Magasins plus grands et plus élégants, assortiment étoffé et diversifié, introduction des marques nationales, campagnes de communication… Concurrencés par les enseignes généralistes, Lidl, Aldi et autres Leader Price sont repartis à l’offensive. Avec de premiers résultats probants.

Quel est le point commun entre Lidl et Porsche? L’Alucobond. Un matériau composite présent sur les devantures des tout nouveaux magasins du distributeur allemand, et dans les concessionnaires de la marque automobile. Une coïncidence? Pas tout à fait. Lidl se valorise et l’affiche jusque sur ses murs. Mais ce n’est pas le seul hard-discounter, depuis deux ans, à vouloir redorer son image. Aldi et Leader Price (groupe Casino), respectivement deuxième et troisième en France dans la catégorie des prix bas, s’activent également à endiguer la lente décroissance commencée il y a quelques années. Et ça fonctionne!

En décembre, Lidl a atteint sa part de marché historique lors du dernier trimestre 2014, à 4,9% en valeur, contre 4,6% en 2013, selon Kantar Worldpanel, et engrange pour l’occasion 400 000 consommateurs supplémentaires. Aldi, lui, reste stable, ce qui est déjà une performance, les moyens alloués au changement n'étant pas les mêmes. Quant à Leader Price, plus des trois quarts des 240 nouveaux magasins arborant les couleurs du nouveau Leader Price Express ont au minimum doublé leur chiffre d’affaires, selon le magazine spécialisé Linéaires. La nouvelle offensive du hard-discount est une réalité, et elle porte ses fruits.

La nouvelle donne

Depuis les années 1990, le hard-discount n’arrêtait pas de progresser. Les bas coûts grignotaient les parts de marché comme un bambin les gâteaux sucrés, atteignant au total 15% de la grande distribution. Mais un beau jour de 2008, tout s’est effondré. La raison: une nouvelle loi. Sous l’impulsion du gouvernement Fillon, la loi Galland, qui régit les relations commerciales entre les distributeurs et les fournisseurs, est remplacée par la loi Châtel et la loi de Modernisation de l’économie (LME). Elles modifient la prise en compte des marges arrière (les remises différées au distributeur, mais qui n’était pas inclues dans le prix de vente). Elles changent le calcul du seuil de vente à perte et permet au distributeur de tirer les prix.

Du coup, les règles du jeu des négociations commerciales avec les fournisseurs ont totalement changé et replacé le prix au cœur des discussions. La concurrence entre les enseignes généralistes a fait peau neuve et leur a permis de tirer les étiquettes vers le bas. «Le pic de part de marché du hard-discount correspond exactement au dernier trimestre, où la loi Galland était en vigueur», raconte Frédéric Valette, directeur du département Retail Insights de Kantar Worldpanel. En parallèle, Carrefour, E.Leclerc, Auchan et autres Système U, qui ont poussé leur marque propre, devenant ainsi très compétitifs, ont mis en avant des gammes discount et instauré du vrac, à l’image d’Auchan. Et ajouté au fait que depuis 2007, les distributeurs sont autorisés à faire de la publicité à la télévision. Le hard-discount, lui, n’a pas les mêmes ressources financières. Des prix plus accessibles, des magasins plus soignés, une offre plus importante (moins de 1 000 références pour un magasin de hard-discount, contre quelque 8 000 pour un supermarché et jusqu’à 100 000 pour un hypermarché), plus de services, plus de produits frais, des avantages fidélités… le consommateur n’a pas hésité longtemps.

«Il n’existe pas de consommateurs 100% hard-discount . Il ne réalise qu’une partie de ses achats dans ces enseignes , explique Bernard Buono, vice-président de l’agence BETC Shopper. Le client a aussi évolué. Faire ses courses dans une enseigne de hard-discount reste malgré tout un marqueur sociologique. Et arriver dans un magasin sobre, avec peu de choix, peu de marques, aucune décoration, c’est être enfoncé dans son statut de pouvoir d’achat limité. C’est asseoir une consommation à deux vitesses. Or, quand les enseignes généralistes ont diminué leur prix, le consommateur a compris qu’il n’avait pas à payer davantage pour avoir des services en plus. Au contraire, c’était le considérer et le respecter.» Du coup, le hard-discount s’enlise. Il est contraint de réinventer son modèle.

La contre-attaque

Le premier à réagir sera Leader Price, en étoffant son assortiment et en créant des marques spécifiques. De son côté, Lidl prépare un gros coup. Le 24 octobre 2012, Friedrich Fuchs, nouveau directeur général France (il est en poste de mai), annonce au Zénith de Paris le lancement du projet «Pole Position». «Nous pouvons devenir la marque en vogue et le magasin tendance, clame-t-il devant 3 000 managers gonflés à blocs. Lidl doit devenir le supermarché des classes moyennes et aisées.» Autant dire, un virage à 180 degrés! Tout comme Leader Price, Lidl développe son offre. «L'enseigne a élargi son assortiment de 50%, passant de 800 à 1 300 références», raconte Yves Marin, senior manager du cabinet Kurt Salmon. «L’objectif de Lidl était de fidéliser sa clientèle, analyse le consultant. L’enseigne a développé du frais et un service de boulangerie et viennoiserie, pour faire venir les clients plus fréquemment. Mais aussi du non-alimentaire, pour recruter de nouveaux profils dans ses zones de chalandise.» Ainsi y apparaissent des combinaisons de ski, micro-ondes, perceuses électriques…

