RP
Réorganisées et intégrant de nouvelles expertises, les agences de RP revendiquent un rôle de plus en plus central dans l’élaboration des stratégies de communication. Certaines avancent même une compétence omnisciente qui dépasse le cadre initial de leur métier.

En ce début 2018, comme les années précédentes, les professionnels des relations publics [RP] ont le sourire. Le marché ne connaît pourtant pas de croissance exponentielle et reste relativement atomisé par une foule d’indépendants et de petites structures. Mais les marges sont très confortables et la croissance, régulière: +3% en moyenne ces trois dernières années, selon le Syntec RP. Bien servie par les réseaux sociaux et l’hystérie médiatique, qui exposent les marques à des situations de crise de plus en plus fréquentes, et capable de prouver l’efficacité de ses actions grâce à son référentiel, la profession affiche une sérénité que l’arrivée de nouveaux acteurs n’arrive pas à perturber.

«En plus des grands cabinets de conseil, les cabinets d’avocats s’intéressent à la communication de crise, les banques d’affaires se lancent dans la communication financière, les agences événementielles intègrent les RP… Nous sommes au cœur du modèle paid-owned-earned media de Forrester, se réjouit Marc Chauchat, directeur général de Burson-Marsteller i&e. L’arrivée de la technologie, ajoutée à la fusion des enjeux corporate et business observée ces dernières années, ont contribué à élargir considérablement notre périmètre d’intervention: les RP doivent aujourd’hui parler à tous les publics et non plus aux seuls leaders d’opinion.»

Une très bonne nouvelle pour tous les acteurs du marché, assortie de quelques obligations, comme celle de faire évoluer rapidement leur organisation et les profils qui les animent. «Les attachés de presse cèdent progressivement la place à des consultants qui, outre les relations avec les médias traditionnels et les blogueurs, revendiquent des compétences en gestion de réputation et/ou de crise, mais aussi en brand content et en veille de tendances», observe Frédérique Pusey, présidente du Synap, qui fédère les travailleurs indépendants du secteur.

Intégration de nouvelles expertises

Plus la structure grossit, plus la tendance à l’intégration est forte. Résultat, rares sont aujourd’hui les pure players du marché qui ne revendiquent pas une compétence de planning stratégique ou qui n’ont pas intégré des community managers, des data analysts, des digital strategists ou des créatifs dans un organigramme plus agile et transversal, auquel chacun ajoute sa patte pour se différencier de la concurrence.

«Nous nous sommes repositionnés très tôt sur l’influence et le social média, notamment par le décloisonnement de l’agence et l’intégration de nouvelles expertises dans la création de contenu pour les réseaux sociaux, ce qui nous a permis de profiter pleinement de la croissance, explique Julien Monet, président de Monet + Associés. Il y a huit mois, pour gagner en agilité, nous sommes passés sur la messagerie Slack, ce qui nous a permis de diviser par trois nos e-mails et de réduire le temps passé en réunion. De quoi conserver notre niveau de marge, malgré des budgets parfois en baisse.»

Pour d’autres, le changement est aussi une affaire de posture en adoptant, par exemple, les codes d’autres professions à forte valeur ajoutée. «Notre mission est comparable à celle d’un cabinet d’avocat. Chaque marque, entreprise ou institution est une cause, plus ou moins simple, qui anime une communauté ou un marché et qu’il nous faut défendre», résume Thomas Marko, fondateur et directeur associé de Thomas Marko & Associés, qui n’entend pas intégrer d’autres compétences que des profils de consultants «upgradés» en digital.

Mais pour certains, la tentation reste grande d’intégrer plus d’expertises, pour garder la main sur les opérations et afficher une force de frappe capable de rassurer les grands comptes. Dans le cas d’Hopscotch, c'est aussi pour des raisons culturelles: «l’agence s’est construite sur la vision anglo-saxonne du métier, explique Nathalie Bernard, sa directrice générale. Notre approche a toujours été de composer le meilleur mix d’expertises pour créer des interactions et développer l’engagement de publics cibles». Construit sur une triple expertise RP/digital/event, le groupe ne s’interdit donc aucune technique de communication, y compris le paid media. Et si 80 personnes travaillent officiellement au département RP, le groupe précise que la majorité de ses 500 collaborateurs travaillent d’une manière ou d’une autre sur la relation avec les publics.

