Tourisme
Le groupe hôtelier français, sixième mondial, ouvre sa distribution digitale aux hôtels indépendants. Objectif: tripler son offre d’ici à 2018 pour résister aux Booking et Expedia qui captent l’audience sur internet.

Chez Accor, la transformation digitale n’est plus un sujet de débat, c’est la nouvelle orientation affichée et un pari sur l’avenir. Le sixième groupe hôtelier mondial et premier européen va ouvrir, en juillet, sa plateforme de distribution en ligne à une sélection d’hôtels indépendants et, du coup, transformer son site réservé à la vente de ses 14 marques (Ibis, Mercure, Novotel, Sofitel…) en une place de marché ouverte.

«C’est une initiative majeure pour le groupe et le fruit d’une approche nouvelle de notre métier et de notre business model», a résumé son PDG Sébastien Bazin, le 3 juin lors d'une conférence de presse. C'est aussi une première dans le tourisme.

En conséquence, Accor est rebaptisé du nom de sa marque digitale, Accor Hotels (et de son programme de fidélité). Plus valorisant pour les marchés financiers et plus explicite sur son activité.

Une telle décision donne la mesure de l’enjeu pour Accor Hotels. Le risque est en effet, selon la formule consacrée, de se faire "ubériser" (à l'instar des taxis dont le modèle économique est mis a mal par le pure player Uber). En clair, de perdre définitivement la main sur sa distribution en ligne. Aujourd’hui, Accor réalise 36% de ses ventes sur internet, à moitié en direct et via les sites de réservations en ligne, et notamment Booking.com et Expedia, les pure players américains qui trustent le marché et se payent en commission -estimées à   

16% pour Accor Hotels et jusqu'à plus de 25% pour les indépendants, qui voient leur marge rogner.

Renforcer les destinations

Et si «Accor Hotels est le site hôtelier le plus visité au monde hors États-Unis», comme le souligne Romain Roulleau, directeur e-commerce, son trafic progresse moins vite que celui des pure players, les «OTA» (Online Travel Agencies). Comment continuer d’exister sur Google avec une offre de 3 700 hôtels et des trous sur certaines destinations stratégiques (Barcelone, la Grèce, New York etc...- ce qui a notamment laissé le champ libre à l'offre entre particuliers de AirBnb) face à un Booking qui affiche plus de 600 000 hôtels et dépense des sommes colossales pour être référencé sur le moteur de recherche?

Considérant que l’hyperchoix des OTA noie les clients, Accor Hotels fait le pari d'«élargir» son offre «tout en ayant une lecture sélective des hôtels», explique Vivek Badrinath, es-Orange, directeur général adjoint chargé de la stratégie numérique depuis 18 mois. «Nous avons identifié 328 villes qui, à travers 92 pays, représentent 80% du trafic de voyages, et choisi de nous y renforcer en y sélectionnant des hôtels indépendants éligibles à nos conditions, c’est-à-dire bien notés sur Tripadvisor, bien situés et validés après une visite sur place de nos équipes», poursuit Romain Roulleau.

L’objectif est de tripler l’offre d’hôtels d’ici à 2018 pour atteindre plus de 10 000 hôtels dont 5 000 indépendants. Accor va commencer par se renforcer sur ses marchés, en France, Allemagne, Europe du sud et Australie avant de s’attaquer aux États-Unis avec l’objectif d’avoir 800 hôtels sur 15 villes contre 15 actuellement.

Gagner de l'audience sur internet

Pour séduire les indépendants, Accor leur garantit des commissions inférieures de 30 à 50% à celles de Booking.com et surtout la propriété des données clients. Si Sébastien Bazin souhaite desserrer l’étau des centrales pour permettre à son groupe de capter davantage de croissance et mieux maîtriser ses marges, il se défend de «déclarer la guerre à Booking ou Expedia». Car David a besoin de Goliath qui lui assure une partie de son volume d'affaires ... Absent des États-Unis, Accor Hotels s’est ainsi développé sur la clientèle américaine grâce à Expedia, et en Asie grâce à Agoda, cousine de Booking.

«Tout l’enjeu est d’avoir une relation commerciale équilibrée avec les OTA et donc moins dépendante grâce à une offre plus complète attirant l’audience. On veut assurer la croissance de notre boutique mais on a besoin du supermarché», résume Jean-Luc Chrétien, patron de Fastbooking, société rachetée par Accor en avril, qui propose des services digitaux à 4 000 hôtels et sur laquelle le groupe va s’appuyer pour ce développement.

«C’est une démarche gagnant-gagnant, poursuit-il. Aux hôtels indépendants, nous proposons une alternative compétitive de distribution et ils sont pour nous un levier permettant de renforcer la capacité d’Accor Hotels à résister à la concentration des OTA qui capte l’audience sur internet.»

Enjeu de notoriété et stratégie d'endossement

Outre étoffer son offre d’inventaires, «Accor Hotels doit faire connaître sa marque, qui est mal connue dans la moitié des pays où le groupe opère», ajoute Grégoire Champetier, directeur général marketing. La mue concerne donc aussi son identité. «Pour gagner en notoriété, Accor Hotels devient à la fois la marque corporate et la marque commerciale, et l’entrée de la nouvelle application mobile désormais unique à toutes les marques, poursuit-il. Et pour permettre à la marque-groupe et aux marques-filles de se renforcer mutuellement, Accor Hotels endossera toutes les communications des enseignes pour leur apporter sa caution.»

«Le système identitaire comprend aussi un logo, l’oie bernache désormais couleur miel à vocation iconique et un credo mobilisateur, "Feel Welcome"», complète Martin Piot, directeur général de W, l'agence de brand management d’Accor.

Les analystes financiers ont plutôt salué cette initiative, même si certains observateurs y voient une logique purement boursière de la part de Sébastien Bazin, à l’instar de sa réorganisation du groupe en deux pôles (exploitation d'hôtels et gestion d'actifs immobiliers) dont Le Monde en avril 2013 estimait que«la conséquence serait de fragiliser Accor qui

en n'étant plus que concentré sur la gestion des hôtels, serait facilement opéable».

Exane BNP Paribas, cité par Reuters, la qualifie d’«opportuniste» visant à «optimiser les coûts fixes d'Accorhotels.com et à développer les services de Fastbooking» et soulève que «la difficulté, ce sera de convaincre suffisamment d'hôtels indépendants, dans des pays où le nom d'Accor reste peu connu». C'est tout le pari.

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