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Patron de la création de DDB Paris depuis dix ans, Alexandre Hervé revient sur une année 2013 qui fut à la fois difficile et décisive pour l’agence dont il est également vice-président depuis 2012.

2013 annus horribilis pour DDB. Cela vous semble un bon résumé de l'année écoulée?

Alexandre Hervé. Cette année a été un passage particulièrement difficile pour nous. Nous avons été confrontés à de grosses compétitions, telles le camembert Président regagné contre Publicis, Bouygues Telecom regagné face à BETC, Jaeger-LeCoultre, Picard et Voyages-SNCF dont on attend encore le résultat. Conséquence, nous avons dû beaucoup jouer en défense. C'est usant.

 

La compétition Bouygues Telecom a été particulièrement rude…

A.H. Ce fut un moment très douloureux, on ne partait pas gagnants. Les agences en face de nous n'étaient pas les moins bonnes [Buzzman, McCann Paris, Saatchi & Saatchi Duke, TBWA Paris et BETC]. Du coup, nous nous sommes dits que l'on devait faire table rase de tout ce que l'on avait fait jusqu'alors, voire faire l'inverse. Je suis très fier que DDB ait gagné cette compétition. Et soulagé aussi car Bouygues Telecom est un gros client et sa perte aurait mis l'agence dans une situation très compliquée.

 

L'agence était pourtant auréolée du succès de la websérie «Les Dumas». Pourquoi cette compétition?

A.H. Cette web-série visait à démontrer que Bouygues Telecom était la marque-opérateur qui avait le mieux compris la vie numérique des Français. Elle a été perçue comme une des meilleures webséries publicitaires. D'un point de vue créatif, c'était donc réussi. Toutefois, le travail effectué par «Les Dumas» n'était pas, ou plus, pertinent au moment de lancer quelque chose d'aussi conséquent que la 4G. D'où la remise en compétition.

 

La campagne suivante, «Devenez qui vous voulez», a suscité des commentaires quelque peu partagés. Que répondez-vous?

A.H. Les changements induits par cette technologie sont des révolutions. C'est ce que montre le spot «Devenez qui vous voulez». C'est un film inspirant pour la marque, qui la positionne aux côtés d'autres grandes marques technologiques, comme Apple par exemple. Cette place, Bouygues Telecom ne l'occupait pas jusqu'à présent. De même, pour l'affichage, nous cherchons à redonner son rôle original à ce média. L'affiche d'un opérateur télécoms ne doit pas être un prospectus, illisible, comme on peut le voir souvent.

 

Ce travail pour Bouygues Telecom montre-t-il une évolution dans votre vision de la création publicitaire?

A.H. La création pour la création, cela ne marche plus. Aujourd'hui, il faut un avantage produit conséquent, un axe stratégique fort pour parler d'une grande publicité. L'exécution créative est passée au second plan, la forme est devenue moins importante que le fond. Les gens sont abreuvés d'images par le biais d'Internet, il est beaucoup plus dur de les bluffer d'un point de vue formel. La différence se fait donc sur un discours nouveau, qui sort des sentiers battus. A l'image du publicitaire David Droga, qui parle par exemple du «premier jour» de la retraite [pour l'assureur Prudential] et qui, du coup, apporte un nouvel angle de vue sur cette période de la vie. Conséquence, la création n'est plus un travail que l'on peut faire tout seul dans son coin. Pour s'éloigner des poncifs et émerger, il faut forcément travailler en amont en équipe avec le client, le planneur stratégique.

 

La nouvelle hégémonie de la catégorie Craft aux Cannes Lions laisse penser le contraire…

A.H. Intégrer les sociétés de production dans le palmarès de Cannes répond à une logique économique. De manière générale, je suis de plus en plus circonspect quant au palmarès délivré par les Cannes Lions. Qui pourrait dire de tête quel était le Grand Prix en Presse l'an passé? Et le Grand Prix Film? De même, je suis incapable de dire quelle campagne a des chances de gagner cette année. C'est la roulette. Il y a aussi des créations trop franco-françaises, telles que «Les Dumas» ou les «50 Raisons de lire L'Equipe», chez DDB, qui n'ont aucune chance de gagner alors que le travail publicitaire est fait. Cela écartèle les agences entre des problématiques spécifiques et des campagnes au discours généraliste, pour être comprises par tous les jurés cannois et donc récompensées. Je ne sais pas si c'est personnel, mais passer le bac tous les ans me fatigue un peu. Cannes reste le jeu des réseaux où il faut à tout prix gagner des points. Mais j'arrête mes critiques parce que, sinon, DDB risque d'être dans le «rouge» côté Cannes Lions!

