents des autres et aux tendances, ce qui me permet de monter des équipes pour le client qui fonctionnent bien. Dès ma prise de fonction, j'ai reconstitué un «comex» qui incarne toutes les forces de l'agence et qui est beaucoup plus participatif et dans la cocréation. Notre enjeu, tous ensemble, dans une période de défiance à l'égard des entreprises mais aussi de grande attente, est d'amener nos clients à prendre en compte de nouveaux critères de succès au-delà d'une approche strictement «ROIste». C'est ce que nous appelons la performance attentive (aux clients, salariés, actionnaires, associations, ONG...) et c'est une exigence de l'époque.

 

Vous avez dirigé Solidarité Sida de 23 à 28 ans et êtes devenue PDG d'Havas Paris à 39 ans. Quelle est la clé de ce parcours?

 

A.B. Des rencontres, un mélange de confiance et de loyauté, et beaucoup de travail quand même. Et la conviction, depuis toujours, que si l'on ose avec sincérité, tout est possible.

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