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La semaine des Cannes Lions décryptée par Faustin Claverie et Benjamin Marchal, directeurs de la création de TBWA Paris.

Qu’avez-vous pensé de cette nouvelle formule des Cannes Lions ?

C’est très léger pour une révolution. Pour être honnêtes, on pense que Cannes est un concessionnaire de luxe alors que notre métier s’apparente à vendre des voitures du quotidien. Cannes est un exercice publicitaire à part. Néanmoins, les agences suivent la tonalité du festival, et on se retrouve avec du social et de la technologie quasiment partout. S’ajoutent à ces acteurs les annonceurs historiques comme Apple ou Nike, qui font du super travail - et heureusement qu’ils sont reconnus ! Le problème, c'est que dans l’entre-deux, celui où tu dois vendre des objets du quotidien, il n’y a plus de place à Cannes. C’est dommage car c’est le cœur même de notre métier. Nous avons l’impression qu’il est devenu sale d’arriver à Cannes avec une simple campagne produit. Quand on regarde le bilan on se rend compte que le meilleur de la création française n’est plus récompensé : un seul bronze pour « The worst song in the world », et pas dans la catégorie film, tout comme le film de Romance pour Intermarché l’année passée, alors que ces campagnes répondent à de vraies problématiques client.



Comment expliquez-vous cette tonalité créative ?

Il n’y a plus de place pour une autre culture que celle de la Silicon Valley, avec le puritanisme qu’elle engendre. C’est principalement pour cela qu’il y a une prédominance des bons sentiments. Il y a de moins en moins de place pour l’irrévérence, pour l’acidité et pour tout un pan de la comédie mondiale. Aujourd’hui, il faut être bien-pensant. S’uniformisant sur ce modèle, certaines formes de créativité sont amenées à mourir. Sur ce point, nous nous sentons nous éloigner de l’esprit du festival. On perd toute la bizarrerie de la publicité que nous aimons.



Comment voyez-vous la présence de challengers de la tech ou du conseil sur le festival ?

La publicité n’est plus qu’une petite partie du festival. Ce qui est certain, c'est que nous n’avons pas la même culture. Nous trouvons trop facile de répéter sans arrêt que la publicité fait partie de l’ancien monde et que les géants de la tech et du conseil sont le futur, sous prétexte qu'ils ont du réseau et des moyens considérables. Ils sont de plus en plus écoutés mais ne créent en réalité, ni contenus ni points de vue. Ils veulent nous faire passer pour des australopithèques car c’est pour eux la seule façon de pouvoir s’arracher notre maigre butin.



Le festival a-t-il perdu en lisibilité ?

Tout se mélange et il est parfois compliqué de s’y retrouver. Des idées issues directement du planning sont jugées avec des idées purement créatives, alors que cela n’a rien à voir. Désormais tout le monde peut obtenir son Lion, des planneurs aux producteurs voire même aux commerciaux. C’est assez nouveau, et nous verrons sur le long terme si cela fonctionne. La stratégie doit néanmoins rester le prémice de la création. Il est en tout cas plus difficile de prédire des tendances fiables. Il n’y a que Lacoste dont tout le monde savait qu’ils prendraient quelque chose.



Qu’avez-vous pensé de l’année française ?

Contrairement à ce que beaucoup de gens disent, nous trouvons que c’est une bonne année. Quatre agences françaises ont remporté du Gold (BETC, Marcel, Herezie et TBWA Paris) et DDB Paris a aussi performé. La bonne nouvelle, c'est que le Gold a été revalorisé. Cela nous rapproche du festival que nous connaissions et que nous aimions. À l’époque, un Gold suffisait à ton bonheur ! Les dérives du palmarès de l'année dernière sont passées par là… (rires). Marcel « prend » quand même quatre Gold et BETC une quinzaine de prix. Nous pouvons donc être satisfaits, même si comme chaque année, certains projets auraient mérité mieux.



Selon vous, comment devrait évoluer le festival ?

Les Cannes Lions regroupent aujourd’hui dix métiers totalement différents. Pourquoi ne pas créer plusieurs festivals regroupés dans la même entité ? On aurait au même endroit un festival créatif de la tech, de la publicité et des PR par exemple. Cela permet d’éviter de brouiller la perception créative du festival. De plus, il serait bon que, comme il y a quelques années, un juré ne puisse être éligible que s’il a gagné un Lion. C’est un minimum.

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