Dossier Communication
Le marché des agences spécialisées en communication santé a considérablement évolué ces dernières années sous l’influence du digital, des associations de patients et des avancées de la recherche.

Les agences de communication santé vont bien, merci. Le marché n’a certes pas retrouvé le faste des années 1990, lorsque les lancements de blockbusters - les médicaments de masse - s’accompagnaient de vastes campagnes à destination des médecins, soutenues par des visites en cabinet. Aujourd’hui, les thérapies sont plus ciblées, voire personnalisées, et les outils numériques ont pris le relais des visiteurs médicaux. Le groupe Publicis vient d'ailleurs de se séparer de sa filiale Publicis Healthcare aux États-Unis, spécialisée dans les forces de vente. Les agences se renforcent dans le medical education (ou meded), l’éducation médicale à destination des professionnels de santé. Celle-ci passe par des outils de formation en ligne, des robots conversationnels utilisant l’intelligence artificielle, des applications mobiles, tout autant que des brochures papier utiles en consultation. Bref, le métier change, mais l’expertise reste centrale, portée par des consultants ayant souvent un double cursus marketing et scientifique. « La santé est un univers qui évolue énormément sous l’effet du digital et des biotechnologies », explique Linda Pavy, qui dirige le département santé nutrition de BCW France (WPP), né de la fusion de Burson-Marsteller et Cohn & Wolfe en juillet 2018. « Dans le passé, il suffisait de sortir un nouveau produit, de l’expliquer au médecin et celui-ci prescrivait. Aujourd’hui, les patients veulent comprendre le fonctionnement des molécules et, avec les nouvelles recherches, on peut créer un produit lié à votre profil génétique », ajoute l'ancienne directrice marketing dans un laboratoire pharmaceutique.

Des patients « experts » sur les réseaux sociaux

La communication santé s’effectue depuis quelques années sous l’œil des patients, qui se fédèrent en associations et se positionnent en experts de leur pathologie. On voit ainsi des jeunes femmes s’affichant avec leurs poches de stomie [ouverture sur l'abdomen, permettant l'évacuation des selles] sur Instagram à la suite d'opérations de l’appareil digestif, bousculant les tabous sur la maladie. À cela s’ajoutent les infox en santé, les mouvements antivaccins et les scandales du Mediator, du Levothyrox ou des prothèses mammaires, qui placent l’activité des laboratoires sous surveillance. Ceux-ci doivent s’ouvrir aux questionnements légitimes du public, ce qui pousse les agences à s’équiper en spécialistes de communication de crise et d’affaires publiques.

À ce jeu, les filiales de groupes internationaux sont avantagées. « Nous sommes sur la ligne du groupe Publicis, qui est d’utiliser les data pour adresser le bon message à la bonne personne, au bon moment, témoigne Laurence Meyer, présidente de Publicis Health France. La tendance est à la communication personnalisée. Je travaille avec Publicis Consultants pour l’écoute des réseaux sociaux, l’identification des leaders d’opinion, les problématiques d’image et de réputation. » Au sein d’Interpublic Group, McCann Health travaille de concert avec Weber Shandwick en relations publics, MRM sur le digital et McCann Paris en publicité, les structures se partageant les volets communication médicale et « disease awareness » (sensibilisation à une maladie). « Tous nos responsables de projets ont une formation scientifique, souligne Claire Vancappel, directrice des opérations de McCann Health. En revanche, on constate une fragmentation des appels d’offres. Les laboratoires font du “cherry picking”, ils achètent des compétences dans plusieurs agences au détriment de la vision stratégique d’ensemble. Il arrive qu’une compétition à trois agences se termine par le partage du budget sur les trois. »

