Interview
Professeur de philosophie, Richard Mèmeteau enseigne à l’université de Chartres. Par ailleurs, il tient le blog Freakosophy.com, très «pop culturel», qui se définit comme un espace fait pour «reconquérir avec plaisir ce qui est méprisé par la pensée car déclaré trop frivole». Il a publié fin 2014, aux éditions Zones, «Pop culture, réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités».

Peut-on vraiment définir ce qu’est la pop culture?

Richard Mèmeteau. La définition de la pop culture n’est pas chimiquement pure. Je crois qu’elle doit revêtir au minimum deux conditions cumulatives: avoir une dimension subversive, mais aussi permettre une réappropriation. Cette définition est issue de l’histoire. Henry Jenkins [professeur au MIT, spécialiste des “cultural studies” et des études sur les fans] la fait démarrer avec les premiers spectacles itinérants, les cirques etc. Parce qu’ils sont les premiers spectacles de masses, délocalisés par essence. Avant les Beatles ou Andy Warhol, avant la pop music et le pop art, il y a un public d’adolescents qui achetaient des pulp magazines et s’est mis à dessiner ses propres héros, et s’est finalement donné sa propre mythologie. Superman apparaît en 1933. Le «pop» des onomatopées des comics est aussi le «pop» de la naissance de ce nouveau public  – «to pop-up» signifie surgir. Quant à l’étape ultime de la pop culture, qui la distingue de la pop music ou du pop art, elle tient dans sa rencontre avec l’image, et particulièrement avec le clip. MTV est lancée en 1981. Sous cette forme, ultra-fluide et polymorphe, la pop culture ne connaît qu’une loi, celle du magnétoscope. En même temps se popularise l’idée que tout le monde peut la récupérer, la passer, la transformer, bien que ce soit mille fois plus compliqué en réalité. Depuis lors, on vit dans un monde où les moyens techniques permettent une émergence des différents publics encore plus rapidement qu’au début des comics.

 

Y-a-t-il une différence entre ce qui est mainstream et la pop culture?

R.M. Oui. Le mainstream, c’est ce qui est partagé par tous. C’est le plus petit dénominateur commun. La pop culture n’est pas homogène et conserve un côté underground. Pete Townsend, le chanteur des Who, disait que la pop culture devait tout «pulvériser», en ce sens où c’est la création d’un nouveau monde possible. L’autre différence entre la pop culture et le mainstream, c’est l’univers narratif, qui n’existe pas dans le mainstream.

 

La réappropriation est rendue plus simple aujourd’hui grâce à la révolution technologique. D’où le retour de la pop culture?

R.M. Les deux choses sont complètement liées. On ne peut pas couper ce retour en force de la pop culture, et son irrigation de tous les champs de la société, sans analyser la façon dont la révolution digitale permet à tous de se réapproprier l’art. Tout le monde peut monter des films, détourner et retoucher des photos… Seulement, la pop culture est aussi une relation au mythe et, surtout, au héros. La pop culture est quelque part à la source du storytelling, si cher aux communicants. Il lui faut un héros auquel on peut s’identifier. Par exemple, dans Star Wars, ce qui est fascinant, c’est que l’on peut avoir un sabre laser et du courage et renverser tout simplement l’ordre du cosmos. La pop culture se nourrit de héros. Ensuite, le retour sur le devant de la scène de la pop culture est aussi la résultante du manque d’utopie et de rêve dans la société. Nous nous réfugions donc dans notre imaginaire commun qui est constituée justement par les images issues de la pop culture. De Star Wars aux Tontons Flingueurs en passant par Rihanna et Harry Potter.

 

Comment une œuvre devient-elle une composante de la pop culture?

R.M. L’œuvre doit être universelle, toucher un public qui va ensuite se la réapproprier. On peut avoir des héros bien campés et un schéma narratif passionnant, et ne pas devenir une œuvre qui restera dans l’imaginaire «pop culturel». De fait, il n’existe pas de recette. Les choses sont assez accidentelles parfois. Qui aurait pu, par exemple, prédire que la communauté gay allait tellement aimer Madonna et que par effet boule de neige, l’ensemble de la population allait suivre ce mouvement.

 

Et la publicité dans tout ça. Est-elle une part de la pop culture?

R.M. Les publicitaires ont bien compris l’intérêt d’utiliser les codes de la pop culture pour mettre en valeur les marques et leur permettre d’avoir un récit au long court. Peu de marques ont un héros, qui vit des épreuves et qui raconte une histoire. Apple avait cela, Facebook avec Zuckerberg l’a aussi, Microsoft et Bill Gates également. Mais pour Coca-Cola et Nike, je suis plus dubitatif. De même, lorsque des marques créent des héros de pub, ceux-ci sont vite datés et ringard. Pensons, par exemple, à Malabar. C’est assez logique, le temps de vie d’une marque ou d’une publicité est beaucoup plus court que celui d’une œuvre.

 

La pop culture peut-elle préfigurer les changements du monde?

R.M. Sans aucun doute. Elle influe sur nos imaginaires. Notre relation au genre, actuellement, est clairement inspiré de Bowie. De même, quand Buffy est créée, il faut un certain culot pour avoir imaginé une héroïne qui tue tous les monstres. Idem pour Matrix, qui est un film où tous les personnages, hommes ou femmes, sont à égalité. C'est un discours nouveau. Voire cela donne d'autres images de ce que peut être le monde.

Un geek philosophe et vice-versa 

Le livre de Richard Mèmeteau Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités est un ouvrage de philosophie, mais aussi celui d’un geek passionné, grand connaisseur de la pop culture. C’est d’ailleurs ce qui en fait tout l’intérêt. Allant de Buffy et les vampires jusqu’à Kant en passant par Andy Warhol et Dark Vador, Richard Mèmeteau démontre que la pop culture s’est unifiée de trois façons: par le geste de réappropriation, par l’invention d’une recette qui est apparue dans l’écriture cinématographique et par la nécessité de justifier l’association par un mythe. Tout l’intérêt de l’ouvrage est dans son éclectisme culturel et dans sa capacité à rendre intelligible des questions parfois complexes. Enfin, le philosophe n’oublie pas non plus, dans la dimension pop culture, l’importance du fan. Importance rendue toujours plus grande par l’émergence des réseaux sociaux.

En savoir+: www.editions-zones.fr et le blog Freakosophy.com

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