Conseil
Quelle est la stratégie de développement et d'acquisitions d'Accenture, en particulier dans le digital ? Comment ce géant digère-t-il tous ses rachats ? Pour mieux comprendre ce mastodonte qui compte 469 000 salariés dans le monde, Stratégies avait rencontré, en décembre, Pierre Nanterme, qui l'a dirigé durant de longues années. Après sa disparition, annoncée jeudi 31 janvier, nous republions son interview.

Comment définiriez-vous Accenture aujourd'hui ? 

C’est une société spécialisée dans les services professionnels aux entreprises, leader mondial dans les activités de conseil, de digital et de technologie. Le groupe fait presque 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires, compte 469 000 collaborateurs et pèse près de 100 milliards de dollars de capitalisation boursière. On intervient dans plus de 100 pays tout en couvrant une vingtaine d’industries au travers d’une organisation sous la forme de cinq business, à l’image d’Accenture Strategy ou d’Accenture Consulting. Notre proposition de valeur est de fournir des prestations de bout en bout sur l’ensemble de nos activités. La première c’est l’ensemble services professionnels, qui va de la stratégie au consulting en passant par le digital, la technologie et les opérations. On est le seul acteur à posséder cette panoplie qui va du conseil en stratégie jusqu’à la capacité de délivrer pour nos clients. C’est délibéré. Avec Accenture Interactive, on fournit là aussi une prestation digitale qui couvre les besoins des clients de bout en bout. On n’est pas sur une partie, on vise à offrir l’ensemble de la palette, d’où notre taille.

 

Quels sont vos principaux concurrents ?

Il faut raisonner par métiers. En conseil en stratégie, c’est typiquement Mc Kinsey ou BCG. Dans le consulting, c’est principalement ce que l’on appelle les Big Four : Deloitte, E&Y, PwC et KPMG. Le digital est aujourd’hui à part pour Accenture Interactive puisque c’est un marché organisé et structuré où nos concurrents sont d’un côté les holdings et de l’autre les nouveaux acteurs issus du conseil ou de la technologie. Pour Accenture Technologie, nos concurrents sont plus dans l’intégration de services, typiquement un Capgemini ou un IBM.  Et puis dans le domaine des opérations, cela va être le monde des outsourceurs. Vous voyez, c’est vraiment par nature de business et c’est pour cela qu’on a souhaité être très clairs et organiser nos métiers comme des pure players travaillant en synergie avec les autres business. L’objectif, c’est d’être dans les deux ou trois leaders mondiaux dans chacune des catégories.

 

Accenture a réalisé en cinq ans plus de 100 opérations de fusions et acquisitions dans le monde…

On en est en réalité à presque 150 en six ans, dont trois importantes en France en 18 mois avec Octo Technology, Altima et Arismore. Octo Technology, c’est ce qu’on appelle du new IT avec des spécialités notamment dans le domaine de l’analytic, de l’intelligence artificielle, de la blockchain… Altima était un des leaders français du e-commerce et Arismore également un leader français dans le domaine de la cybersécurité.

 

Est-ce que ce rythme d’acquisitions est amené à se poursuivre ?

Oui. Parce qu’aujourd’hui la révolution digitale n’est pas terminée, elle est en même loin. Donc on continuera à opérer cette stratégie de croissance organique et externe autant de temps que nécessaire pour se doter des capacités pertinentes pour être le leader sur ces différents marchés. Et donc on va continuer au même rythme. Sur les 18 derniers trimestres, 15 se sont soldés par une croissance à deux chiffres. Cela vous donne quand même une idée du dynamisme de l’entreprise sachant qu’environ 80% de la croissance du groupe est fondée sur une forte croissance organique de l’ordre de 8%. Ainsi nous recrutons environ 100 000 personnes par an, dont 80% de jeunes diplômés.

 

Vous aviez récemment déclaré dans Les Echos que le rachat d’un groupe comme Publicis ne vous intéressait pas. A l’inverse, certains actifs du groupe WPP, notamment Kantar, peuvent-ils vous intéresser ?

