Modèle
En se positionnant sur le créneau de la digital business transformation, Publicis.Sapient entend concurrencer frontalement des acteurs mondiaux comme Accenture. Un nouveau cap et un défi de grande ampleur pour l'agence.

C’est une rengaine qui revient à intervalles réguliers dans le monde de la communication. Les groupes mondiaux comme Publicis seraient directement menacés par la montée en puissance des poids lourds du conseil, à l’image d’Accenture, incarnation de ces acteurs qui grignoteraient progressivement de précieuses parts de marché. Mais l’heure est désormais à la contre-attaque. C’est en tout cas l’objectif qu’affiche Publicis.Sapient en France, en prenant officiellement la parole pour la première fois. « La réalité opérationnelle est là », confirme d’emblée Julien Duizabo, chief marketing officer, rappelant que « Publicis.Sapient est une entité légale depuis juin 2018 ». En filigrane, l’aboutissement d’un patient travail de réorganisation, assorti d’un profond changement de culture d’entreprise. Deux missions parallèles qui nécessitent forcément du temps. « Le projet consiste à réunir un certain nombre d’expertises digitales déjà présentes au sein du groupe tout en recrutant des nouveaux profils spécialisés dans des disciplines comme la tech et le business consulting. Il s’agit donc d’une dynamique de rassemblement mais aussi de recrutement afin d’être en mesure de devenir un leader de la transformation digitale », développe Véronique Beaumont, propulsée présidente de ce nouvel ensemble.

L'expérience utilisateur pour porte d'entrée

Dans les faits, Publicis.Sapient, qui compte près de 650 salariés, s’appuie sur les effectifs préalablement répartis au sein d’agences digitales du groupe comme DigitasLBi, Sapient.Razorfish ou encore « une partie des équipes de Nurun », complète Julien Duizabo, reconnaissant à demi-mots que l’intégration des salariés de Nurun au sein de Publicis Conseil, annoncée par le groupe début 2017, n’était finalement que partielle. « Je ne suis pas persuadée que le travail de réorganisation mené en interne soit le plus important. Ce qui compte, c’est ce que nous sommes en train de mettre en place », relève Véronique Beaumont à propos de Publicis.Sapient, qui s’appuie également sur deux directeurs généraux avec Sandrine Vissot-Kelemen et Christophe Guénard. L’organisation, quant à elle, est clairement définie. Outre une architecture par industries -soit six pôles et un P&L organisé au regard de cette classification-, l’agence développe son activité autour de trois « capabilities » transverses : market experience, engineering et stratégie. « Aucune stratégie ne peut être conçue sans passer par l’expérience utilisateur », confirme Jean-Pascal Mathieu, directeur des stratégies d’expérience au sein de l’agence. « Concrètement, c’est souvent par ce biais, la consommation au cœur, que l’on rentre dans le processus de transformation », souligne Yvan Saule, chief technical officer de Publicis.Sapient. Et de citer à titre d’exemple le cas d’un établissement bancaire, « dont l’ouverture d’un compte peut servir de point de départ à une mutation plus générale ». Une méthodologie qui permettrait à Publicis.Sapient de se différencier de ses concurrents directs, en « pensant d’abord client pour toucher in fine les process et les organisations », assure ce dernier. « Pourquoi une telle organisation ? Tout simplement car notre cœur de métier est la DBT (digital business transformation) et nous devons par conséquent être capables d’adresser la transformation d’une entreprise dans sa globalité », poursuit Julien Duizabo, rejoint par Véronique Beaumont, rappelant que « la digital transformation est un sujet end-to-end qui englobe forcément l’expérience utilisateur ».