Une offre plus quantitative, mais aussi plus qualitative avec des marques nationales. «La donne a vraiment changé avec l’introduction de marque fortes, analyse Philippe Jourdan, du cabinet Promise Consulting. Si certaines d'entre elles, comme Nutella, étaient présentes depuis longtemps, Lidl offre désormais Coca-Cola dans ses allées. «Aujourd’hui, les marques nationales représentent 20% de notre offre», déclare l’enseigne. Dans les 80% «restant» (en marques de distributeur), l’enseigne crée les marques Saveurs de nos régions, pour le made in France, et Chef Select to go, pour le frais en snacking. Elle propose même depuis quelques mois ses propres capsules compatibles Nespresso. Et, cerise sur le gâteau, elle crée ses foires aux vins, avec un choix de grands crus (Sélection des cavistes), avec des bouteilles allant jusqu’à 600 euros. Idem chez Aldi. Après Coca-Cola, c’est Ferrero et Blédina qui intègrent les rayons.

Mais ranger tous ces produits nécessite de la place. Et le vecteur principal de communication d’un distributeur, c’est son magasin. Plus grands, avec des allées plus larges, le lifting est total. «La surface de notre concept standard est passé à 1 286 m², décrit Lidl. La présentation des produits, leur packaging ont été refaits également.» Les devantures sont entièrement revisitées: design plus élégant, matériaux plus nobles. De son côté, Leader Price a lancé un nouveau concept urbain: Leader Price Express. Et développe des services avec le «drive» dans une centaine de magasins.

Les nouveaux charmes de la communication

Une fois que les produits sont bien installés dans leur présentoir, il reste à aller chercher le client et lui annoncer le changement. «Rien qu’en voyant tout le travail effectué sur le point de vente, le client voit la différence. Mais pour ces marques, le seul fait de passer en télévision est un signe fort envoyé aux consommateurs», remarque Adrien Taquet, cofondateur de Jésus, agence spécialisée dans l'alimentation. Pour cela, Leader Price a envahi dès 2011 le petit écran, mettant en scène Jean–Pierre Coffe. La marque du groupe Casino a investi dans quatre spots publicitaires réalisés par BETC Shopper. Mais ce n’était rien comparé à la salve tirée par Lidl en mai 2014: pas moins de 17 films en dix mois. L’enseigne se fait également partenaire des Journées du patrimoine et est présente au Salon de l’agriculture. Elle mène en ce moment une compétition pour son budget publicitaire. Mais, en GMS (grandes et moyennes surfaces), l’arme la plus redoutable reste le prospectus. En 2011, Leader Price lance un magazine trimestriel de 92 pages dans lequel il présente bons plans et autres astuces, ainsi que sa nouvelle organisation des produits. Lidl et Aldi ont refait leur catalogue avec les mêmes armes.

Une telle stratégie n’est pas donnée à tout le monde. Avec en moyenne 25% de marge brute, si une enseigne généraliste atteint les 2% de résultat net, c’est déjà beaucoup. Dans le hard-discount, on parle de 0,5 à 1% avec 15% de marge brute. La montée en gamme nécessite un effort financier important. Et Lidl reste le seul, pour le moment, à actionner simultanément tous les leviers. Aux commandes, la famille de Dieter Schwarz, 5e fortune allemande, a dû mettre la main au portefeuille. «Mais il est aussi possible de revoir la structure des médias, explique Bernard Buono, de BETC Shopper. L’image prix de Lidl étant très bonne, elle peut diminuer l’investissement prospectus, pour être plus présent en TV, par exemple.»  Mais clairement, plus qu’un changement de façade, il s'agit bien de repenser totalement l’organisation. Lidl a annoncé recruter 3 000 personnes en 2015, l'enseigne a monté une centrale d’achats à Rungis, où se trouve une partie du siège – 450 personnes – «pour être plus proche de tous les acteurs, des médias et des politiques», indique-t-elle.

Toutefois, changer de braquet dans la distribution demande du temps. A peine récolte-t-on aujourd'hui les premiers fruits de ce changement de stratégie. Mais Dia, qui n’a pas fait cette évolution, est dans une spirale infernale. Disloquée, elle a été vendue en partie à Carrefour en novembre dernier.

Le point fort du hard-discount reste son maillage, très fort, qui attire les enseignes généralistes. «La montée en gamme est un phénomène classique dans un marché, qui laisse la place à de nouveaux entrants dans le discount», résume Yves Marin, de Kurt Salmon. Comme ce fut le cas dans les univers de la cosmétique, avec l’arrivée de Kiko, et du textile, avec Primark. L’arrivée imminente de la chaîne américaine Costco serait-elle un signe? 

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