Mon job et le job de leadership consiste à tout regarder. D’abord dans l’impact que cela peut avoir pour Accenture, que les conséquences soient petites, moyennes ou transformantes. Ce n’est pas parce qu’on ne fait pas certaines opérations qu’on ne les étudie pas, qu’on ne les analyse pas. Il faut savoir si ces opérations sont de nature à accélérer ou améliorer l’évolution de notre stratégie. Après, on fait du scenario planning : qu’est-ce qui se passe si quelqu’un d’autre fait l’opération ? Est-ce de nature à modifier notre environnement concurrentiel ? D’une certaine manière, sur des opérations de taille importante, on fait plus de scenario planning en permanence, observer les combinaisons qui peuvent changer l’environnement, renforcer ou challenger Accenture, et puis à partir de là on écrit notre propre scénario. La stratégie, en fait c’est de regarder plusieurs scénarios. Donc il est clair qu’on a pris une décision stratégique d’être un acteur leader mondial avec Accenture Interactive dans le marketing et l’expérience digitale. On l’a dit, on l’a affiché et on l’est. Cela étant, la question n’est pas la taille… mais la croissance rentable. Le but n’est pas d’être gros mais de développer une croissance rentable qui génère des profits que vous pouvez redistribuer à vos employés, à vos actionnaires, et qui permette d’investir. On a aujourd’hui cette capacité d’investissement. Donc tout ce qui a un lien avec les activités d’Accenture Interactive évidemment, on regarde. Donc on regarde pour nous, et pour les autres, on fait deux fois le travail !

 

Pour revenir plus spécifiquement au marché français, est-ce qu’il ne manque pas dans votre arsenal une agence à forte personnalité créative ?

On regarde ça de très près. On a déjà franchi le pas dans certains pays avec Rothco en Irlande, qui a d’ailleurs remporté plusieurs prix à Cannes en 2018, Karmarama au Royaume-Uni ou encore The Monkeys en Australie. On est très satisfait des synergies développées entre ces agences et le reste d’Accenture mais le sujet de la créa est un sujet stratégique qui suscite toujours plus notre intérêt. Et bien entendu, on regarde sur les marchés prioritaires que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni l’Allemagne, la France et le Japon.

 

Cela pose aussi inévitablement la question de l’intégration !

J’entends souvent revenir ce discours autour des problèmes d’intégration mais la réponse est non. Pourquoi c’est non ? D’abord parce que toutes ces acquisitions concernent des pépites de taille petite à moyenne. Aucune acquisition transformante d’entreprise de taille très importante n’a été réalisée. En France par exemple, les trois acquisitions précitées représentent près de 1000 personnes, avec des effectifs répartis équitablement. Vous avez un peu le centre de gravité de ce qu’on recherche, c’est-à-dire des sociétés qui ont un savoir-faire extrêmement pointu et spécifique. On cherche donc des pure players qui ont des talents, des outils, des clients et qui sont à la pointe dans leur domaine. Parce qu’Accenture amène le reste. Certaines de ces sociétés travaillaient pour une ou deux secteurs d’activités, on en amène 20 ! On fournit l’effet de levier et la capacité d’investissement. C’est pour cela qu’on n’a pas besoin de faire une acquisition transformante, on cherche ces pépites pour les faire grandir en les mettant dans notre environnement.

 

Justement vous avez récemment évoqué dans une interview à Fortune un protocole d’intégration spécifique, une sorte de méthodologie propre. Pouvez-vous le détailler ?

