Entretien
Après deux mandats à la tête de Lévénement au terme desquels il était censé céder la place, Bertrand Biard a été prié de rempiler pour un an. Il nous explique pourquoi et revient sur le marché, les pratiques et les chantiers du secteur.

Comment résumeriez-vous l’année 2018 pour la filière ?

Bertrand Biard. Je me réjouis de la force et de l’engagement de la filière avec (en 18 mois) la création d’une école de formation initiale (LéCOLE), le redéploiement de la formation continue avec l’Institut de l’Événement, et la création du French Event Booster – une plateforme d’incubation de start-up et de co-working innovation. Le tout installé dans le même espace à la Porte de Versailles. Je me réjouis aussi de la sortie de l’Event Impact Score, premier outil de mesure mondial de l’efficacité événementielle développé avec Nielsen.

Et sur le plan économique ?

On a observé cette année une recrudescence du volume d’activité assez impressionnante. Depuis un an, il y a beaucoup de projets dans l’air sans qu’on puisse vraiment l’attribuer à un facteur précis (reprise économique, changement de président en France, etc.). On sent une vraie effervescence que les facteurs comme les grèves n’ont pas vraiment impacté. On sent bien que les annonceurs ont besoin de communiquer, qu’ils ont tiré les leçons de 2008 et 2011 où les budgets avaient été figés, voire coupés pour la communication interne. La communication globale s’est événementialisée pour répondre au besoin de créer du lien et de l’expérience. Toutes les campagnes sont montées à 360 degrés, les dispositifs se diversifient et nous nous retrouvons face à des cabinets de conseil sur des problématiques de communication interne, d’accompagnement au changement, face à d’autres profils d’agences sur de la communication externe…

On voit quand même très peu d’agences événementielles prendre le lead sur les plus grosses campagnes…

Il y a encore un héritage historique qui profite aux agences de publicité, mais il y a surtout un problème de volumétrie. Ces grosses campagnes pluri-média sont aujourd’hui gérées via un budget unique là où il y a quelques années, il était morcelé. Hormis quatre ou cinq gros opérateurs de notre marché qui pourraient se permettre de pitcher, les grandes agences indépendantes du secteur sont souvent orientées corporate et n’ont donc pas vocation à participer à ces appels d’offre. Pour toutes les autres se pose la question de la taille critique. Laquelle est d’autant plus difficile à résoudre que nos marges brutes sont beaucoup plus faibles que d’autres profils d’agences. Notre structure bilancielle est moins séduisante que celle d’agences qui réalisent plus de 80 % de marge ! Une fois les achats et les frais de production soustraits, nous nous retrouvons en moyenne à 25 %, un niveau qui ne nous permet pas de nous développer comme nous le souhaitons, d’investir dans des start-up ou nous développer à l’international ! Nous y arrivons en faisant évoluer notre activité par la création d’événements propriétaires, pour certains la création de lieux événementiels, mais avec un business modèle qui devient complexe…

Beaucoup d’activité et peu de marge, donc…

Oui. La période est assez paradoxale car nous avons beaucoup avancé sur les grands chantiers que sont la relation agence-annonceur et les achats. Il reste quelques nœuds sur les référencements pluriannuels pour de très grands groupes : ils internationalisent leur process et norment leur politique d’achat sans tenir compte des spécificités locales (coûts de production, taxes…).

Le dernier grand sujet économique qu’il nous faut régler est celui de la rémunération des agences, qui comprend actuellement un fixe (rémunérant le conseil et la créativité), une rémunération homme/jour (systématiquement forfaitisée en dessous de la réalité) et une commission sur la maîtrise d’ouvrage (CMO) sur l’achat (et parfois la transformation) de prestations. Nous arrivions à nous accommoder de ce système, mais beaucoup de clients ne veulent plus de CMO. Il faudrait alors réintégrer le temps passé par nos collaborateurs sur ce dernier poste en rémunération temps/hommes, ce dont les annonceurs ne veulent pas entendre parler !

Lévénement a fait évoluer ses statuts pour vous permettre d’être réélu un an de plus à la présidence de l’association ! Que s’est-il passé ?

Un grand nombre de chantiers ont été lancés ces derniers mois : des projets que j’ai amorcés, pour lesquels je me suis énormément investi et sur lesquels il pouvait sembler difficile de reprendre la main pour un nouveau président. Après six années de présidence, je suis en vitesse de croisière et reste le mieux placé pour gérer ces dossiers. Nous avons donc convenu d’un aménagement favorisant un transfert de responsabilité en faisant évoluer la gouvernance de Lévénement qui compte désormais un président et trois vice-présidents chacun en charge d’un pôle : je porte les relations institutionnelles, Vincent Dumont (Chaïkana) est en charge de la relation agence-annonceur, Mikaël Lavollé (Monsieur Loyal) du rayonnement, Stéphane Abitbol (S’cape Événements) de la vie associative.

Le conseil d’administration de l’association reste majoritairement masculin. La parité dans l’événement ne doit-elle pas devenir un chantier ?

C’est un vrai sujet car il n’y a que trois femmes sur quinze membres au conseil d’administration – Muriel Blayac (Lever de Rideau), Béatrix Mourer (Magic Garden) et Carla de Oliveira (Hopscotch Event). Mais je ne sais pas si cela peut être un chantier, car il n’y a sur ce point pas de « problème ». Vous aurez beau chercher, il n’y a pas de plafond de verre dans notre métier. On trouve des femmes à tous les postes, en chef de projet, directrice de clientèle et  planning stratégique, mais aussi sur des postes plus techniques comme directrice de production, régisseuse, cadreuse, électricienne… À quelques exceptions près, les hauts potentiels féminins préfèrent soit rester salariées de grands groupes de communication (dont je ne connais pas la politique interne en matière de parité), soit font le choix de se mettre en indépendantes pour gérer leur vie de manière plus équilibrée parce qu’elles ne veulent plus gérer de projet dans leur ensemble. Les trois femmes qui siègent au conseil d’administration sont aussi les seules patronnes d’agence membres de Lévénement. 

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