Naming
Avec le découpage de la France en 13 régions métropolitaines -contre 22 auparavant- sept nouveaux conseils régionaux sont nés de la fusion de plusieurs territoires. Leur premier enjeu de communication est de définir une plateforme de marque et choisir un nom fédérateur, mobilisateur et compétitif avant juillet.

Six mois pour trouver un nom. Depuis le 4 janvier, le découpage de la France en 13 régions métropolitaines est entré en vigueur avec l’élection des présidents des sept nouvelles régions fusionnées - les six autres au périmètre inchangé ayant désigné le leur dans la foulée des élections régionales de décembre dernier (lire encadré). Parmi les nombreux dossiers qui vont occuper ces nouveaux exécutifs, il en est un qui ne peut attendre, c’est le choix du nom de la région qui doit être proposé avant le 1er juillet prochain. Le compte à rebours a donc commencé et dans certains cas, le sujet est un vrai casse-tête.

Toutes les régions ne sont pas dans la situation de la Normandie (UDI), dont la réunification sonne comme une évidence à l’instar du slogan «Ni bas ni haut, naturellement normands!» créé en novembre 2014 par la Basse-Normandie. Ou comme la Bourgogne-Franche-Comté (PS), qui devrait confirmer ce nom sans difficulté. Le fruit d’un travail sur la fusion entrepris dès avril 2014 par les présidents (PS) des deux régions, facilité par leur appartenance à la même famille politique. Depuis, Benoît Chaumont et Philippe Lancelle, directeurs de la communication respectivement de Bourgogne (16 personnes pour 2,6 millions d’euros de budget) et de Franche-Comté (18 personnes, 1,5 millions) travaillent ensemble. «Nous avons réparti les tâches entre les deux équipes de communication pour éviter les doublons» expliquent-ils. Ils ont procédé en trois temps. A l’automne 2014, une concertation auprès des Francomtois a abouti à la rédaction d’un livre blanc sur les conditions de réussite de la fusion, remis à François Hollande en décembre. Au printemps 2015, le projet «Bourgogne-Franche-Comté en marche» a mis en place une communication commune et transversale via des rencontres thématiques avec la création du site «Bourgogne-Franche-Comté 2016». «La troisième phase, démarrée à l’été 2015, a abouti à un logo, une charte graphique et un site provisoires, indique Philippe Lancelle. «Parallèlement la communication interne a été coordonnée avec des informations communes sur nos deux intranets et la production de supports web et papiers pour les agents, ajoute Benoît Chaumont. La dernière phase consistera à élaborer dans les prochains mois la nouvelle stratégie de communication de la région et à mener le chantier de la réorganisation de la direction.» Pour les deux régions, les marchés de communication calés sur la durée des mandats ont pris fin en décembre dernier. De nouveaux appels d’offres sont donc à prévoir.

Un enjeu d'opinion

Quand la nouvelle région administrative agrège deux ou trois anciennes régions n’ayant pas d’histoire commune et des identités locales très fortes, l'exercice imposé est plus délicat. Quel sera le nom fédérateur et mobilisateur qui portera l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, dont la fusion est forcée? Jacques Séguéla a proposé La Champanie. Cœur d’Europe, Est Europe a ses partisans. La presse, pour des raisons pratiques, a déjà opté pour le Grand Est. «On utilise pour l’instant Grand Est, confirme le président du conseil régional, Pierre Richert, cité dans Lemonde.fr du 8 janvier. Mais une fois sortis de notre pays, ce n’est plus porteur de références. On a des identités fortes, comme Alsace ou Champagne, qui sont en plus des marques qui portent. Personne ne songe un instant à les abandonner, mais il faut mettre à côté une identité contemporaine, un nom qui chante.»

Un groupe de travail va être constitué, qui associera les élus et la société civile, et débouchera sur une consultation des citoyens, comme dans la plupart des régions. «Les méthodes participatives favorisent le sentiment d’appartenance» explique Elisabeth Coutureau, vice-présidente de l'agence Clai. Il y a un enjeu d’opinion et l’obligation de créer une nouvelle identité forte cohérente, sans gommer les micro-identités en gardant de la proximité ,». 

En Alsace, comme partout sur les sites web provisoires des régions, les acronymes ont surgi. Mais, à terme, personne n’en veut. Les politiques ayant tous en tête le désastreux Paca «qui ne dit rien et ne donne pas envie!». Jean-Marc Devanne, président de Co-Managing, cabinet de conseil spécialisé en marketing territorial, est plus pragmatique: «Paca, c’est le nom de la structure administrative, cela n’empêche pas de vendre à l’international la Provence, la Côte d’Azur et la French Rivieria. La règle, c’est de ne pas dépasser les 5 syllabes» ajoute-t-il. Avec ses onze syllabes, la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes devra faire des choix! «Le nom tournera certainement autour d'“Aquitaine”, mais pas seul. Certains ont évoqué “Nouvelle Aquitaine”», indique Pascale Groulaud, directrice de la communication de la région Aquitaine. L’agence de naming Raison d’être a analysé quelque 8 000 propositions faites via une plateforme.

