Travel retail
S’installer là où transitent les «globe-shoppers» se révèle être une stratégie gagnante : le travel retail s’envole. Et le luxe est aux premières loges.

Ne dites plus «duty free» mais «travel retail». Un glissement sémantique moins anecdotique qu’il n’y paraît : devenu un canal de distribution choisi pour une gamme élargie de produits, le travel retail (que l’on peut traduire par commerce dans les lieux de voyage, de transit) n’est plus assimilé au seul discount. Le marché, estimé entre 60 et 70 milliards d'euros cette année, pourrait atteindre 110 Md€ en 2020. Sur fond de trafic aérien exponentiel (3,3 milliards de passagers en 2014, chiffre qui devrait doubler d’ici à quinze ans), les aéroports en trustent 60%. Mais le travel retail, ce sont aussi les ventes à bord des bateaux de croisière et des avions, dans les gares, les boutiques duty free en centre-ville ou aux frontières. L’idée phare, c’est d’être là où se trouvent les voyageurs.

Le monde du luxe est en première ligne. La dernière mise à jour (mai 2015) de l’étude de Bain & Company sur le marché des produits de luxe révèle que le tourisme en est devenu le principal moteur avec 50% des dépenses mondiales, tirées par des voyageurs chinois de plus en plus nombreux, qui achètent trois fois plus à l’étranger que dans leur pays. Ce sont eux qui ont fait basculer le marché d’une consommation locale à une consommation globale. Une nouvelle donne qui rend notamment obsolète le concept des saisons, si cher aux griffes de luxe…

L’étude pointe que les ventes dans les aéroports ont connu une croissance annuelle de 11% entre 2011 et 2014, le segment de la beauté étant particulièrement porteur. Les marques n’aiment guère s’exprimer sur le sujet. «Nous communiquons sur nos boutiques en ville, pas sur celles que nous ouvrons dans les aéroports», reconnaît-on du bout des lèvres chez Dior. Pourtant, dès 1960, LVMH a créé DFS (Duty Free Shoppers), une filiale basée à Hong Kong. C’est aujourd’hui le leader mondial du luxury travel retail, avec plus de 400 points de vente dans 18 aéroports et 14 «downtown stores» rebaptisés T Galleria by DFS en 2013, une quinzième enseigne devant ouvrir à Venise au printemps 2016, dans un palais sur le Grand Canal.

Pour les aéroports, le travel retail est à la fois une source de revenus et un élément de différenciation. Certaines plateformes ne se contentent d’ailleurs plus de toucher un pourcentage sur les espaces alloués à une poignée de concessionnaires spécialisés. Aéroports de Paris (ADP) a ainsi créé plusieurs joint-ventures avec Lagardère Travel Retail : «Nous partageons les risques, testons des dispositifs, c’est une vraie dynamique», explique Mathieu Daubert, directeur des commerces d’ADP. En 2006, seul Hermès avait pignon sur piste à Roissy. Aujourd’hui, des boutiques Dior, Cartier, Gucci ou Bvlgari y rivalisent de glamour, principalement dans les terminaux dédiés aux long-courriers. Même Chanel, «la plus sélective de toutes les marques», dixit Mathieu Daubert, a débarqué à l’automne 2014. Chaque zone de commerce porte désormais un nom évoquant Paris comme L’Avenue (sous-entendu Montaigne) ou Le Grand Magasin, «pour recréer une expérience de shopping parisien basée sur l’art de vivre à la française», détaille le responsable d’ADP.

En juin 2015, le restaurant I Love Paris s’installait à son tour au terminal 2E, le cœur du hub d’Air France. India Mahdavi pour le décor et le chef étoilé Guy Martin pour la carte, la table gastronomique garantit un service en trente minutes pour… rassurer. «En réalité, les clients ont plutôt d’une heure et demie à deux heures devant eux, ce qui laisse tout le temps de savourer un dernier bon repas à la française», glisse Mathieu Daubert. Le temps, voilà bien l’atout maître des aéroports. Passé les formalités et les portails de sécurité, le voyageur captif et débarrassé de ses bagages dispose en effet d’une confortable parenthèse dans un espace sécurisé. Cadeaux pour les proches, dernières emplettes qui ne se traduiront pas par un excédent de bagages, la tentation est forte !

«Les personnes qui transitent dans les aéroports sont des “early adopters” qui recherchent des innovations», témoigne Laurence-Anne Parent, associée du cabinet de conseil en stratégie Advancy. Les marques de luxe en ont donc fait un lieu d’expérimentations, multipliant les séries limitées et les lancements événementiels exclusifs. Fin 2014, Moët Hennessy ouvrait à CDG ses Caves Particulières (première boutique en propre de la marque), où des flacons d’exception sont présentés dans un environnement chic faisant appel au marketing sensoriel imaginé par Jean-Michel Wilmotte. «Nos boutiques proposent aussi des grands crus de Bordeaux et de Bourgogne, de nature à séduire les collectionneurs», signale Mathieu Daubert, qui note une progression des ventes de pièces à plusieurs milliers d’euros. Aux côtés des spiritueux, accessoires griffés et joaillerie sont plébiscités.

«Certains voyageurs peuvent choisir une escale plutôt qu’une autre parce que l’expérience shopping est de qualité et la compétition entre les grands hubs aéroportuaires s’opère aussi sur le terrain du retail», analyse Laurence-Anne Parent. Le premier enjeu consiste à se faire (re)connaître des globe-shoppers dans leurs pays d’origine, à travers des opérations B2B2C (via les professionnels du tourisme) et B2C (presse, blogs, réseaux sociaux, applications comme WeChat pour les Chinois). «C’est la route de la soie digitale», commente Michel Campan, fondateur de l’agence Same Same but different. En parallèle, l’aéroport est devenu un média, véritable tour de contrôle pour observer le marché dans sa diversité cosmopolite. Les acteurs en présence acceptent d’y partager leurs «data», affûtant leurs stratégies. Déjà, panneaux publicitaires et marchandising s’adaptent autant que faire se peut aux vols en partance, notamment en devenant polyglottes. Le marketing mobile a aussi toute sa place. «Le travel retail s’affirme aujourd’hui comme le premier des canaux car c’est celui qui permet le mieux de tester des stratégies», conclut Laurence-Anne Parent.

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