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Les représentations publicitaires du bonheur, nées dans les années 1950 et 1960, sont régulièrement parodiées. Mais en jouant l'exagération et l'outrance, les publicitaires ne perpétuent-ils pas les mêmes promesses de félicité?

Il ne se précipitera pas la tête la première dans l’abîme, comme le vertigineux générique de la série pouvait le faire pressentir. Et malgré ce que Matthew Weiner, retors «showrunner» de Mad Men, laissait sous-entendre au gré des sept saisons de la saga. Lors de la scène finale, Don Draper baguenaude au bord d’une falaise, un sourire ambigu aux lèvres. C’est à deux pas du vide que lui vient le concept de «I'd like to buy the world a Coke». Soit à peu près ce qui s’est fait de plus allègre dans la publicité depuis cinquante ans.

«Toute la série est construite comme ça: un homme qui ne cesse de vendre du bonheur, tout en étant le plus malheureux du monde», résume Stéphane Xiberras, coprésident et directeur de la création de BETC. Tout grand dépressif qu’il soit, Don Draper se pose comme l’un des inventeurs de la félicité standardisée des années 1950-1960. «Ce que tu appelles l’amour a été inventé par des gars comme moi pour vendre des bas nylons», grince-t-il à l’une de ses conquêtes.

Rivaliser avec les Jones

«Toutes ces pubs des années 1950 qui montrent des familles contentes de posséder des Buick ne tardent pas à être détournées», rappelle Stéphane Xiberras. Comme le raconte Vincent Garel, directeur des stratégies chez TBWA Paris: «En 1956, une annonce Chevrolet "Are you keeping up with the Joneses?" (Pouvez-vous rivaliser avec les Jones?) joue sur les rivalités entre voisins. Dès 1959, Volkswagen riposte, en demandant "Les Jones conduisent une voiture de quelle année?". Réponse: on s'en moque parce que la Coccinelle ne change pas d'une année sur l'autre...»

Et comment oublier les délicieux films Hamlet des années 1970-1980? Des hommes aux physiques disons non conventionnels, bloqués dans des situations périlleuses (une séance de Photomaton qui vire au drame, un side-car devenu fou) y retrouvent la béatitude grâce à un cigare. Signature: «Happiness is a cigar called Hamlet».

Outrance

«Aujourd’hui, les représentations du bonheur basiques –la petite famille ravie de son paquet de céréales– provoquent le rire. Si l’on veut aborder le bonheur de manière frontale, l’outrance est nécessaire», remarque Olivier Altmann, cofondateur et président d'Altmann+Pacreau. Une série de spots pour les produits dentaires Crest, signés «You can say anything with a smile», montre ainsi des personnages qui profèrent des horreurs avec «un sourire de bois que l’on n’aimerait pas croiser par une nuit sans lune», pour paraphraser Philippe Muray. Le planneur Luc Basier, fondateur de Do the right thing, cite quant à lui «les annonces Herta, où des saucisses pas chères rendent les enfants aussi heureux qu’une moto électrique».

Les publicités «pré-roll» des assurances Geico surjouent quant à elles l'exaltation consommatrice. «La parodie, technique ultra-classique, permet d'endosser une posture d’honnêteté. Tout en véhiculant aussi, in fine, une promesse de bonheur», estime Olivier Altmann. Une annonce pour les Cannes Lions montre ainsi un jeune papa morose devant son nouveau-né: «Vous ne serez jamais réellement heureux sans un Lion à Cannes». Toute plaisanterie cache une part de vérité.

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