 

Mais Cannes ne reste-t-il pas incontournable pour une agence comme DDB?

A.H. Bien sûr, Cannes continue d'être la référence pour attirer les talents créatifs et rester dans le système. Chaque année, j'entends des directeurs de la création dire qu'ils boycottent Cannes, mais personne ne le fait. Je pense que les choses bougeraient si une très grosse agence, un très gros réseau disait stop à cette course aux prix. Mais personne ne veut lâcher l'affaire. Pour les Anglo-Saxons, cette grand-messe publicitaire reste importante. En France, que ce soit du côté des agences ou de celui des clients, nous sommes plus en retrait.

 

Côté DDB, il y a eu du mouvement. Comment s'est passé la fusion avec l'agence V?

A.H. Cette fusion a été décidée par DDB Worldwide dans une logique de concentration. Et même si les ADN des deux agences sont très proches [V a été fondée au sein de DDB en 2001], toute fusion est délicate. Christian Vince [ancien directeur de la création de DDB] est à présent vice-président de DDB et c'est une très bonne nouvelle que d'avoir en son sein ce grand talent publicitaire. Notre déménagement rue de la Condamine, dans le XVIIe arrondissement parisien, prévu pour la fin mars finalisera cette réunion des équipes.

 

Suite à la fusion avec V, le budget Volkswagen, qui a fait les grandes heures de DDB, retrouve donc l'agence. L'histoire redémarre…

A.H. Je suis content de travailler pour ce client que je connais déjà. Une première campagne TV est sortie et les résultats de Volkswagen en ce début d'année ne sont pas mauvais. Il y a du travail, comme pour toutes les marques du secteur automobile, qui se porte plutôt mal. Ce qui fait qu'au niveau publicitaire, le discours est plus consensuel et moins créatif. Mais nous allons faire de belles choses avec cette marque, qui a un héritage fort. Nous avons plusieurs projets et pas seulement à la télévision. Il faut travailler main dans la main avec l'annonceur, peut-être en allant jusqu'aux véhicules. On «remontera» aussi à l'international en travaillant via DDB Team Blue, la cellule européenne commune implantée à Londres et qui s'occupe de Volkswagen.

 

Travailler jusque dans le véhicule, imaginer un bracelet sportif… Tout devient-il média pour la publicité actuelle?

A.H. Notre métier a en effet radicalement changé. Ce qui nécessite d'ailleurs des profils de créatif difficiles à trouver, des gens ouverts à tout. Avant, il suffisait de raconter une bonne histoire. A présent, il faut toujours savoir le faire, mais aussi connaître les technologies, savoir faire avancer les produits. DDB a la chance de posséder déjà quelques talents de ce type. Quand je recrute, je ne juge plus vraiment un dossier mais plutôt une personnalité. On en revient presqu'aux débuts de notre métier, lorsqu'il n'y avait pas de formation officielle.

 

Autre évolution, l'intégration de la production au sein des agences de publicité. Comment DDB se positionne-t-elle?

A.H. On nous le demande en effet. Donc, oui, nous allons intégrer plus de production. Cela correspond à une évolution inévitable de notre métier. Les agences ne peuvent être prises en étau entre la baisse des coûts et des sociétés de production qui ne bougent pas. Nous attendons les conséquences de la fusion Publicis-Omnicom pour y voir plus clair. Mais il est évident que face au «brand content», par exemple, il faut s'interroger sur ces productions nouvelles qui évoluent très vite. Ce qui rend d'ailleurs très compliqué la gouvernance des agences de publicité.

 

Quelles sont les agences qui vous semblent avoir pris la bonne direction?

A.H. Je ne sais pas quel est le bon modèle, tout le monde est en train de chercher. Or, tout change d'une semaine à l'autre! DDB, un peu comme AMV BBDO, fait partie de ces agences constantes, qui restent à un niveau élevé de création, d'idée et de stratégie. A l'inverse, on observe beaucoup d'agences qui sont au Top une année et ont disparue celle d'après. C'est un joyeux «bordel» duquel sortent aussi des pépites, comme l'agence Buzzman et sa campagne Milka, où les publicitaires mettent les mains dans le processus industriel de fabrication.

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