Télévision
Lors du MIP TV, qui s’est tenu à Cannes du 13 au 16 avril, le contenu de marque a confirmé son irrésistible ascension. Une obligation pour toucher les «millenials» qui se détournent de la publicité classique.

Du Mad Men mais avec des rires enregistrés. Buy this!, sitcom finlandaise créée par TBWA Helsinki en collaboration avec Fremantle, relate le quotidien drolatique d’une agence de publicité. L’enseigne n’est que pure fiction mais ses clients sont bien réels: dix des quinze plus gros annonceurs en Finlande, dont Nissan et Lidl, apparaissent dans le show. Diffusée le dimanche soir sur MTV3, la première chaîne commerciale du pays, la série a réalisé de jolis scores d’audience, selon Juha-Matti Raunio, vice-président de TBWA Helsinki, mais surtout des retombées presse internationales: «David Hasselhoff, qui fait partie du casting, est un demi-dieu en Finlande», s’amuse Juha-Matti Raunio.

Son collègue Theodor Arhio, directeur de création de l’agence, grince: «Nous ne sommes pas les publicitaires les plus populaires à Helsinki en ce moment... Grâce à Buy This!, qui met en scène des clients de l’agence, nous avons fait du new business en attirant sept nouveaux budgets.» Car les marques, semble-t-il, se battent pour apparaître dans la sitcom: en moins de cinq semaines, les publicitaires ont signé avec dix annonceurs pour cette création audiovisuelle déclinée dans les pays nordiques et en Australie, et des discussions en cours avec les marchés britanniques, américains et allemands.

Cette habile mise en abîme, concept méta-publicitaire ultime, lançait opportunément mardi 14 avril la matinée de conférences «Brands: the new programmers» (Les marques, nouvelles directrices des programmes) du MIP TV. «Il y a cinq ans, on évoquait déjà le brand content ici mais plutôt dans les petites salles en marge du festival. Aujourd’hui, le sujet entre au Palais: il est devenu crucial», remarque Marcel Fenez, patron monde média et entertainment de PWC (lire l'interview).

Le brand content aux marches du Palais, cela ne surprend pas Julien Brault, directeur digital et diversification d’Endemol France: «L’économie traditionnelle de la télévision, avec des acteurs très forts qui concentraient les investissements médias des annonceurs a vécu: éclatement des audiences, multiplication des contenus… Les financeurs traditionnels ont de moins en moins de capacité d’investissement. Où peut-on trouver de nouveaux investisseurs? Du côté des marques.»

Un rencard sinon rien

Signe fort: le géant des palaces, Mariott, «MipTV 2015 Brand of the year», a eu les honneurs du Grand Auditorium cannois. La marque, qui veut devenir «le Red Bull de l’industrie hôtelière», s’est distinguée avec deux superproductions: The Two Bellmen, l’histoire de deux portiers cascadeurs située dans le JW Marriott de Los Angeles, sortie sur You Tube à la mi-mars, et French Kiss, court-métrage tourné au Paris Marriott Hôtel Champs-Elysées, qui sera diffusé à partir du 19 mai sur You Tube, dans les hôtels du groupe mais aussi au cinéma. L’initiateur de ses nouveaux projets, David Beebe, un ancien de Disney et d’ABC, cultive une vision bien à lui du sujet: «Avec le contenu de marque, il s’agit d’exposer nos valeurs aux futurs clients. C’est un peu comme un rencard amoureux: si on ne sait pas parler de soi lors du premier rendez-vous, il n’y en aura pas de deuxième…»

Un rendez-vous galant avec les consommateurs pas ruineux de surcroît... Comme l’expliquait David Beebe, dans Stratégies le 3 mars: «Pour The Two Bellmen, un court-métrage de 15 minutes, nous avons investi environ 250 000 dollars tout compris, production, marketing et distribution. Avec tout ce que nous produisons, au total, cela fait un montant significatif mais cela reste dérisoire par rapport à un spot TV qui coûte en moyenne entre 1 et 3 millions de dollars.» A telle enseigne que Mariott annonce déjà, par la voix de sa directrice marketing monde, Karin Timpone - elle aussi une ancienne de Disney et d’ABC - qu’ «il y aura un second Bellmen». Elle planche également sur «le développement de nouveaux formats liés au lifestyle, surtout la nourriture et les boissons, qui représentent une part non négligeable de notre activité». De quoi, pense-t-elle, divertir la clientèle des établissements Marriott mais aussi séduire «les Millennials, qui deviennent très importants dans le monde du voyage».

Le signal Millenials

«Millenials», comme un leitmotiv... C’est en grande partie vers la fameuse génération Y que se portent les efforts des artisans du contenu de marque. «Les plus jeunes ne regardent plus la télévision», résume brutalement Christina Jennings, présidente de Shaftesbury, Smokebomb Entertainment & Shift 2. Cette société de production et de distribution canadienne a conçu pour son client le fabricant de protections périodiques Kotex (Kimberly Clark), une websérie des plus audacieuses. Carmilla relate en 26 épisodes les aventures d’une bande de jeunes filles: après la disparition de l’une d’entre elles, une étudiante partage sa chambre avec une nouvelle colocataire qui s’avère être… un vampire. S’ensuivent de fougueuses amours saphiques. Slogan de la série: «Do vampire get their periods?» (Les vampires ont-elles leurs règles?). Saignant. «L’annonceur Kimberly Clark a été très courageux, reconnaît Christina Jennings. Mais il s’est assuré 14 millions de vues auprès d’une cible féminine et jeune, qui s’est mobilisée via la campagne #savecarmilla pour qu’il y ait une deuxième saison. Un engagement fort, clé pour les marques.»

Des marques auprès desquelles il reste néanmoins un travail d’évangélisation à effectuer. Si les Lego et Red Bull, ou encore l’enseigne de nourriture mexicaines Chipotle, qui a produit sa propre série sur Hulu, sont données en exemple, le gros du marché reste frileux. Comme le déplore Olivier Gers, président monde de Liquid Thread, structure spécialiste du contenu de Starcom Mediavest Group: «Nous devons encore seriner à nos clients, qui ne voient pas d’inconvénient à dépenser beaucoup d’argent pour un spot de 30 secondes, qu’ils doivent allouer leur budget de manière plus judicieuse pour toucher les Millenials.» Pourtant, «les marques ont tout à y gagner, en s’assurant de cibler les bonnes personnes au bon moment grâce aux data générées, estime David Lang, directeur des contenus de Mindshare USA. La data n’engage pas le consommateur, le contenu, oui. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre data et créativité.»

La réflexion est en cours dans tous les grands réseaux. Chez Havas par exemple (Yannick Bolloré a donné une «keynote» le 13 avril sur le sujet). Ou encore chez Omnicom Media Group-The Content Collective, dont le présidente, Claudia Cahill, indique que «l’essentiel du travail que nous effectuons en ce moment porte sur les stratégies de contenu. Nous avons massivement investi dans notre Data Management Platform afin de développer des solutions créatives programmatiques - même si le terme fait encore peur». Diable! Doit-on déjà anticiper un tsunami de brand content, une overdose programmée? «Dans le marché de l’entertainment, il a toujours existé des blockbusters et des fours, remarque Theodor Arhio, directeur de création de TBWA Helsinki. Idem dans la publicité, avec des bonnes et des mauvaises campagnes…» La future guerre des contenus, elle aussi, promet du bon storytelling.

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