Vers une collaboration multi-pays

Un credo que Publicis.Sapient expérimente déjà au quotidien pour le compte d’au moins trois annonceurs majeurs: Carrefour, AccorHotels et BNP Paribas, via des missions allant du parcours utilisateur à l’IT en passant par le business model. On l’aura compris, la priorité n’est pas tant d’accumuler les clients que de les accompagner à une plus large échelle. « Publicis.Sapient dispose d’un portefeuille clients composé d’une trentaine de comptes à l’heure actuelle », reprend Julien Duizabo, citant entre autres Nissan –« un compte historique dont nous accompagnons le marketing digital dans 27 pays avec des pics à près de 4000 mises en ligne annuelles »- ou La Banque Postale. Des comptes sur lesquels l’agence ne cache pas sa volonté d’élargir la collaboration tout en séduisant de nouvelles marques. Pour ce faire, l’agence française pourra s’appuyer sur un réseau européen et même mondial, « composé de près de 23 000 personnes », ajoute le chief marketing officer. « Il existe une volonté de travailler plus largement à l’échelle européenne via un modèle de collaboration multi-pays avec le Royaume-Uni et l’Allemagne notamment », éclaire la présidente de Publicis.Sapient en France. « Même si la transformation n’est pas toujours aisée à mettre en œuvre, nous pensons porter avec ce modèle et ces nouvelles méthodologies inspirées de l’esprit start-up une proposition de valeur différente de ce qui se fait actuellement sur le marché », détaille avec franchise la dirigeante, reconnaissant que « le recrutement reste le nerf de la guerre » afin d’attirer « une typologie de métiers assez nouvelle » (scrum masters, devops…). « Il faut être en mesure de monter des plateaux agiles afin de répondre aux attentes des clients, de la même manière que nous le faisons pour Carrefour par exemple avec une centaine de salariés mobilisés au quotidien », ajoute-t-elle.

Reste une question : dans un écosystème habitué à communiquer régulièrement -pour ne pas dire à outrance-, pourquoi avoir attendu pour faire entendre sa voix ? Au-delà des profondes mutations engagées en interne pour déployer ce nouveau modèle -une opération qui prend mécaniquement du temps dans un groupe aussi important et hiérarchique que Publicis-, « il y avait la volonté de structurer notre offre et notre discours pour expliquer en quoi nous sommes différents des principaux cabinets de conseil », conclut la présidente. Cette contre-attaque suffira-t-elle à inverser la tendance ? A n’en pas douter, c’est une nouvelle fois le marché qui tranchera.

Chiffres-clés

6 Le nombre de pôles de l’agence, organisée par industrie (automotive, retail, produits de grande conso, travel&finance, banque, énergie)

30 Le nombre de clients qu’accompagne actuellement l’agence

650 Le nombre total de salariés de l’agence (hors Nurun)

 

Encadré

Sapient, un investissement qui doit encore faire ses preuves

Le 3 novembre 2014, Publicis, qui se remet à peine de la fusion avortée avec Omnicom quelques mois plus tôt, rebondit en annonçant faire l'acquisition du groupe américain Sapient, spécialisé dans le marketing et la communication numériques. Montant de l’opération : 3,7 milliards de dollars. Un chiffre qui suffit à lui seul à illustrer les espoirs nourris avec ce rachat par le groupe français, qui déclare alors que le numérique représentera plus de 50% de ses revenus « trois ans avant l’objectif prévu par le plan stratégique 2018 ». Quatre ans plus tard, force est de constater que l’intégration aura été tout sauf une mince affaire. Exemple le plus criant de ces difficultés, la dépréciation de la valeur comptable de Publicis.Sapient à l’issue de l’exercice 2016, qui fait plonger le résultat net du groupe dans le rouge (perte nette de 527 millions d’euros). « Une pure opération comptable », défend alors Maurice Lévy, reconnaissant dans le même temps que le business plan de Sapient était probablement « trop ambitieux ». Pas de quoi néanmoins remettre en question l’intérêt à moyen et long termes de cette acquisition, comme le martèle Arthur Sadoun depuis sa nomination en tant que président du directoire, évoquant un élément clé pour mener à bien la transformation du modèle de Publicis engagée à l’échelle internationale. Une communication mondiale à propos de Publicis.Sapient serait d’ailleurs programmée pour le mois de novembre.

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