E-COMMERCE Pure players, retailers... ils veulent tous réduire leurs délais de livraison. Mais à ce petit jeu, les magasins physiques ont un avantage de taille: leur maillage. Un nouveau duel click & mortar? Plutôt une nouvelle alliance. Emmanuel Gavard @ManuGavard

La tendance 2015, c’est le carton et le scotch. L’homme de l’année sera coursier. Si l’on en croit Jack Hidary, consultant en technologie et en économie, lors de sa présentation à la Wired Retail Conference, organisée en novembre dernier par Valtech, «dans le monde du commerce, le délai de livraison constituera la bataille des douze prochains mois. L’enjeu principal de l’année!» La réalité lui donne raison.

A preuve, la récente course contre le temps à laquelle se sont livrés les commerçants avant Noël. En France, Boulanger a commencé à livrer pour le lendemain matin les achats enregistrés la veille au soir. La Fnac a, de son côté, lancé son service de livraison express en moins de trois heures dans Paris. Pendant ce temps, à New York, Amazon a inauguré Prime Now: les colis arrivent en moins d’une heure. Un service directement concurrent d'Ebay Now et de Google Shopping Express, qui, toujours à New York, garantissent la livraison en moins de deux heures.

 

Allers-retours gratuits.

Depuis deux ans, la livraison raccourcit. En délai et en coût. «C'est un réel enjeu commercial et marketing, commente Jean-François Kleinpoort, directeur conseil chez Dia-Mart pour le e-commerce et le digital. Dès que le marché est concurrencé, la guerre fait rage. Darty, Boulanger, la Fnac ont réduit leur prix plancher de livraisons gratuites  Les sites de ventes de chaussures – qui nécessitent d’être testées – ne sont pas en reste: ils proposent tous envoi et retour gratuits. La tendance se lit dans les chiffres du marché de l’e-commerce (lire encadré).

Derrière la notion de livraison se cache celle de service. «Avec le digital, le consommateur se rend compte qu’on s’est moqué de lui en développant le libre-service, lance Bernard Buono, directeur général de BETC Shopper. On a fait de lui un livreur en l’obligeant à remplir son coffre. L’attention portée par les clients au délai de livraison ne fait que concrétiser une nouvelle attente: celle d’être libre.»

En créant dans les années 1960 un moment de consommation, le libre-service a multiplié les contraintes: l'affluence aux caisses, les heures d’ouverture, une offre limitée à la taille du magasin… «Le digital a permis de libérer le consommateur de tout cela, à une exception: le temps, poursuit Bernard Buono. La croissance du click-and-collect ou des délais courts témoignent d’une attente. Celle de reprendre la main sur son temps de consommation, de fluidifier ses achats dans sa propre vie et de mieux s’organiser. Bref, de choisir.»

 

Fluidification de la consommation.

C’est là que les distributeurs physiques ont une carte à jouer. Car le petit jeu de la fluidification de la consommation demande une souplesse à toute épreuve: il s'agit de rendre accessibles les produits au plus près de la demande. Et pour cela, quoi de mieux qu’un réseau de magasins? Pour livrer en moins de deux heures dans New York, Google, qui n’a aucun stock, s’appuie sur un réseau de quinze enseignes partenaires (Costco, Walgreens, Target…). Idem pour Ebay avec Best Buy ou Toys R Us. Et pour Amazon avec Prime Now, qui s’appuie sur un pied-à-terre new-yorkais.

«D’ordinaire, Amazon crée ses entrepôts loin des villes, où la main-d’œuvre et le mètre carré sont peu chers», commente Tom Allason, le fondateur de Shutl, un agrégateur de coursier locaux racheté fin 2013 par Ebay. Sur son site, ce dernier affiche fièrement son temps de livraison le plus rapide: 13 minutes et 57 secondes…

Etre loin des villes est de fait un problème pour Amazon. Son fantasmatique magasin de la 34e rue de Manhattan n’a pas vu le jour. Mais le groupe de Jeff Bezos y installera tout de même des bureaux. «Une partie de cet immeuble servira de hub pour livrer les colis de Prime Now», a affirmé Amazon. 

En France, Spartoo ouvre sa première boutique et «beaucoup d’autres suivront en cas de succès», promet Boris Saragaglia, PDG du site de vente de chaussures. Derrière l’argument de rentabilité et de proximité des consommateurs se cache aussi un argument logistique, pour une livraison plus souple.

Empruntant le chemin inverse mais pour la même raison, la stratégie cross-canal de la Fnac s’accompagne depuis deux ans d’une volonté de sortir des villes et de développer des boutiques franchisées en zone périurbaine pour augmenter son maillage. «A chaque fois qu’on ouvre un magasin, on voit directement l’impact sur Fnac.com avec des ventes en hausse dans la zone de chalandise», assure Katia Hersard, la directrice marketing et e-commerce de l’enseigne.

 

Stop aux stocks.

Les distributeurs s'adaptent. Il n’existe plus de «stocks» et de «magasins» mais un ensemble de produits répartis sur tout le territoire. Des produits qui peuvent être transportés d’un endroit à un autre. Là où le client le désire. Le click & collect, l’e-reservation ou la livraison express passent par cette transformation. «Cela demande un travail informatique et logistique colossal», souligne Romain Libeau, l'un des deux fondateurs de Deliver.ee, le Shutl à la française. Une tâche cruciale de plus en plus effectuée par les retailers, pour concurrencer les pure players.

Ces derniers perdront-ils la bataille à long terme? «Ils seront amenés à s’ouvrir à des partenariats», affirme Jean-François Kleinpoort, de Dia-Mart. Cdiscount, par exemple, pourra profiter du réseau des magasins Casino, groupe dont il est une filiale. «Les autres développeront les casiers de retraits», prévoit pour sa part Bernard Buono. Même s’ils ne régleront pas totalement la problématique du stock dans les villes. A croire que le click ne vaincra décidément pas sans le mortar.

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