Création
Quelles compétitions privilégier? Quelles campagnes envoyer? Dans quelles catégories les inscrire? À quelques jours des Eurobest à Helsinki, enquête sur les stratégies des agences pour maximiser ce qui s'apparente à un réel investissement financier et humain.

Les compétitions créatives sont de plus en plus nombreuses mais le Festival international de la créativité de Cannes reste de loin la référence suprême. «C'est la manifestation où on investit le plus chaque année. Ça représente environ 50% de nos dépenses globales», explique Baptiste Clinet, directeur de la création d'Ogilvy & Mather Paris, qui a explosé les compteurs à Cannes en 2013 avec 19 prix et un Grand Prix Outdoor décerné à «Smarter cities» pour IBM. Mais à l'instar des Oscars, recevoir un Lion, ça se mérite! Si les agences françaises se défendent de réaliser des travaux «bêtes de concours», elles réfléchissent en amont à une stratégie adéquate pour s'illustrer dans les festivals.

 

Premier impératif, avoir le sens du timing. «De précédents prix servent les agences pour la promotion de leurs campagnes en vue de Cannes. La course aux Lions s'apparente à la course aux Oscars, car pour en obtenir, il faut que la campagne ait été préalablement primée dans différents jurys pour se faire connaître», souligne Vincent Leclabart, président d'Australie, agence qui investit environ 30 000 euros annuellement pour participer aux différents concours. «Il faut avoir fait un road show des prix créatifs avant d'arriver à Cannes. Les jurés sont sensibles au fait d'avoir déjà vu les campagnes avant de les juger. C'est un véritable travail de promotion des travaux», continue Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de BETC.

 

Deuxième priorité, faire le bon choix. Ainsi, pour être primé au D & AD londoniens, mieux vaut privilégier un travail «crafté», à l'exécution soignée, pour un festival international, la prime allant plutôt à une campagne universelle... «On peut envoyer les travaux de nos clients franco-français comme Leclerc, qui ont des thématiques locales, pour concourir à des prix français mais pas à des prix internationaux. Ils ne seraient pas compris et ne remporteraient rien», assure Vincent Leclabart.

 

Bien choisir sa catégorie

 

Les agences doivent également «analyser les différentes catégories et sous-catégories des compétitions pour ultra-cibler les inscriptions», conseille Baptiste Clinet. Une vigilance qui multipliera les chances de voir sa campagne primée. «Les prix ne sont pas des loteries. On en fait une loterie en inscrivant les campagnes dans les catégories sans vraiment réfléchir pourquoi. Or les jurés sont des experts et savent si les campagnes sont à leur place», détaille Matthieu Elkaim, directeur de la création de CLM BBDO, agence primée cinq fois à Cannes en 2014 pour l'opération digitale de l'équipementier marin Guy Cotten, «Sortie en mer».

 

Malgré ce travail d'analyse, il reste toutefois des éléments plus aléatoires à prendre en compte, comme le fait de connaître un des membres du jury. «A Cannes, il y a une corrélation entre les présidents de jurys et les Grands Prix», glisse Stéphane Xiberras.


Si Cannes s'impose comme le festival à ne louper sous aucun prétexte, d'autres compétitions internationales sont également très courues, comme les Clio Awards qui se tiennent à New York ou les D & AD à Londres. S'il est important pour les agences de concourir à des festivals mondiaux pour leur notoriété mais aussi pour se comparer aux autres agences de leurs réseaux, il leur faut également se distinguer sur le marché hexagonal. Pour ce faire, deux récompenses sont particulièrement recherchées: le Club des directeurs artistiques et les prix Stratégies, avec une préférence pour le Grand Prix de la publicité.

 

Si les publicitaires peuvent bouder certains festivals, c'est aussi en raison de contraintes budgétaires. Car participer à un prix, ça coûte cher! Pour inscrire une seule campagne dans une sous-catégorie de la catégorie «Titanium» à Cannes, les agences doivent débourser 1 350 euros. Sans oublier qu'outre les inscriptions à proprement parler, il faut aussi compter la conception des incontournables case studies, puis la logistique (transports, hébergements, accréditations, etc.) inhérente aux concours.

