Dossier Design
Confrontées à la concurrence accrue de nouveaux acteurs, les entreprises utilisent le design pour innover. Et incorporent un état d'esprit start-up pour bousculer leurs organisations.

En 2008, les fondateurs de ce qui allait devenir Uber sortent d'une conférence à Paris et s'étonnent de ne pas trouver de taxi. Ils ont l'idée de développer un système de transport de personnes alternatif, applicable dans toutes les métropoles. Aujourd'hui, Uber est une marque, un nom (l'ubérisation est devenu synonyme de nouvelle économie), un écosystème avec des véhicules, des chauffeurs, un service client et une application mobile. Quoi que l'on pense de la polémique autour de cette activité, Uber est un projet bien pensé et bien conçu, un parfait exemple de design thinking ou pensée design, même s'il n'est pas l'œuvre de designers. Avec Airbnb ou Blablacar, il symbolise cet esprit start-up capable en quelques années de bousculer des positions acquises de longue date, avec une agilité, une prise de risque et une rapidité à passer en phase de test qui font l'envie des grandes entreprises. Celles-ci cherchent à appliquer cet état d'esprit en adoptant les principes du design management, ou l'intégration du design comme stratégie d'entreprise.

Développement rapide

Apple, Samsung, Orange, SNCF, PSA Peugeot Citroën ou Accor Hotels sont emblématiques de cette démarche. Confronté à la concurrence de Booking.com, qui court-circuite ses propres plateformes de réservation, et de Airbnb, qui répond à une attente de convivialité, le groupe hôtelier teste de nouveaux concepts, aux idées parfois surprenantes. Avec l'agence de design Sismo, il a proposé aux clients de l'Ibis Budget de Lille une réduction de prix en échange de menus services, comme faire son lit ou participer à la préparation des repas. Une initiative impulsée par le PDG, Sébastien Bazin, et mise en œuvre par Grégoire Champetier et Frédéric Fontaine, respectivement directeur marketing et responsable de la cellule innovation. Dans ce cadre, le «time-to-market», le temps de mise sur le marché, s'accélère. «Sismo nous a insufflé cette démarche de “prototyper” rapidement. On a une idée, on n'attend pas trois mois pour la développer», expliquait Mathieu Perrin, directeur produit des marques économiques Accor Hotels, lors d'une conférence au musée des Arts et Métiers en février dernier. «Le design management est au cœur de la culture d'Accor, confirme Gilles Deléris, président-fondateur de l'agence W, qui accompagne le groupe depuis plusieurs années. Il témoigne d'une capacité d'innovation qui relève d'une nécessité économique et d'une volonté d'entreprendre.» L'agence applique la méthode pour McDonald's, concurrencé par les boulangeries et par l'arrivée de Burger King, en testant de nouveaux formats de restaurants.

«Le design management implique de casser les silos, de faire travailler ensemble le marketing et le design, la recherche et développement et les ressources humaines, complète Marc-André Allard, responsable de DR Innovation, structure créée il y a deux ans par Dragon rouge. La pluridisciplinarité permet de gagner du temps.» DR Innovation travaille avec UR Lab, le laboratoire d'idées d'Unibail Rodamco, sur l'observation des consommateurs pour améliorer les espaces de repos dans les centres commerciaux. Car le design management a aussi pour objet de mettre l'utilisateur au cœur du projet. «C'est une forme d'humilité, affirme Sylvie Gillibert, directrice des programmes de l'école de communication Iscom. Il y a une perte de confiance envers les marques, qui ne peut pas être corrigée par des déclarations de surface. Il faut de la sincérité, de l'empathie, un esprit positif pour créer une expérience durable entre la marque et le consommateur.» «Le design retrouve tout son sens, qui est de “donner une forme adéquate aux conditions de vie”, comme disait Walter Gropius, le fondateur du mouvement Bauhaus, cite Gilles Deléris. On n'est pas dans un simple décor, on est à la rencontre de la fonction, de l'usage et de l'esthétique.»

Ecosystème centré sur le processus ou sur l'individu

Le coworking, ou le fait de faire participer les salariés et les consommateurs, est indissociable du design management. Chez Décathlon, une plateforme internet ouverte permet aux sportifs amateurs de proposer des améliorations aux produits. Un internaute a ainsi eu l'idée d'une poussette-siège auto pour les randonnées en famille. «Il y a plus d'interlocuteurs, donc plus de débats, avec des implications industrielles, logistiques et commerciales. Cela génère un esprit d'entreprise en interne et aboutit à des propositions pertinentes», assurait Vincent Textoris, responsable de Décathlon Création, lors de la conférence Creative Leaders organisée par M Publicité en février au Palais de Tokyo.

Après le design thinking et le design management, le consultant Christophe Chaptal de Chanteloup pense déjà à la prochaine étape: le design making. «Le design management est encore trop industriel et séquencé. Au-delà de la conception d'un objet ou d'un service, il faut passer au design d'un modèle économique, qui implique tout un écosystème autour du parcours client.» Il oppose l'écosystème centré sur le processus, comme Autolib, dans lequel le client doit s'adapter à l'interface, et un écosystème centré sur l'individu, dont le modèle est Uber (avec des problèmes éthiques qui ne peuvent être éludés).

Le Graal actuel des entreprises est de trouver l'Uber, l'Airbnb ou le Nespresso de leur catégorie. La difficulté étant de vouloir reproduire un succès qui n'a pas été conçu pour en être un, voire qui est issu de la sérendipité, terme favori des start-up qui désigne le fait de trouver une idée en en cherchant une autre. De son côté, Aude Legré-Largillet, responsable du planning stratégique de l'agence CBA, plaide pour «un “brand design thinking”, car la pensée design oublie trop souvent la marque. Or, on ne va pas développer les mêmes innovations pour Apple et Samsung, car leurs valeurs de marque sont différentes.» Les cellules innovation n'ont pas fini de réfléchir et, surtout, d'agir.

Le Design Tank SNCF, boîte à idées sur les rails

Des pianos dans les gares, la collecte des bagages à domicile, des applications mobiles… La SNCF multiplie déjà les services pour faciliter le voyage, mais l'entreprise va plus loin en créant cette année le Design Tank, une boîte à idées en ligne dans laquelle le grand public peut déposer ses demandes d'amélioration. Quelque 500 messages ont été recueillis entre fin janvier et fin février sur le premier thème, la mobilité augmentée. Les services internes de la SNCF en ont sélectionné cinq et une équipe pluridisciplinaire travaille sur la mise en œuvre. Les réponses design seront présentés en juin prochain, en même temps qu'une étude prospective et le thème de la deuxième session. Le projet, pour lequel la SNCF est accompagnée par son agence-conseil en design Saguez & Partners, est placé sous la responsabilité de Béatrice Chavanel, directrice de la marque et de la communication externe. «Nous avons proposé à des entreprises dont les démarches design nous intéressent de donner leur avis, comme Décathlon et Samsonite, précise celle-ci. Il est important d'avoir un œil extérieur et de partager ses bonnes pratiques.»  



Le design management appliqué aux centres commerciaux

L'agence de design AKDV vient de créer un département design management, mais dans un sens différent. Répandue au Royaume-Uni, cette discipline consiste à harmoniser l'identité des centres commerciaux et celle des enseignes qu'ils accueillent. Pilotée par un directeur de création qui a fait ses armes à Londres auprès d'Hammerson, la spécialité est déjà appliquée pour neuf centres commerciaux. «Les foncières se retrouvent avec un actif mieux valorisé et les enseignes sont mieux intégrées», résume Jean-Pierre Lefebvre, PDG d'AKDV.



 

 

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