Transports
Ses dirigeants renvoyés en correctionnelle, son service Uber Pop suspendu, une confusion totale dans l’esprit des utilisateurs... En termes d'image, Uber n'est pas loin de la sortie de route.

«Uber décide de suspendre son service Uber Pop en France.» Ce communiqué lapidaire adressé le matin du vendredi 3 juillet aux utilisateurs d’Uber a fait l’effet d’une bombe. Il faut dire qu’il est arrivé après un mois de confrontations intenses. Le 7 juin, Uber a tiré le premier en lançant Uber Pop dans trois nouvelles villes hexagonales: Marseille, Nantes et Strasbourg. Dans le pays, Uber Pop comptait déjà un million d'utilisateurs à Paris, Lyon, Bordeaux… Le conflit a connu son apogée le 25 juin avec une manifestation violente de taxis, s’en prenant à des VTC (voitures de transport avec chauffeur). Dans la foulée, François Hollande déclarait lors d’un sommet à Bruxelles: «Il faut dissoudre Uber Pop.» Quelques jours plus tard, le 30 juin, les deux dirigeants d’Uber France étaient interpellés et mis en examen. Ils seront fixés sur leur sort le 30 septembre lors d’une audience en correctionnelle. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit rendre une décision importante fin septembre sur la légalité, ou non, du service Uber Pop.

Cette surexposition médiatique a-t-elle nui à la marque Uber? Avec une telle stratégie de passage en force, Uber Pop ne menace-t-il pas l’ensemble de ses marques? En termes de notoriété, le pari est gagné pour Uber: «Avant le mois de juin, notre notoriété auprès des Français était d’environ 30%. Depuis les événements, ce taux a explosé, assure Thomas Meister, porte-parole d’Uber. La marque s’est installée, elle est devenue une référence des VTC.» La couverture médiatique des événements de juin a permis d’évangéliser sur l’activité des VTC au-delà de Paris et des grandes métropoles. Concomitamment, l’application Uber est passée en tête des téléchargements de l’Appstore entre le 15 et le 26 juin (de la 40e à la 1re place). «Le cœur d’Uber, c’est l’application, et ensuite il y a des produits différents, qui sont des déclinaisons de la marque, précise le porte-parole. Du coup, ce regain de notoriété a bénéficié à tous les services: Uber Pop [low-cost], Uber X [VTC classique], Uber Berline [haut de gamme], Uber Pool [course partagée] et Uber Van [déménagement]. En quelques jours, il y a eu un afflux de nouveaux clients.»

Multiplication des amalgames

Une stratégie payante, du moins dans un premier temps, selon Fanny Vielajus, fondatrice de l’agence Let’s be: «Uber gagne beaucoup de temps en investissant tout sur une marque référente et forte, qui emmène tout le monde en même temps, cela permet d’exister très vite dans l’esprit des gens.» Du coup, l’entreprise américaine est de fait la seule marque forte dans le marché des VTC. Or «la France est le deuxième marché dans le monde pour Uber, après les États-Unis», disait Thibaud Simphal, directeur générale d'Uber France, dans une interview à Stratégies le 2 avril dernier. Un engouement doublé d’un mouvement de sympathie pour Uber: des démonstrations sur les réseaux sociaux, largement orchestrées par l’agence Marcel et l’entreprise Uber elle-même. La société a réactivé une pétition, lancée en octobre dernier, pour protester contre la loi Thévenoud, qui avait recueillie quelque 40 000 signatures. En 48 heures, elle a dépassé les 120 000 paraphes. Sur le site Uber et moi, il y a 3 000 marques de soutien avec quelques envolées lyriques: «Je suis Uber Pop!», dit ainsi Pierre Jérôme, utilisateur Uber à Lille. Et des déclarations d’amour pour le service: «Des conducteurs souriants, agréables et à des prix compétitifs, tout cela par rapport aux taxis!», note Clément, utilisateur parisien.

 

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En parallèle, l’agence Marcel planche sur la première campagne de publicité d'Uber, mais celle-ci, prévue pour septembre, pourrait être repoussée, probablement après les échéances judiciaires. «La priorité est de savoir comment nous allons avancer sur Pop», précise l’entreprise. En effet, la marque Uber a un souci de taille avec son offre low cost, dont les démêlés avec la justice risquent de pénaliser l'ensemble du groupe. Ce trublion est accusé de tous les maux: concurrence déloyale, travail au noir, ultralibéralisme… Or, dans l’esprit des consommateurs, la confusion entre les différents services d’Uber et l’entreprise est totale. Et c’est ce que l’on peut lire aussi sur la page de soutien Uber et moi, où les utilisateurs multiplient les amalgames: «C’est un service de grande qualité… Mais comment va-t-on faire sans Uber?», dit Elodie, une utilisatrice parisienne. François, de Boulogne-Billancourt, rend hommage au «soldat» Uber: «Merci, Uber, pour tous les services rendus.» «Ils auraient dû choisir un autre nom pour Uber Pop, évitant ainsi la confusion avec leur service légal, analyse Emmanuelle Le Nagard -Assayag, professeur de marketing à l’Essec. Ils mettent en danger leur activité classique de VTC, alors qu’elle est enfin acceptée.»

Ce que confirme Fanny Vielajus, de Let’s be: «Ils n'auraient pas dû habiller tous leurs pions de la même manière pour les avancer sur des chemins différents. Là, toutes les marques sont enfermées dans les problématiques d’Uber Pop.» Philippe Jourdan, cofondateur de Promise Consulting et professeur des universités, enfonce le clou: «Il est suicidaire de développer un produit comme Uber Pop, avec le même nom, quand dans le même temps, on essaye de légitimer l’activité des VTC.»  En l'espèce, Uber Pop est une exception. Contrairement aux autres services low cost, il n'a pas bénéficié d'une marque propre la différenciant de la marque-mère. Exemples: Transavia pour Air France, Sosh pour Orange, Red pour SFR, Dacia pour Renault… «Là, sur les réseaux sociaux, les consommateurs font clairement le raccourci entre Uber Pop et Uber, cela va dégrader la marque», estime Thomas Le Gac, vice-président EMEA de Synthesio, éditeur d’outil d’analyse social media.

Paradoxe

Pour autant, Uber Pop n’a pas que des défauts: «Son côté trublion, qui bouscule les rentes établies, plaît et peut bénéficier à tout l’écosystème Uber», avance Emmanuelle Le Nagard, de l’Essec. Enfin, George Lewi, consultant et spécialiste des marques, rappelle la jurisprudence Festina: «J’avais rencontré le dirigeant français de Festina, trois ans après l’affaire de dopage sur le Tour de France et il m’avait dit: “Notre activité a vraiment décollé le jour du scandale.” Autrement dit, la montée en notoriété lors d'une crise peut dégrader l’image de façon marginale et développer le business.» Voilà qui devrait en rassurer plus d'un, à commencer par Uber. Rendez-vous dans quelques mois…

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