Mutations

Chez les pure players, l’initiative la plus marquante reste la bascule opérée à l’automne 2017 par Elan Edelman, qui se positionne désormais sur le conseil en stratégie et communication à travers trois métiers: l’influence, le marketing et le consulting. «À l’heure où le marché se réinvente, les agences doivent faire leur révolution, estime Marion Darrieutort, CEO d’Elan Edelman. Nous avons tout cassé pour devenir une agence agile, sans silo, où tout le monde peut travailler les uns avec les autres. J’ai supprimé le comité exécutif et créé une “leadership team” dont les membres ne sont pas les plus gradés mais les plus actifs, les plus engagés. Je les challenge autant qu’ils me challengent.»

Les agences de RP amorceraient-elles une mutuation vers un modèle d’agence de communication globale à l’image d’Ogilvy Paris ou d’Havas Paris, au sein desquelles les RP ne seraient plus qu’une expertise parmi d’autres? «En devenant une discipline d’Ogilvy Paris, les RP font naturellement partie de la réponse de l’agence. Nous sommes désormais systématiquement assis autour de la table et avons notre mot à dire», explique Eric Maillard, directeur associé, head of influence & reputation.

Michel Bettan, vice-président exécutif d’Havas Paris, va même un cran plus loin: «Je ne sais pas comment font les pure players, mais pour traiter des cas complexes comme nous l’avons récemment fait avec Carrefour, où tous les publics et tous les canaux doivent être considérés, il est impossible de jouer correctement la partition sans pouvoir appuyer sur toutes les touches du piano. La réponse pertinente ne peut être que l’hyperintégration.» L’agence est aujourd’hui organisée autour de trois enjeux client: la transformation (pas seulement digitale), le commerce et l’engagement. Les RP sont fusionnées dans un pôle «conseil» regroupant les 150 consultants de l’agence et nourri par les expertises transversales en éditorial, en digital et en event. Une offre «tout-en-un», qui laisse les pure players sceptiques. «Je pense que le client se moque bien de savoir qui est où, et si l’agence est capable d’organiser un événement en interne ou pas. Tout ce qu’il veut, c’est qu’elle lui propose la meilleure équipe pour résoudre son problème», tranche Thomas Marko.

Trois questions à Thierry Wellhoff, président de Wellcom, membre du réseau PROI Worldwide

Quel regard portez-vous sur le marché?

Thierry Wellhoff. Le marché se porte plutôt bien du fait de la désaffection pour la publicité et de la prise de conscience par les marques du besoin de créer de la confiance. Parallèlement, de nouveaux acteurs investissent avec de gros moyens, tout le monde se bat avec tout le monde… Les années qui viennent promettent d’être passionnantes : les communicants vont devoir convaincre, et pour certains, se convaincre, de la pertinence de leur métier.

Parce que vous en doutez?

Ma conviction ne s’est affirmée que récemment, lorsque j’ai écrit mon livre (Le procès de la communication, sorti en 2016). Mais je ne pense pas être le seul. Il n’y a pas de métier où il existe un si grand écart entre la compétence requise et la compétence reconnue.

Les agences RP ont-elles réussi leur mutation?

Les grands annonceurs ont aujourd’hui compris ce que nous sommes, mais nous souffrons encore en France de la confusion entre relations presse, relations publiques (les mondanités) et relations publics (expertise de la relation avec les publics). La situation est différente à l’étranger où les RP couvrent un métier beaucoup plus large, plus proche du consulting que du prestataire. À quelques exceptions près, nos agences réalisent encore l’essentiel de leur chiffre (jusqu’à 80%) sur les relations médias et influenceurs. Nous n’avons donc pas encore réussi notre mutation.

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