Stratégie de marques
Comment des biens de consommation courante devenus des «commodités» peuvent-ils s'ancrer dans le haut de gamme? Tour d'horizon en quatre exemples.

Garofalo, une Napolitaine à Paris

On se croirait place Vendôme. Présentoirs en verre, formes volutées… Lors du dernier Salon international de la restauration, de l'hôtellerie et de l'alimentation (Sirha), le restaurant éphémère de Garofalo, marque de pâtes lancée en France début 2015, avait des airs de boutique de joaillier. Rachetée en 2014 par le groupe espagnol Ebro, qui possède Lustucru et Panzani, la marque en constitue le segment premium. « Lorsqu’on veut monter en gamme, il faut croiser les doigts pour que la marque ait une histoire, souligne Grégory Fouble, fondateur de l'agence de design Pierre & Maurice, qui a orchestré, avec l'agence Golin, la mise en orbite de la marque. C’est le cas de Garofalo, née en 1789 à Gragnagno, berceau de la pâte dont le paquet porte le sceau du roi de Naples. »

Sur le marché français, Garofalo affrontera Barilla, qui signa, dans les années 1980, le spot « La cambrioleuse » dans laquelle une jeune femme courait sur les toits de Paris, après avoir volé une collection de pâtes, comme si elles étaient des bijoux. « Avant Barilla, on parlait de nouilles ! », s’amuse Jean-Noël Kapferer, professeur à HEC et auteur de Luxe Oblige. « La marque, avec ses coffrets bleu nuit et sa fenêtre transparente, a créé le haut de gamme avec des produits de niche comme les fusilli ». Le nouvel arrivant « ne se situe pas dans l’hyperluxe, mais revendique ce niveau d’ambition », explique Grégory Fouble, qui précise que « Garofalo ancre également ses racines dans le cinéma italien ». Loin sans doute de La Grande bouffe.

 

Evian, source de luxe

Cette élégante vient de s’adjoindre les services de l’un des plus branchés des stylistes : Alexander Wang. Les flancs de ses bouteilles s’orneront en novembre du logo de la maison, stylisé sous forme de code barre. « Les éditions spéciales font partie de la stratégie premium d’Evian, explique Marielle Durandet, vice-présidente de BETC, l’agence de la marque. Autres éléments qui justifient l’écart de prix avec les concurrents, qui peuvent coûter jusqu’à trois fois moins cher : le fond, la forme et le mode d’accès au produit. »

La jeunesse éternelle : la promesse d’Evian est des plus fortes. « La jeunesse encapsule la santé, la minceur, la tonicité, mais aussi des valeurs attitudinales, un appétit pour la vie… », énumère Marielle Durandet. En utilisant ces appas, la marque s’inscrit sans ambiguïté dans l’univers du haut de gamme. « Le premium s’exprime à travers une proposition pareille à nulle autre, un bénéfice produit propre », remarque Grégoire Garrel, directeur du département Beyond Advertising de Mediacom, qui a publié une étude intitulée Go Premium.

Le marché de l’eau « s’est construit par le haut en France, pays du thermalisme avec des marques comme Vichy, Contrex, Vittel, et ouvert par le bas, avec l’arrivée des eaux de sources comme Cristaline », souligne Marielle Durandet. Considérée comme une marque de luxe à l’étranger, Evian veille à être distribuée « dans les meilleurs CHR en France », précise-t-elle. « Mais aussi à à innover, comme avec la première bouteille compactable ». Histoire de garder une longueur d’avance sur un marché très… embouteillé.

 

Kusmi Tea, le tsar des thés

Conte des thés : quand un « gringo », acheteur de café sur les hauts plateaux, tombe amoureux de la boisson favorite des tsars. En 2003, Sylvain Orebi rachète Kusmi Tea, marque créée en 1867 par Pavel Michailovitch Kousmichoff. Les codes du premium infusent la marque : « Le logo n’a pas changé depuis le XIXe, avec l’image de Saint-Pétersbourg qui se reflète dans la Neva », décrit Sylvain Orebi. « L’histoire de la marque, mêlée à celle des tsars de Russie, est exceptionnelle. Et elle peut se prévaloir de mélanges très anciens, comme Bouquet de Fleurs, créé en 1880 ou Prince Vladimir, en 1888… »

Car une marque premium, c’est avant tout une bonne histoire, comme le rappelle Grégoire Garrel, de Mediacom, mais aussi « l’appropriation d’un territoire, de lieux ». A cet égard, Kusmi Tea a investi les Champs-Elysées, où se trouve son flagship store, et a ouvert 60 boutiques (dont 20 à l’étranger), avec un parti pris « d’innovation constante, de magasins de nouveautés. C’est cela aussi le côté chic et premium », estime Sylvain Orebi, qui, pour le lancement de sa marque, avait choisi « un bureau de RP spécialisé dans la beauté, Nice Work, pour cibler la presse féminine ». « Tout ce que l’on a fait, résume-t-il, c’est d’utiliser les codes des autres secteurs, ceux de la beauté, du parfum, du luxe, pour promouvoir un produit, le thé, qui est la deuxième boisson la plus bue au monde après l’eau. »

Le 1er octobre, la marque lancera avec Unibail les Kusmi Kiosk, points de distribution en libre-service.

 

Fleury Michon, la qualité à cœur

« Un exemple de virage qualitatif ». L’expert des marques Jean-Noël Kapferer ne tarit pas d’éloges sur Fleury Michon, « qui a abandonné l’épaule aux marques distributeur pour aller sur des produits de niche, jambons italiens, fumages sophistiqués, produits labellisés… ». Si Fleury Michon se lançait aujourd’hui, elle s’appellerait peut-être « Félix et Lucien », du prénom de ses fondateurs, Felix Fleury et Lucien Michon, sourit David Garbous, directeur du marketing stratégique de la marque. « Les fondateurs, l’un charcutier traiteur et l’autre négociant en viandes, étaient dès le départ dans une logique de transformation qualitative », raconte-t-il. Fleury Michon sera à l’origine de la création du Label Rouge dans les années 1970, puis de la filière « Bleu-Blanc-Cœur » en 2001.

La marque a noué depuis vingt-huit ans des liens privilégiés avec le chef étoilé Joël Robuchon, et vient de lancer « Très bien, merci », service de plats préparés. « La croissance de Fleury Michon est tirée par les produits premiums, constate David Garbous, qui dit réaliser « 30 % du business sur les Label Rouge et Bleu-Blanc-Cœur, et 30 % sur la gamme “Qualité garantie“ ». En 2014, la marque lançait « Venez vérifier », campagne remarquée sur l’un de ses produits phares, le surimi, qui visait à en dissiper la mauvaise réputation. « La premiumisation, c’est aussi cela », explique Vincent Léorat, directeur général de DDB Paris, en charge du budget. « Une communication qui ouvre à l’entreprise et implique les publics, en parlant à l’intelligence. »

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