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L'accord de partenariat entre les deux groupes pour la mise en place d'une plateforme de gestion marketing intégrée pose la question du rôle d'intermédiation des agences, coincées entres les sociétés IT et les annonceurs.

Après les rumeurs fin août (à ce jour sans lendemain) de reprise par Publicis du spécialiste du retargeting Criteo et les nombreux commentaires qui s'en sont suivis sur une éventuelle redéfinition de l'offre publicitaire, la «routine» a repris son cours au 133 avenue des Champs Elysées. Quelques jours plus tard, le groupe français annonçait en effet le rachat du réseau digital canadien Nurun puis celui de l'agence de design britannique Turner Duckworth. Mais la présentation le 10 septembre de l'accord entre le groupe présidé par Maurice Lévy et l'éditeur de logiciels Adobe a aussitôt relancé le débat sur la juste stratégie à adopter en matière d'intégration de technologie par les groupes publicitaires.

 

L'annonce porte sur la création d'une plateforme marketing, baptisée «Always-On» et qui doit permettre, via Adobe Marketing Cloud, «d’automatiser et de réunir tous les composants du marketing des clients» des agences de Publicis Groupe. BBH, DigitasLBi, Leo Burnett, MSLGroup, Publicis Worldwide, Razorfish, Rosetta, Saatchi & Saatchi, Starcom MediaVest Group, VivaKi et ZenithOptimedia comptent parmi celles qui auront accès au système. Elles pourront ainsi «créer du contenu, analyser leur marketing, identifier et créer des segments d’audience, déployer des campagnes, ainsi que suivre et mesurer la performance marketing grâce à une technologie et une structure des données unifiées» (voir encadré). La plateforme sera rattachée à Vivaki, pôle des solutions digitale de Publicis Groupe, en tant que structure de base, chaque agence pouvant la déployer et la personnaliser sous sa propre marque.

 

«Nous résolvons un problème marketing essentiel pour nos clients en leur permettant d’interagir directement avec les consommateurs et de délivrer des messages pertinents à bonne échelle, tout en navigant avec succès dans un environnement numérique complexe», déclarait Maurice Lévy dans le communiqué annonçant le partenariat et dont l'ambition est de permettre à Publicis Groupe d'atteindre 75% de son revenu mondial dans les secteurs du numérique et des marchés émergents d’ici 2018. Adobe et Publicis Groupe ont annoncé qu'ils investiront conjointement dans les ventes et le marketing, avec une équipe dédiée de stratégistes en charge de l’innovation et une force commerciale chargée de promouvoir la plateforme.

 

«Cet accord illustre l'importance grandissante des plateformes logicielles dans le domaine publicitaire [lire «Les agences médias face aux éditeurs de logiciels»], commente Jérôme Bodin, analyste chez Natixis, mais ce type d'accord est à double tranchant pour les agences. D'un côté, il permet de proposer à leurs clients les solutions les plus pertinentes. Et donc de profiter de la forte demande pour le marketing technologique. Ce qui induit mécaniquement un surplus de chiffre d'affaires. De l'autre, il induit une perte de compétitivité dans le domaine technologique pour l'agence qui devient dépendante des éditeurs. Le risque est que les agences se transforment petit à petit en intégrateur/conseil, activité dont les marges sont très faibles (de 8 à 15%), particulièrement sur le marché de l'achat d'espaces dont les marges sont actuellement très élevées (18 à 20%). Si les éditeurs parviennent à imposer leurs plateformes d'intermédiation et donc leurs technologies, le risque est que l'agence (qui sera toujours indispensable à ses clients) soit cantonnée à des activités de service, faiblement margées. Au final, ce type d'accord pourrait avoir un effet positif sur la croissance organique mais négatif sur la rentabilité.»

 

Un risque qu'écarte Stephan Beringer, Chief Growth Officer de VivaKi: «Le client doit aujourd'hui gérer différents types de data, différentes technologies et différents partenaires. C'est devenu très compliqué. La structuration des data est certes importante, mais au final ce sont le work-flow et les process qui font la différence. Or justement, la mission de Publicis est de simplifier tout cela en trouvant les meilleures solutions technologiques pour nos clients et surtout en apportant des services, des solutions de mise en oeuvre, de l'analytics et de la création. Adobe et les autres sociétés IT, elles, apportent la technologie.»

 

Le groupe Publicis mise même sur la généralisation des modèles automatisés en publicité jusqu'ici essentiellement centrés sur le CRM mais qui pourraient rapidement s'étendre à toute la communication. Avec le développement de campagnes multiples pour un même produit selon les cibles visées, la stratégie de la marque - coeur d'activité des agences de communication - sera plus que jamais centrale, estime le groupe. «Grâce à la technologie, pour chaque campagne et selon le média, les agences pourront réaliser des simulations avec des résultats tangibles à l'appui voire avec différents scénarios possibles», explique Stephan Beringer qui n'exclut pas d'autres partenariats en fonction de tel ou tel besoin avec d'autres acteurs de l'univers technologique. «Nous ne vendons rien, nous apportons des solutions. Notre intérêt comme celui de nos clients est de préserver la neutralité de nos recommandations», conclut-il. 

 

Une orientation que de prime abord les annonceurs ne récusent pas. «L'organisation de la transversalité entre contenus, audiences et marketing opérationnel est évidemment une bonne chose. En cela Always-On va dans le sens du marché», remarque le directeur de la communication d'un grand groupe. «Mais jusqu'où les agences pourront-elles prendre la main sur ce sujet hautement stratégique pour les annonceurs?, ajoute-t-il aussitôt. En toute logique, ces derniers doivent garder la maîtrise de la gestion de leurs données. Les gros annonceurs, qui en ont les moyens, éviteront de toute façon de se faire désintermédier.»

 

Reste donc à Publicis Groupe et Adobe à rassurer les clients en instaurant des garde-fous dans l'association par exemple des données propres aux annonceurs avec les data externes. Côté Publicis, un travail de réassurance sera aussi sans doute nécessaire en interne, tant cette initiative risque de limiter la marge de manoeuvre des différentes agences du groupe et à terme de niveler leur offre. Mais la technologie n'est qu'un «simple» outil, laisse-t-on entendre chez Publicis, la valeur ajoutée étant dans la stratégie, l'idée créative et la mise en oeuvre. Sans doute. Mais à ce jour les prestations de conseil sont loin d'être rémunérées à la hauteur des services technologiques.

 

Encadré

 

Les solutions promises par Always-On

 

1. Attribution multi-canal. Améliorer les solutions d’attribution et de prévisions/planning  pour mesurer les interactions clients les plus efficaces au travers des divers canaux et modèles d’investissement.

2. Compréhension des audiences. Always-On comprend une plateforme de gestion de données (DMP – Data Management Platform ) qui génère un ensemble de profils clients, de segmentations et de tendances.

3. Automatisation des campagnes marketing. L’intégration automatisée permettra la coordination de toutes les fonctions de marketing en se basant sur les mêmes données.

4. Gestion des contenus et de l’expérience client. Possibilité de créer, publier et contrôler les contenus numériques tout au long du cycle de vie des campagnes et de la diffusion multicanale, depuis un système centralisé.

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