 

Un investissement substantiel 

 

«Cette année, l'agence a dépensé 25 000 euros au total pour Cannes, dont 15 000 euros juste pour inscrire des travaux. Sans oublier que nous dépensons aussi 7 000 euros pour les Eurobest, 4 000 pour les Clio, etc.», explique Sylvain Thirache, directeur de la création et fondateur de Sid Lee Paris.

 

Pour débourser moins d'argent, certaines agences font participer financièrement les clients. Ogilvy & Mather Paris demande ainsi aux annonceurs de participer à la conception des «case studies», «qui seront utilisés pour présenter les cas lors des prix et festivals, mais qui pourront aussi leur servir pour leurs relations presse», explique Baptiste Clinet. Une aide non négligeable puisqu'un «case study» coûte, selon lui, entre 3 000 et 8 000 euros à réaliser. Pour sa part, Sid Lee Paris demande à ses clients de financer la moitié des inscriptions pour les prix Stratégies (l'inscription aux prix Stratégies coûte en moyenne 1 100 euros).

 

Les différents prix et festivals représentent donc un lourd investissement pour les agences, mais il est vital pour elles d'y participer afin de gagner en notoriété, d'attirer des clients, et de mettre en avant leur positionnement. «Je souhaite créer un effet de surprise en envoyant des cas différents, comme un "stunt" rigolo pour Ubisoft, un film crafté pour Lacoste, un ours qui parle pour Canal+», explique Stéphane Xiberras.

 

Marcel, qui a notamment remporté le Grand Prix Stratégies 2014 de la publicité avec sa campagne sur les fruits et légumes moches pour Intermarché, veut renvoyer «une image d'agence intégrée et pluridisciplinaire» à l'instar des travaux de nature différente qu'elle fait toute l'année, expliquent Anne de Maupeou, directrice de la création, et Dimitri Guerassimov, directeur de création. Même chose du côté de Sid Lee Paris, qui veut «donner l'image d'une agence proposant des formats de communication différents, telle notre campagne pour Ubisoft, tournée comme un trailer et non pas comme un film classique», précise Sylvain Thirache.

 

Cercle vertueux

 

Aujourd'hui, les catégories liées au digital et à l'innovation sont celles qui attirent le plus les agences. D'ailleurs, les nouveaux concours digitaux comme les Webby Awards (et sa version européenne, les Lovie Awards) sont de plus en plus prisés par les agences. «Ils sont amenés à devenir de plus en plus importants parce que cette partie de notre métier prend de l'importance», résume Matthieu Elkaim.

 

Enfin, remporter des récompenses, et notamment des Lions à Cannes, permet aux agences de gagner en attractivité auprès des clients. «Pour un annonceur, c'est important de travailler avec une agence primée, car cela prouve qu'elle a des talents et qu'elle délivre un bon travail», continue Baptiste Clinet. Sid Lee Paris, qui a été primée 46 fois en 2014, en a fait l'expérience. «Gagner des prix nous a permis de remporter de nouveaux clients en septembre sans compétition. Il y a un lien de cause à effet», continue Sylvain Thirache.

 

Un cercle vertueux se met alors en place: primée, l'agence attire des marques prestigieuses, ce qui lui permet de faire des campagnes potentiellement récompensables, etc. «Avoir des marques qui évoquent quelque chose, cela peut aider à gagner. Le même travail qu'on a fait pour Lacoste, si on l'avait fait pour une marque X, aurait-il été autant primé dans tous les festivals cette année?», s'interroge ainsi en toute honnêteté Stéphane Xiberras.

 

FOCUS. L'efficacité compte aussi
Outre les prix créatifs, un autre prix est également couru par les agences de publicité. Il s'agit des Effie Awards, qui récompensent l'efficacité des campagnes. «Les Cannes Lions et les Effie sont les deux prix les plus importants pour nous. Je n'aimerais pas gagner un Effie sur une idée non créative ou un Lion sur une idée non efficace», souligne Baptiste Clinet (Ogilvy & Mather Paris). Tout simplement car «une agence doit pouvoir dire à ses clients qu'elle brille sur la créativité, mais aussi sur l'efficacité», continue Matthieu Elkaim (CLM BBDO). Retrouvez le palmarès Effie France 2014, dévoilé lundi 24 novembre, dans le supplément que Stratégies publie avec ce numéro.

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