Stratégies a réalisé avec Jean-Baptiste Rouet, le président de la commission digitale de l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam), un poster sur les acteurs du marché de la publicité programmatique. Retour avec lui sur les enjeux de l'année.

Vous qui avez réalisé le poster programmatique 2017, quel regard portez-vous sur l’écosystème?

Jean-Baptiste Rouet: Ce qu’on peut dire, c’est que le programmatique devient une commodité. Les annonceurs ont beaucoup progressé, se sont équipés. Maintenant, l’enjeu consiste à exiger de la transparence. Savoir ce qu’on achète, la structure de coût, les détails... On cherche à devenir propriétaire de ses systèmes, comme sur la data. La tendance générale consiste à tout faire pour devenir plus autonome face aux Gafa, à développer ses données propriétaires. Les annonceurs réfléchissent donc à internaliser leur DMP, à soigner leur data, davantage que leurs achats programmatiques. Car si le programmatique représente 80% des conversations, il ne concerne que 6% des dépenses médias… L’enjeu véritable réside sur la donnée, pas sur l’achat. Ensuite, à propos du coût des espaces publicitaires, ils prennent de plus en plus de valeur, mais l’inventaire continue de croître énormément. Donc les prix restent sensiblement les mêmes.

Quels changements au niveau des acteurs?

On retrouve les Gafa, toujours aussi présents. Les grands groupes de communication, aussi, qui ont leur trading desk. En dehors de quelques rebrandings, il n’y a pas eu beaucoup de changements, de ce côté. C’est au niveau de certaines DSP que ça a évolué. Plusieurs DSP opéraient comme des ad networks (en mode DSP Managed Services), c’est-à-dire qu’elles achetaient des espaces et vendaient des campagnes «tout compris». Mais face à la forte demande de transparence par les annonceurs, elles ont changé de modèle et proposent leur technologie en self-service directement auprès des trading desks. C’est-à-dire qu’elles deviennent concurrentes des grandes DSP du marché (DBM, App Nexus, The Trade Desk…).

Et c’est une activité qui marche?

Le marché du programmatique fonctionne de plus en plus en campagnes multiDSP. C’est-à-dire qu’il faut travailler sur DBM de Google pour acheter des espaces Youtube, sur la DSP d’Amazon pour cibler la data Amazon sur l’ensemble des inventaires, idem pour Facebook, Snapchat, etc. Il faut donc se connecter à de nombreux systèmes pour faire une campagne. Ainsi, le recours à la DSP Managed Services diminue et ce sont les trading desks, qui eux, connectés à tous les écosystèmes, sont les plus sollicités. Avec la baisse de leurs volumes d’achat mais une technologie propriétaire, les DSP Managed Services sont devenues des cibles pour les investisseurs et se sont fait racheter pour certaines. C’est le cas de Rocket Fuel, Radium One… Quantcast continuant à rester indépendant pour le moment.

Cette multiplication des écosystèmes a d’autres impacts?

Oui ! Il faut être bon partout et maîtriser chaque système. Les équipes doivent manipuler toutes les DSP, avec une certaine excellence. Donc les coûts en talents deviennent vraiment non négligeables! Il faut ajouter le fait de négocier les partenariats, les deals datas, les algorithmes personnalisés… de gérer correctement le règlement européen sur les données qui arrive (RGPD), l'ePrivacy…

Qu’est-ce qui fait la différence donc?

Le nerf de la guerre reste la data. C’est l’accès à la donnée qui crée les écosystèmes sur lesquels on va se connecter. Selon moi, on est dans l’année où la data prend toute sa valeur. Elle pourrait devenir plus chère que l’inventaire! On se base de moins en moins sur des données comportementales, mais de plus en plus orientées sur l’individu et ses terminaux avec de la donnée loguée. On le voit, la third party data ne progresse que très peu, on l’utilise différemment. Les éditeurs l’ont bien compris: si tous leurs inventaires sont disponibles en programmatique, ils attirent autrement les annonceurs avec de la data à forte valeur ajoutée face aux géants américains. Mais prise toute seule, la donnée déterministe d’un éditeur est assez restreinte. Tandis qu’à plusieurs, ils vont beaucoup plus loin, donc ils s’allient.

Sur les formats, on parle beaucoup de la vidéo aussi? 

Oui, la vidéo tire le marché de manière incroyable. Les gens préfèrent lire des vidéos que de lire des articles. Donc ça se développe. Mais un inventaire vidéo reste cher: il y a un rapport de 1 à 5 ou 10 avec ce que ça rapporte à un éditeur! En revanche, elle reste très adaptée au branding et les marques ont toujours mis plus d’argent en branding. Le marketing à la performance sature vite, car votre réservoir de clients atteint un maximum. A partir d’un palier, vous ne gagnerez pas plus de clients avec plus d’argent investi, tandis que le branding aura toujours un intérêt. Et sur ce sujet, l’efficacité d’une vidéo restera toujours meilleure qu’une bannière. A condition que le contenu s’améliore… Déjà, on voit moins de pre-rolls de 30 secondes. Et 20 secondes, c’est encore énorme! Mais quelle que soit la durée, l’attention est toujours bien plus forte sur une vidéo que sur du display. 

Glossaire: 

DSP: Demand Side Platform, plateforme permettant aux agences et aux trading desks d'optimiser les achats d'espaces. 

Trading desk: structure qui prend en charge l’achat de l’espace publicitaire sur internet. 

Ad network: réseau publicitaire constitué d’un ensemble de sites regroupés, qui forme une offre publicitaire digitale diverse. 

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