«Notre premier travail consistera à réaliser le portrait d’identité de nos territoires, poursuit Pascale Groulaud. Le Limousin a déjà fait ce travail il y a deux ans avec le cabinet Co-Managing, que nous avons choisi ainsi qu’Epiceum, fin 2015, pour du conseil stratégique avec cinq agences pour la production de campagnes. Il nous faudra trouver un fil rouge commun aux trois régions. La qualité de vie, l’agriculture et l’image de “Californie européenne” de notre région sont certes des valeurs centrales, mais les gens attendent surtout de savoir comment la région les accompagne.»Avec ses deux collègues (à terme une seule direction de la communication aura son siège à Bordeaux), elle planche sur le nouveau site de la région prévu pour septembre prochain et prépare la sortie d’un numéro spécial du magazine régional «Nouvelle grande région» en février.  

Du côté du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, les directeurs de la communication respectifs, Yves Bousquet et Thierry Charmasson, ont pris le parti de lancer dès l’automne dernier une campagne civique print et web commune, «Ma nouvelle région, un nouvel horizon», conseillés par leurs agences Ouvert au public (Montpellier), DDB Nouveau Monde et Hôtel République (Toulouse), dont les contrats courent jusqu’à fin 2016. «Notre priorité est maintenant de trouver le nom de la nouvelle région, indique Thierry Charmasson. Pas d’acronyme, mais un nom simple géographique et/ou culturel. Les premiers sondages ont fait émerger Occitanie, Occitanie-Pays catalan, Sud-de-France et Pyrénées-Méditerranée. Nous souhaitons multiplier les canaux pour mobiliser et toucher le plus grand nombre d’habitants via divers outils: sondages web, imprimés, événements…Le défi est de faire passer les habitants d’un certain scepticisme sur cette fusion à une évidence.» En Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Xavier Bertrand est le seul à avoir lancé un référendum pendant la campagne via le site Un nom pour notre région, qui imposait de laisser son e-mail pour voter. Rien n’est tranché entre le nom à rallonge actuel, Flandres-Artois-Picardie ou Nord-de-France.

Attractivité économique, sociale et touristique

Cette réforme territoriale mobilise les agences corporate, à l’instar de TBWA Corporate, qui lance une offre de marketing territorial, «Territoires 2016-2021». Sur ces questions d’identité, les conseils des professionnels sont précieux. Pour Eric Giuily, président-fondateur de l’agence corporate Clai et coauteur du livre Pour en finir vraiment avec le millefeuille territorial, «la problématique est assez proche des fusions d’entreprise. Avant de trouver un nom, il faut se donner trois mois pour faire une plate-forme de marque, qui doit rassembler les citoyens à partir des atouts de la région et ses ambitions de développement  avec en ligne de mire son  attractivité économique, sociale et touristique

Pour Marcel Botton, président-fondateur de l’agence Nomen, il faut que «le nom raconte une histoire, à l’instar du Centre qui s’est adjoint Val de Loire pour nourrir son storytelling» et «valorise des racines et une histoire commune, poursuit l’expert, qui se demande comment Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ou Auvergne-Rhône-Alpes vont créer ce lien qui n’existe pas. «La métonymie qui consiste à désigner le tout par une partie peut être une solution» dit-il. Pour Denis Gancel, président de l’agence W, «mieux vaut regarder vers l’avenir et assumer la diversité des territoires, car ce qui fera l’osmose d’un territoire, ce sera son attractivité économique davantage que la conscience de partager un héritage culturel et historique». Pour lui, il faut donc capitaliser sur les noms existants ou, sinon, opter pour la marque contractée sans négliger le design. L’enjeu, c’est que la marque soit mémorisable et légitime. «Qu'elle soit un étendard, ajoute Jean-Marc Devanne de Co-Managing

Trouver un nom et l’identité visuelle est une figure urgente imposée, reconnaît Evelyne Soum, advisory board member de Gyro-Ailleurs exactement, agence de la région Ile-de-France depuis 2011. «Avec le souci qu’il faut démontrer le bénéfice de puissance lié à la taille des nouvelles régions, qui fait perdre en proximité alors que l’enjeu est précisément de continuer à développer l’atout d’affect liée à une proximité et une familiarité qu’il faut recréer» souligne-t-elle. Pas simple! Elle préconise d’abandonner les campagnes d’image et construire du sens. «La communication doit valoriser les actions politiques et les bénéfices concrets pour les citoyens. C’est ainsi que pourra se construire un sentiment d’appartenance» dit-elle.

La conduite du changement

A cet égard, pour Eric Zajdermann, président d'Anatome, les cent premiers jours sont majeurs politiquement, un timing bien compris par Xavier Bertand qui, dès son élection, a lancé le plan «Proche emploi». «Il faut aussi travailler sur l’accessibilité et la visibilité des services, insiste-t-il. Un autre volet concerne les questions d’ordre organisationnel, qui mobilisent les cabinets de conseil en management, à l’instar de Deloitte. «Sur cette question de la conduite du changement, la communication a un rôle à jouer notamment pour monitorer les opinions, défend Eric Zajdermann. La facon dont les convergences entre les services vont être réalisés dépendra la manière dont l’organisation va se projeter et l’image qu’elle donnera.» Quant à l’identité, «l’enjeu est international», rappelle-t-il. Et malheureusement, les régions françaises restent, sur ce plan stratégique, des nains budgétaires face à leurs concurrentes européennes.

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