Communication
Suite aux attentats du 13 novembre, marques et enseignes sont face à un dilemme: sauver une période d'achat cruciale tout en évitant une politique commerciale trop ostentatoire. L'événementiel est lui aussi en première ligne, mais les annulations touchent surtout les manifestations grand public.

Peu après les attentats de janvier, le ministère de l'Économie avait évoqué des chiffres d'affaires de magasins en baisse de 10% et de 18% pour les grandes surfaces de la région parisienne. Mais au final, le 1er trimestre avait enregistré une croissance de 0,7%. Le parallèle avec la tragédie du 13 novembre est toutefois hasardeux, tant le traumatisme est monté d'un cran du fait d'attaques aveugles et massives, et de l'incertitude qui plane depuis, avec son lot quotidien d'informations inquiétantes.

Les premiers jours après le drame, la Confédération des commerçants de France (CDF) a constaté «une baisse très importante du chiffre d'affaires, entre 8 et 10%» pour les plus petites entreprises et allant «au-delà de 50% pour d'autres, comme Les Galeries Lafayette [–30% pour le Printemps]». Les magasins d'habillement de centre-ville, eux, ont enregistré une baisse de fréquentation de 20 à 30%, selon la Fédération nationale de l'habillement qui a demandé à la secrétaire d'État au Commerce et à la Consommation, Martine Pinville, de mener une «grande campagne publicitaire pour soutenir le commerce indépendant de centre-ville et plus généralement tout le commerce».

En première ligne, les plus touchés sont cependant l'hôtellerie (–50% de chiffre d'affaires 8 jours après les attentats) et bien sûr le secteur du jouet, qui réalise les deux tiers de son chiffre d'affaires en fin d'année: chez Joué Club, dix jours après les attentats, la fréquentation a reculé de 20%, notamment en région parisienne, selon son PDG, Alain-Bourgeois Muller. Mieux toutefois que la semaine précédente (–50%). Par ailleurs, à noter que le concurrent Toys R Us a procédé, le 16 novembre, au retrait de 23 références de jouets relatives à des armes à feu. 

Probable effet de ciseau

Dans un tel contexte, les enseignes ont décidé de rebaptiser le «Black Friday», jour de promotions importé des Etats-Unis et prévu le 27 novembre, un nom inapproprié après les attentats de Paris et Saint-Denis. Le groupe Klépierre, qui gère de nombreux centres commerciaux en France et en Belgique, a ainsi renommé cette opération «Jours XXL». Son concurrent Unibail-Rodamco avait, pour sa part, déjà appelé son opération «Unexpected Days», en lien avec sa signature «Unexpected Shopping», tout en faisant disparaître le sous-titre «Un Black Friday à la française». Le distributeur Auchan, lui, va organiser un «Crazy Weekend», quand le site de vente de chaussures en ligne Spartoo a opté pour «Friday Shopping» et la Fnac pour «Quatre jours uniques Fnac».

Cette opération promotionnelle, nouvelle en France et dont l'intérêt calendaire est de dynamiser les ventes entre la rentrée et les fêtes de fin d'année, risque fort de ne pas rencontrer le succès escompté. «Par rapport à janvier, le traumatisme est plus profond. Il est difficile de se mettre dans l'esprit de Noël. On peut s'attendre à ce que les Français décalent leurs achats au dernier moment, lors des deux dernières semaines avant les fêtes», estime Bernard Buono, vice-président de BETC et patron de BETC Shopper. 

Côté plans médias, Pierre Conte, vice-président de l'Udecam (Union des entreprises de conseil et achat media) et président de Groupe M (WPP), n'a pas constaté d'annulation de budgets, mais «certaines campagnes, dont les messages n’étaient pas appropriés au climat, ont été décalées en accord avec les régies». Plusieurs éditeurs de jeux vidéo ont ainsi repoussé en France leurs campagnes de publicité autour de jeux de tirs violents. C'est le cas d'Ubisoft pour «Rainbow Six Siege», pour une sortie prévue le 1er décembre. L'américain Activision a fait de même pour «Call of Duty: Black Operations», disponible depuis le 6 novembre. Idem pour le jeu «Fallout 4» de Bethesda, en vente depuis le 10 novembre. «Reste que décembre est une période stratégique pour les annonceurs de certains secteurs, comme ceux des jouets et du luxe. Pour eux, lever le pied serait très préjudiciable», ajoute Pierre Conte.

Comme d'autres annonceurs, Bouygues Telecom a gelé sa toute nouvelle campagne (BETC) durant les trois jours de deuil national. Même décision chez Orange: «Nous avons souhaité respecter la période de deuil en annulant nos campagnes digitales, nos actions de street marketing dans les centres commerciaux et les dispositifs festifs, comme les avant-premières d'Hunger Games, prévues mardi 17 novembre, ainsi que les appels commerciaux vers les clients et les opérations de marketing direct, explique Gaëlle Le Vu, directrice de la communication d'Orange France. Depuis, nous avons repris progressivement nos campagnes. Au-delà, pour les quinze prochains jours, nous regardons quelle posture adopter.»

«Il y a deux scénarios», déclarait mercredi 18 novembre Marc Lolivier, délégué général de la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad), lors d'une conférence de presse: «Soit les gens se réfugient sur internet pour leurs achats de Noël, soit les attentats impactent le moral des Français et on assistera à une baisse généralisée des ventes.» Olivier Macard, responsable mondial de l'activité distribution et grande consommation chez Ernst & Young, envisage «un probable effet de ciseau, avec une baisse du trafic dans les magasins physiques et une hausse des achats en ligne, accélérant ainsi la croissance d'un canal qui avait déjà enregistré une augmentation de 13% l'an dernier. Reste à savoir si la capacité logistique va suivre.»

Scepticisme et adaptation

Mais que restera-t-il des intentions d'achat affichées par les Français dans une étude Deloitte publiée la veille des attentats. Le cabinet prévoyait alors des dépenses plus importantes cette année, avec un budget de 577 euros en moyenne (+0,23%), un redressement notable par rapport à l'an dernier (–4,5%). Or, 48% d'entre eux annonçaient qu'ils prévoyaient d'effectuer tout ou partie de leurs achats dès la fin novembre... «Nous étions, chez Group M, les plus sceptiques en termes de prévision pour 2015: nous le restons pour l’année prochaine. Nous nous orientons vers une quatrième année étale», déclare Pierre Conte. 

Certes, mais contrairement à janvier, le mois de décembre est une période de consommation traditionnellement forte. «Dans cette période difficile, on peut penser que les gens vont avoir envie de se retrouver et de s'offrir un moment de plaisir en famille ou entre amis», pense Bernard Buono, de BETC, qui, hors plure players du web, verrait bien certaines enseignes développer des systèmes de livraison rapide et multiplier les actions de promotion. «Mais de façon non visible, via des SMS, les réseaux sociaux, l'e-mailing, car l'heure n'est certainement pas aux opérations commerciales trop ostentatoires.»

 

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