On a en effet un protocole d’intégration qui est maintenant bien rodé et qui tient un peu de la théorie des métiers adjacents. Quand l’acquisition est très proche de nos corps métiers, on est dans l’intégration. Si c’est très technologique ou très conseil, on intègre voire on donne notre marque. Plus on s’éloigne, plus la démarche d’intégration va être légère. Dans l’exemple de Fjord (agence de design), nous avons préservé la culture, l’identité de la structure… Nous avons démarré par le design web pour aller vers le design de produits. Avec Fjord notre objectif ce n’est pas qu’ils deviennent Accenture, c’est qu’ils soient dans l’environnement Accenture pour nous apporter leurs spécificités. Fjord maintenant fait complètement partie de la famille mais on a gardé la marque et on en a fait une marque mondiale. Aujourd’hui, Fjord est le plus gros studio de design digital au monde avec 1000 designers -quand ils nous ont rejoint (en 2013), ils étaient 130- pour plus d’une vingtaine de studios dans le monde… On a dû tripler ou quadrupler le nombre de studios, ce qui montre l’expansion géographique. Et aujourd’hui ils couvrent toutes les industries dans lesquelles Accenture opère. Ils sont aujourd’hui beaucoup plus intégrés dans l’entreprise dans le respect de leur spécificité et de leur culture Ce protocole explique une croissance qui ne se dément pas.

 

À la différence des GAFA, vous n’avez pas de siège social emblématique…

Non, on en a 100 ! Vous imaginez, 469 000 salariés… Ils sont quelque part, ils ne se promènent pas comme ça dans la nature. Ils ont tous leurs lieux dans lesquels ils se retrouvent et ils ont des activités communes et un sentiment d’appartenance extrêmement développé. Mais où est la glue entre les différents pays me direz-vous… J’ai particulièrement travaillé lorsque je suis arrivé sur la différence entre la culture et les valeurs. Souvent les entreprises quand elles utilisent le terme « One culture » font une énorme erreur de langage… Les valeurs, ce sont les éléments intangibles avec lesquels vous ne transigez pas dans le monde entier. Pour nous, cela va être l’intégrité, le respect de l’individu, la centricité client, l’inclusion et la diversité. Que vous soyez à Jakarta ou à Paris, on ne transige pas avec cela. Nos acquisitions commencent par là. On ne fera aucune acquisition avec une entreprise qui ne partage pas nos valeurs. La culture, c’est très différent, c’est ce qui caractérise un sous-groupe d’individus. Le Français est différent de l’Américain, évidemment. Il faut protéger la différence dans les valeurs, il faut être intransigeant sur leur respect. Après, il y a effectivement la marque.

 

Autre spécificité par rapport aux GAFA, la discrétion des dirigeants d’Accenture…

Moi je n’ai pas créé Accenture même si cela fait 35 ans que j’y travaille. Je suis un relayeur. Je prends le bâton de mon prédécesseur, je fais de mon mieux pour laisser l’entreprise dans une meilleure position que celle dans laquelle je l’ai trouvée -qui était déjà excellente. Meilleure, c’est-à-dire plus pertinente par rapport à son marché. Et après je vais donner le bâton du relayeur au suivant qui le donnera lui-même à son successeur. Moi j’ai démarré à l’audit, 10 ans après on devenait leader du conseil, 10 ans après de l’intégration de services informatiques, 10 ans après de l’outsourcing et 10 ans après le début de mon mandat on devient le leader mondial des services de prestations digitales. Le suivant deviendra leader mondial de ce nouvel horizon qui sera peut-être une autre humanité… Je ne suis pas le fondateur de cette entreprise, j’en suis l’animateur, j’en suis l’homme de stratégie et je passerai le relais. Et les activités de conseil cultivent aussi traditionnellement cette discrétion. D’ailleurs si on faisait l’exercice : qui est le patron de Deloitte ? Qui est le patron de PwC ? Pas facile de donner la réponse...

Chiffres clés

 

469 000 Le nombre de salariés d’Accenture dans le monde. 

39,6 milliards En dollars, le chiffre d’affaires annuel d’Accenture.

800 millions En dollars, l’investissement annuel du groupe en R&D.

6 milliards En dollars, le chiffre d’affaires d'Accenture Interactive à l'issue de l'execice fiscal 2017.

60% La part du chiffre d’affaires que représente The New (ensemble des nouveaux métiers tels que le cloud, la cybersécurité, le marketing et la publicité en ligne).

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.