Les Napoleons
Cofondateur et coprésident du cabinet d’études et de conseil en communication Occurrence, Assaël Adary plaide pour l’émergence d’une « datadéontologie ». Explications.

Que signifie le concept de « datadéontologie » ?

La donnée et la déontologie existent séparément depuis toujours. Il s’agit de les associer et de placer ce concept au cœur de la chaîne de valeur du big data. La data est une mine d’or ou une mine antipersonnel en fonction de la dose d’éthique qu’on y injecte. À mon sens, cela ne peut pas fonctionner sans. L’usage qui est fait de la data repose sur une notion de troc, en l’occurrence des données personnelles contre des services plus individualisés, de meilleurs usages ou encore des services facilitant la vie. Quand il s’agit de troc, il faut quelque chose en contrepartie. Dans le cas de la data, c’est la confiance. Dès que le doute s’insinue, cela ne fonctionne plus. Le contrat de confiance est rompu.

Les conséquences sont-elles si dramatiques ?

On le constate tous les jours, il n’y a pas pire trahison que la trahison de la data. Le bracelet Nike Fuel Band, accusé de fournir de fausses données, n’est même plus commercialisé. Le dieselgate de Volkswagen est une autre illustration frappante. Au final, ce qu’on reproche le plus au constructeur, ce n’est pas d’avoir fabriqué des modèles très polluants mais d’avoir organisé un système pour tromper les données. Dans un autre registre, on pourrait citer le cas de l’entreprise canadienne We Vibe, spécialisée dans les sextoys connectés. Une partie des données de la société a été hackée, permettant d’avoir accès à des données très précises et particulièrement intimes de certains utilisateurs. Au-delà de la procédure judiciaire et des dommages financiers, c’est avant tout le contrat de confiance qui vole une nouvelle fois en éclats.

Cette mission n’est-t-elle déjà pas remplie dans les entreprises par les CPO (chief privacy officers) ou encore les DPO (data protection officers) ?

Le métier de « datadéontologue » reste à inventer. Si les missions d’un CPO ou d’un DPO peuvent apparaître proches, celles-ci possèdent un côté très juridique. Le rôle du « datadéontologue » est justement d’éviter la judiciarisation à l’extrême. D’autre part, il ne faut jamais occulter la dualité entre légal et moral. Quand Google parle d’optimisation fiscale en martelant le fait qu’il s’agit de procédés légaux, l’image qui en ressort d’un point de vue moral n’est pas la même. Et on connaît les enjeux que représente la réputation pour tout acteur économique.

Quel regard portez-vous sur l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général sur la protection des données) en mai prochain ?

C’est une bonne chose car cela interroge sur l’usage et la finalité de ces données. Un des volets du RGPD repose sur la notion de « juste data » et le fait de tendre vers un juste fichier, c’est-à-dire l’inverse de ce qui se fait actuellement ! Cette entrée en vigueur va également obliger les premiers intéressés à se justifier dès la conception, afin de se servir des données strictement nécessaires. Et même si les sanctions encourues en cas de non-respect sont dissuasives, je ne pense pas qu’il y aura forcément de lourdes amendes en pagaille. Car il s’agit avant tout de l’esprit de la loi plutôt que d’une application stricto sensu des règles.

D’aucuns diront que ce règlement européen va affaiblir les sociétés et l’innovation ?

Il y a effectivement un risque dans la mesure où les datascientists travaillent en explorant de nombreuses pistes. Il faut faire attention à ne pas castrer l’expérimentation, sous peine de voir des concurrents, américains par exemple, monopoliser les innovations. Néanmoins, je reste convaincu qu’il est possible de faire de la valeur, au sens du business comme des bénéfices utilisateurs, à condition de replacer cette notion de déontologie au centre. C’est une démarche qui a déjà été engagée par des entreprises françaises comme La Poste, autour d’une notion de consentement éclairé proche de l’esprit des Lumières.

En conclusion ?

Il faut sauver la data d’elle-même !

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