L'avantage des indépendantes

Pour les agences indépendantes, la concurrence est d’autant plus rude. Elles se distinguent par leur antériorité, leur expérience et, elles aussi, par l’expertise de leurs consultants. Parmi les membres de l’AACC Santé, elles ont pour nom Action d’Éclat, Arsenal CDM, Raison de Santé, Canal 55… Vice-président de l’association professionnelle, Eric Phélippeau dirige By Agency depuis trente ans. Il s’est structuré en interne avec des diplômés en pharmacie et en biologie, et anime un réseau d’experts scientifiques et réglementaires. « 100 % de nos recrutements depuis trois ans ont une dimension scientifique. L’avantage d’être indépendant, c’est que l’on fait ce qu’on veut, mais on ne peut pas s’appuyer sur un réseau international », reconnaît-il. « Pour ne pas être l’énième agence indépendante, les nouvelles structures doivent travailler en mode start-up, en partenariat avec des sociétés de l’ad tech et de la health tech, assure Patrick Papazian, ancien co-président de TBWA Adelphi, qui vient de fonder L’Agence Inclusive. Nous devons être des forces de proposition sur les innovations qui facilitent le diagnostic ou la bonne observance du traitement, et mettre en place l’écosystème de communication idoine. » Le dirigeant est l’un des rares communicants du marché à exercer la médecine, en tant que spécialiste du VIH à l’hôpital parisien Bichat. Créée en partenariat avec l’Unesco, L’Agence Inclusive se positionne sur l’inclusion des publics fragiles, comme les migrants, et s’engage notamment contre une utilisation de l’intelligence artificielle, qui favoriserait une médecine à deux vitesses. « J’avais envie d’une agence qui ressemble à ma pratique médicale », explique Patrick Papazian.

Du « cure » au « care »

Le marché doit enfin compter avec la diversification des agences grand public dans les problématiques porteuses de santé et de bien-être. « Nous sommes passés d'une approche centrée sur le traitement de maladies (cure) à une approche globale de soin (care) et de quête de bien-être, souligne Bérengère Roche, directrice du pôle bien-être d’Ogilvy Paris. Aujourd’hui, n'importe quelle marque peut proposer une offre santé, comme Mercedes-Benz avec sa technologie Energizing Comfort, qui offre bien-être et confort sur la route. » « La santé est la première expertise du réseau Weber Shandwick mais elle concerne aussi des annonceurs non spécialisés qui s’intéressent aux problématiques de bien-être au travail ou de nutrition », souligne Merryl Marcout, associate director chez Weber Shandwick. Le secteur s’empare ainsi de techniques de communication grand public, comme Snapchat pour une campagne sur le vaccin contre le papillomavirus (agence TBWA Adelphi pour MSD), la caution des youtubeurs Le Rire Jaune et Natoo pour la Suite Necker, un dispositif d’accompagnement des adolescents (By Agency pour l’APHP) ou une application simulant les symptômes d’une maladie oculaire en réalité virtuelle conçue par Novartis et donc les RP ont été assurées par Weber Shandwick.

Trois questions à...

Thierry Kermorvant, président de l’AACC Santé

 

Comment s’est passée 2018 pour les agences santé ?

Après le regain de 2017, 2018 était une année de consolidation, sans embellie mais stable. Il y a eu moins de lancements de médicaments mais ils sont plus techniques et sont rejoints par les dispositifs médicaux. Notre métier a donc beaucoup d’avenir. Les 20 membres de l’AACC Santé défendent une expérience et une unicité d’expertise sur les produits de prescription par rapport aux agences grand public.

 

Quelle place prend le digital ?

L’industrie pharmaceutique est déjà très mature en termes de transformation digitale mais cela tarde encore à se traduire en opérations de communication. La plupart des outils de visite médicale sont disponibles sur tablettes, ce qui permet un suivi personnalisé et coordonné du médecin, dans une logique de CRM. On voit arriver de nouvelles compétences dans les agences, comme des community managers et des spécialistes de la data. Mais le multicanal, habituel en communication grand public, est encore en développement dans la santé.

 

Comment intégrer le patient dans les campagnes ?

Les anciens patients ou les patients chroniques très influents en nombre de followers peuvent être utilisés dans des dispositifs de communication sur la prise en charge ou le suivi de maladies. Dans le cadre d’une campagne d’environnement sur une pathologie comme l’AVC, ils font partie des « influenceurs » que l’on peut activer au même titre que les journalistes santé et les professions médicales, mais en aucun cas, ils ne peuvent représenter un produit comme aux États-Unis.

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