Saga

La vie d’une radio peut sans doute se résumer dans la mémoire collective à quelques émissions phares, à ses voix emblématiques ou à la couverture d’événements vécus en direct par le public. Des soixante années que vient de traverser Europe 1 se distinguent ainsi Salut Les Copains, Europe Midi, Le Club de la Presse, Top 50, On va s’gêner… ; Pierre Dac et Francis Blanche, Pierre Bellemare, Philippe Gildas, Coluche, Jean Roucas, Jean-Pierre Elkabbach, Nicolas Canteloup… ; Mai 68, l’appel pour la création des restos du cœur, etc.

Mais la station qui a rendu célèbre la rue François 1er (Paris 8ème) est également –et d’abord ?–  incarnée par une pêche de couleur bleue. Un fruit irréel, que beaucoup ont longtemps perçu comme une pomme, qui a symbolisé la radio dans sa communication au début des années 90 et a profondément imprégné la marque média. Il a été imaginé par Euro RSCG suite à un déjeuner entre le cofondateur de l’agence Jacques Séguéla et Jacques Lehn, qui présidait alors la radio détenue par Jean-Luc Lagardère et subissait déjà quelques déconvenues d’audience. Il a été conçu pour illustrer cette volonté de dynamisme, dans un vocabulaire aujourd’hui très daté.

Conversion tardive

Europe 1 s’était en fait convertie à la publicité depuis seulement quelques années, en 1975 précisément. Une année durant laquelle elle a adopté la signature «Europe 1, c’est naturel», qui a également profondément marqué les esprits. Avant celle-ci, la communication de la radio s’était souvent cantonnée à des visuels d’animateurs, journalistes, personnalités de l’antenne –de Fernand Raynaud à Pierre Bellemare– accompagnés du nom de l’émission et du créneau de diffusion. Une recette encore exploitée au XXIème siècle, surtout quand les radios veulent rentabiliser leur fort investissement dans le coûteux recrutement de vedettes de la TV.

Sur le terrain

La station de la rue François 1er n’avait pas négligé pour autant le lien avec les auditeurs, en allant très tôt à la rencontre du public, via un podium qui venait s’installer dans les villes de province, avec animateurs vedettes et artistes au menu d’un spectacle gratuit.

Europe 1 avait également eu l’idée de transformer ses auditeurs en ambassadeurs de la marque. Pour ce faire, un autocollant apposé à l’arrière des véhicules, montrant parfois un animateur vedette et reprenant la signature «Europe 1, c’est naturel». Pour inciter le public à arborer les couleurs de la radio, rien de plus motivant que de lui donner la perspective d’y gagner quelque chose, avec la création d’Europe Stop. La voiture Europe 1 sillonnait donc les rues des villes de France pour arrêter les automobilistes, qui tiraient une enveloppe emplie de billets.

Mise à nu

Avec les années 80, la radio, devenue propriété à 100% d’Hachette (futur groupe Lagardère), a adopté une communication plus en adéquation avec la population des cadres, de plus en plus représentée dans son auditoire. Toujours fidèle à son «Europe 1, c’est naturel», elle a représenté ses auditeurs en lion, en loup ou en abeille. Mais c’est avec l’agence Bélier, qui a récupéré le budget dans la nouvelle décennie, que la publicité du média fait parler d’elle. Toujours encline à toucher un public d’actifs urbains, elle les a montrés dans des situations quotidiennes –petit déjeuner, douche…–  jugées choquantes pour la morale. Du moins par la RATP et quelques élus de villes qui interdisent d’affichage un visuel montrant une femme nue, et ses poils pubiens. Une censure largement reprise et commentée par la presse qui a assuré à l’annonceur et son agence des retombées inespérées.

L’ère talk & news

Malgré ces résultats, le groupe a changé d’agence à la fin des années 80 et donc succombé au charme de celui qui incarne alors la publicité, Jacques Séguéla. Le cofondateur d’Euro RSCG sera aux manettes durant la dernière décade du XXème siècle. Après la pêche, un fruit qui sera accolé puis immiscé dans la marque Europe 1, celle-ci est devenue «la radio active». Ce changement a accompagné le repositionnement conduit par Jérôme Bellay, qui a fait basculer le média dans l’ère du talk & news. Le reformatage a permis de stopper l’hémorragie d’audience que connaissait Europe 1 depuis plusieurs années, mais pas d’échapper à de fortes secousses. Des turbulences qui se sont retrouvées dans la multitude de slogans conçus par Publicis, agence en charge du budget, et qui ont accompagné la communication de la station en ce début du XXIème siècle, avec «Europe 1, ça me parle» (2000), «Europe 1 c’est bien» (2001), «Europe 1, vous commencez quand?» (2003), «Difficile d’être plus intéressant qu’Europe 1» (2004) et «Parlons-nous» (2006).

Retour aux vedettes

Avec l’arrivée d’Alexandre Bompard à la présidence, la radio est revenue aux fondamentaux du format généraliste, avec une signature illustrant parfaitement la stratégie: «Bien entendu». Recrutant à prix d’or quelques visages connus du grand public, il a tenté de renouer avec la splendeur passée et avec des audiences à la hausse. Depuis quatre ans, son successeur Denis Olivennes tente de profiter de la dynamique, avec plus ou moins de succès. Mais l’impulsion donnée par son directeur général –depuis mars 2013– Fabien Namias autorise Europe 1 à revendiquer «un temps d’avance». Prendrait-elle ses désirs pour des réalités?

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