Quinze mois à Shanghai n’ont en rien atténué l’enthousiasme et la fascination du publicitaire pour la Chine où le cofondateur de Fred & Farid développe son agence au rythme chinois : vite.

FENG SHUI. «Rien n'est bâti ici sans la visite d'un maître feng shui. Il s'agit d'organiser l'énergie et l'espace. Le nom de l'agence y a été soumis; ses locaux, 1000 mètres carrés sur le Bund, sont conçus selon les règles de cet art millénaire chinois. Il est très important de respecter cette tradition, cette culture. C'est crucial aux yeux des Chinois. La Chine aujourd'hui, c'est une espèce d'oxymore, un mélange entre la Chine antique et un hyperpragmatisme "business focus".»

 

MAINLAND. «Fred & Farid Shanghai est une agence essentiellement chinoise: 15 Français et 90 Chinois dits "Mainland", c'est-à-dire originaires de Chine continentale. C'est un choix délibéré de donner la priorité à "Mainland China" par rapport aux autres régions composant "Greater China", c'est-à-dire Macau, Hong Kong et Taiwan, des places fortes qui, depuis des années, monopolisent le marketing ici. On observe aujourd'hui un mouvement politique, patriotique, de retour à "Mainland China". A talent égal, priorité lui est donnée. C'est très apprécié ici par les clients, les politiques, les médias. On sent un très fort sentiment national, plus important qu'aux Etats-Unis.»

 

VITESSE. «Sur le plan des technologies, la Silicon Valley conserve un peu d'avance mais sur celui des usages, la Chine est très en avance sur le reste du monde. Les Chinois adoptent tout, tout de suite. Ils n'ont pas cette résistance européenne par rapport aux nouvelles technologies et à la nouveauté en général. Tout va très vite. Le temps est ici plus important que l'espace. On parle de "365" [jours], pas de "360" [degrés]. Il faut diffuser les messages au bon moment. Ce qui compte, c'est l'art du "timing". Il faut être un opportuniste digital. C'est cela qui fera la différence, pas tellement la technologie. J'ai changé de métier.»

 

STRATEGIE. «Il y a encore des plans médias classiques en Chine mais seulement pour les très grosses marques qui ont énormément d'argent. Toucher 1,3 milliard de personnes coûte très cher. Le paysage des médias sociaux autorise à faire autrement. En Europe et aux Etats-Unis, quatre réseaux comptent pour les marques: Facebook, Twitter, Linked In et You Tube. Ici, on en dénombre des dizaines, dont certains très spécialisés. Le paysage est plus riche, plus fragmenté, plus précis. Il faut savoir choisir les bons canaux, on ne peut pas être partout. On fait de la stratégie en "social media". Ici, on peut lancer un produit cosmétique via une application qui touchera 25 millions de jeunes filles branchées urbaines. Ou orchestrer de véritables plans médias de tweets.»

 

CONCURRENCE. «Ici, les "pitchs" sont très durs, avec de nombreuses agences en lice, parfois une vingtaine. On peut classer les agences en trois catégories: les réseaux, les indépendantes et les locales qui font pas mal de "dumping" sur les prix. Les coups bas sont bien plus bas qu'en France. A Paris, on joue au paintball. Ici, c'est à balles réelles.»

 

CHIFFRES. «En quinze mois, nous avons gagné une dizaine de clients (Avène, Porsche, Garnier, Oxylane, GH Mumm, Diesel Fashion, Vicomte A, Jacob's Creek...) et avons, par ailleurs, travaillé ponctuellement pour une vingtaine de marques (Yves Rocher, Guerlain, Quechua, Coca-Cola, Qeelin...). La marge brute de l'agence est d'environ 6 millions d'euros, soit quelque 20% du groupe Fred & Farid. L'agence ici est plus grosse que BBH, Wieden & Kennedy ou AKQA. Je touche du bois parce que tout est très fragile en Chine. On n'a jusqu'à présent pas communiqué sur notre activité, ou très peu. Cela ne nous ressemble pas!»

 

VIE. «Je me donne dix ans sur place. Ça ne peut pas se faire à moitié, et il faut aimer la Chine pour réussir, sinon on se plante. Je passe l'essentiel de ma vie ici, avec ma femme et nos trois garçons de trois, cinq et sept ans. C'est une aventure extraordinaire. Je suis en voyage ou à Paris deux mois par an, en cumulé. Farid [Mokart, cofondateur] passe pas mal de temps en Chine. Nos bureaux de Paris et de Shanghai sont en permanence connectés, comme les deux agences. On ne veut pas se disperser, on joue dans la durée. Notre idée est d'aider les marques occidentales à s'installer en Asie, et réciproquement. Fred & Farid, c'est une comme une porte à double battant.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.