Création
Ces quinze dernières années, la transformation des usages a mené la vie dure au microcosme de la publicité. Bousculée, l’idée créative a dû se repenser, sans pour autant laisser le film publicitaire sur le bord du chemin.

Tout peut bien être disruptif dans ce monde, qu’importe, la création publicitaire porte toujours aussi beau. Évidemment, pour elle aussi, le virage du digital fut difficile, car au gré des modes et autres précipitations à imiter ce qui marchait, il fallut, pour reprendre les mots d’Alexandre Hervé, fondateur en charge de la création pour Romance, « garder la tête froide ». Depuis sept ans, sans conteste, nous y sommes, le digital est devenu un acquis pour tous. 

Mais avec 53 % de la population mondiale désormais connectée à internet, pourrait-il prochainement supplanter toute autre forme créative pour qui voudrait gagner ses lettres de noblesse dans le monde publicitaire ? La question se pose. « Dans tous ces changements, la seule chose qui n’ait pas changé, ce sont les attendus. Ce qui l’emporte reste l’idée, répond Alexandre Hervé. Le média, digital ou pas, n’en est que l’expression. » Qu’importe le flacon donc, pourvu qu’on ait l’ivresse, la big idea restant le Saint Graal du créatif. Pour Sandrine Plasseraud, présidente de We Are Social, c’est bien elle qui fait encore toute la différence : « Dans un monde qui surproduit des contenus, pourquoi suivre une marque plutôt qu’un influenceur ou un ami ? Pour émerger, il faut de la singularité et de la force. » 

Pour Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de BETC Paris, rien n’est possible sans interactivité : « Ce nouveau phénomène a tout changé. Plutôt que de dépenser des millions en médias, on doit surtout savoir créer des objets engageants, pour que les gens relaient une idée. » Un phénomène d’autant plus complexe que, sur la toile, on s’adresse désormais à une multitude de communautés aux goûts spécifiques. « L’exercice exige une précision accrue. On ne peut plus vouloir parler à tout le monde, sous peine de diluer la force d’un message », poursuit-il. Une règle que son agence a fait sienne sur ses dernières campagnes, comme avec le faux compte Instagram de Louise Delage. L’influenceuse trinquait en toutes circonstances, au point d’alarmer sa communauté, prise sans le savoir dans les filets d’une action de prévention contre l’alcoolisme du Fonds Actions Addictions.

 

De nouveaux horizons

Cette mobilisation nouvelle autour d’un digital tout-puissant a-t-elle pour autant enterré l’attrait des agences vis-à-vis des médias classiques ? Pour tous, cette question n’a pas de sens : « Loin d’opposer deux types de médias, le digital a inventé une nouvelle école de la création aux horizons élargis », atteste le directeur de la création de l’agence J. Walter Thompson, Thomas Derouault. 

Un état d’esprit qui anime aussi la jeune garde, comme en témoigne le team BETC primé par le Prix Stratégies des jeunes créatifs 2017 : « Nous n’avons pas de préférence pour un format spécifique, soulignent Romain Ducos et Chrystel Jung. Tout dépend de ce qui doit être exprimé. » Même son de cloche enfin chez certains annonceurs, à l’image de la marque Monoprix, qui compte depuis quelques années à son actif des campagnes marquantes dans tous les formats. « Nous briefons toujours sur un insight et sur l’idée à transmettre, explique Florence Chaffiotte, la directrice marketing, mais jamais sur une demande de média spécifique. » 



Un joyeux mélange des genres

Ce nouveau courant annonce des ping-pongs créatifs passionnants. Pour Tristan Daltroff et Louis Audard, directeurs de création de l’agence Buzzman, « un tweet peut désormais devenir une campagne, comme une accroche pub peut devenir un tweet qui fait le tour du monde. Quant au film de 45 secondes, il s’agira peut-être du plus gros buzz sur le web. Nous assistons de plus en plus à un mélange des genres où tout s’imbrique et se nourrit. » La confusion règne, pour le plus grand bonheur du marché. Buzzman transforme des bannières en campagne presse pour Boursorama ; Romance s’amuse pour Intermarché à utiliser une campagne d’affichage volontairement truffée d’erreurs pour faire réagir sur les réseaux sociaux ; et la dernière grande copy de Monoprix, « Lait drôle la vie », réussit à toucher, avec seulement 17 passages télévisés, 58,6 millions d’individus, en créant l’événement sur le net. 

La pensée créative se libère et les règles établies disparaissent, laissant présager l’évolution du métier vers deux grandes directions complémentaires. Selon Jean Allary, transfuge d’agence traditionnelle venu monter avec d’autres la direction de la création de l’agence de stratégie data Artefact, « l’ère de l’ultra-algorithmisation rend plus vrai que jamais le fait d’avoir besoin de grandes idées qui émergent. Mais nous aurons d’un côté de la création puissante pour cultiver la singularité des marques, et de l’autre des campagnes d’engagement très digitales pour décliner et cibler. » 

Mais surtout, qu’on ne s’y trompe pas, sur ces nouveaux terrains de jeux, le sacro-saint film gardera toujours une place à part dans le cœur des créatifs et des publivores. Preuve en sont les récents succès des longs formats « J’ai tant rêvé » et « L’Amour, l’amour », imaginés par Romance pour Intermarché. Pour Jean Allary, la vidéo reste irremplaçable dès lors que l’on parle d’émotion : « Son enjeu créatif deviendra d’ailleurs passionnant, puisque les idées traditionnellement pensées pour du 30 secondes devront désormais être assez élastiques pour être compréhensibles en 5 comme en 90 ou 120 secondes. » Et puis demeure ce qui ne s’explique pas. Romain Ducos et Chrystel Jung sont trop jeunes pour avoir regardé un spot à 20h30 avant le film du dimanche soir, et pourtant « produire un film qui gagnerait à Cannes reste un rêve de gosse », admettent-ils. Alors non, définitivement, le digital n’a pas tué le 30 secondes.

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