Distribution
La Fnac a remporté de haute lutte la bataille pour le rachat de Darty, également convoité par Conforama. Si l'opération se finalise, le nouvel ensemble sera le numéro un français de la distribution de produits techniques, culturels et électroménagers. En termes de marketing et de communication, tout est à faire...

Quand on aime, on ne compte pas. La Fnac a dû méditer ce dicton en promettant, lundi 25 avril, de verser 1,16 milliard d’euros dans la corbeille de Darty pour contrer son rival Conforama. Après des mois de cour assidue menée auprès des actionnaires, l’«agitateur culturel» a réussi, grâce à cette nouvelle offre de 170 pences par action (soit plus du double du cours de Darty affiché l’été dernier à la Bourse de Londres), à marquer un point décisif dans cette bataille en portant sa part à 29,73% du capital de Darty. Devant recevoir pour ce prix un autre bloc de 22,11% détenus par deux fonds d’investissement, la Fnac est en mesure de devenir actionnaire majoritaire, avec 51,84% du capital de l’inventeur du contrat de confiance. Renonçant à surenchérir, Alexandre Nodale, le PDG de Conforama, estimait dans un communiqué publié le 27 avril qu’un prix plus élevé ne «créerait plus suffisamment de valeur pour les actionnaires salariés et parties prenantes de Steinhoff [la maison mère de Conforama]». Le seul à pouvoir encore s'opposer à cette union est l'Autorité de la concurrence. L’institution rendra cet été sa décision, qui inclura vraisemblablement des demandes de cession de magasins dans les zones de chalandise où les deux enseignes sont en situation de duopole.

Avant d’en arriver à cet happy end, la Fnac était passée par de longues fiançailles et plusieurs rebondissements. Tout démarre en 2014 quand le distributeur de produits culturels déclare sa flamme à Darty, mais voit son offre rejetée. En septembre 2015, la Fnac remet ça en améliorant son offre. Mais Conforama se pose en rival en mars 2016. Le 21 avril, les deux prétendants font à nouveau valser les enchères jusqu’à ce que la Fnac l’emporte donc au prix fort: «Elle avait plus besoin de Darty que Steinhoff, mais le groupe sud-africain n’est en rien perdant puisqu’il a gagné quelque 60 millions d’euros grâce à l’augmentation du cours de l’action Darty, qui a conforté le sien», analyse un proche du dossier. 

Accentuer la diversification

Malgré la notoriété des enseignes, «ce rachat n’a pas donné lieu à une grande bataille de communication financière», constate un spécialiste. Point d’annonces et de contre-annonces dans les journaux pour convaincre l’opinion, les pouvoirs publics ou les actionnaires de rallier tel ou tel camp. Les raisons? L’étendue du théâtre des opérations à Londres et Paris, la dispersion des acteurs et l’application du droit boursier anglais, plus contraignant en matière de communication financière. La Fnac est cotée à Paris, Darty à Londres. Propriétaire de Conforama, le groupe Steinhoff, qui émarge pour sa part à la Bourse de Francfort, avait mandaté l’agence londonienne Maitland pour assurer sa communication financière et Havas pour sa communication institutionnelle en France. La Fnac, pour sa part, assurait elle-même sa communication financière avec ses banquiers et le soutien de l'agence Image 7.

Une communication presque a minima donc, mais les enjeux, eux, sont d'importance. Le nouvel ensemble est appelé à devenir le numéro un français de la distribution de produits techniques, culturels et électroménagers et numéro cinq en Europe en termes de chiffre d'affaires. Pour les produits bruns, la téléphonie et le petit électroménager, notamment, il disposera d’une puissance d’achat et d’un pouvoir de négociation accru vis-à-vis de fournisseurs comme Samsung, Sony, SEB ou Apple.

Gros atout pour la Fnac, elle va pouvoir accentuer sa diversification vers le petit électroménager et les objets connectés, qui compense l’effondrement de la vente physique de musique et la concurrence des sites de vente en ligne comme Amazon. Entamée ces dernières années, cette diversification qui a contribué à son redressement (le chiffre d’affaires 2015 France est en croissance, à 2,8 milliards d'euros, pour un résultat opérationnel de 53 millions) devrait ainsi être confortée, alors que les ventes de livres et DVD, autres marchés historiques de la Fnac, sont elles aussi menacées. L'enseigne va en outre pouvoir bénéficier du légendaire service après-vente de Darty, à un moment où il propose davantage de produits susceptibles d'y avoir recours. Dans cette perspective, la direction de la Fnac a même évoqué l’ouverture de corners de produits bruns ou blancs siglés Darty dans ses magasins. Inversement, l’inventeur du contrat de confiance pourrait proposer dans ses points de vente des corners Fnac pour la billeterie.

Importante place de marché

Autre enjeu majeur, le «click & collect», qui transforme les magasins en lieux de collecte de produits achetés en ligne. Le rapprochement des deux enseignes, qui totaliseront 409 magasins en France, bénéficie surtout à la Fnac, au réseau moins développé (121 magasins, contre 288 pour Darty). L’entreprise dirigée par Alexandre Bompard va pouvoir afficher sa présence jusque dans les villes moyennes et optimiser sa stratégie multicanal en livrant plus près du domicile de ses clients tout en économisant dans la logistique très coûteuse du dernier kilomètre. Dans cette nouvelle configuration, «les produits Fnac commandés en ligne pourraient être livrés dans les magasins Darty et vice-versa», explique Bernard Buono, président-fondateur de BETC Shopper et spécialiste de la distribution, qui va rejoindre mi-mai le groupe Carrefour au poste de conseiller en marketing stratégique.

Le rapprochement des deux enseignes offre aussi la possibilité de constituer une place de marché énorme en y adjoignant d’autres fournisseurs pour garantir aux internautes le plus grand choix possible quel que soit le produit. C’est ce que fait déjà avec succès Amazon, qui réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires via sa place de marché.

Enfin, le dernier avantage porte sur la gestion des bases de données clients: Darty et la Fnac pourront partager celles-ci, concevoir des offres promotionnelles croisées ou encore associer leurs cartes de fidélité. La concentration des enseignes «était nécessaire pour développer un investissement suffisant dans les technologies de big data afin de pouvoir combler le retard pris sur Amazon dans ce domaine», estime Georges Bory, cofondateur de Quartet FS, qui vend des solutions d’analyse de données.

Economies d'échelle

Demeurent cependant des pierres d’achoppement ou, du moins, quelques incertitudes dans ce projet, à commencer par la différence d'image et de valeurs. Haut de gamme et urbaine, la Fnac a un territoire de marque fortement ancré dans la culture, le plaisir, et incarne une certaine «coolitude». Plus populaire, Darty a bâti sa réputation sur l’efficacité de son service après-vente, le choix utile (électroménager) et la capillarité de son réseau. Si les corners se mettent en place, «des vendeurs qui se conçoivent comme des conseillers culturels devront cohabiter avec des commerciaux focalisés sur les primes», remarque un consultant.  

Par ailleurs, la direction du nouvel ensemble va devoir calmer les inquiétudes du personnel. A la Fnac comme chez Darty, les syndicats sonnent déjà le tocsin, pointant les synergies probables dans le futur siège pour les fonctions logistiques et administratives, où apparaîtront forcément des doublons. Ces frais de siège représentent en effet la moitié des 85 millions d’économies attendus du rachat et calculés par le cabinet EY. «Nous anticipons de nouvelles réductions d’effectifs. En outre, l’argent déboursé pour acheter Darty va devoir être économisé ailleurs. L’effort n’épargnera pas les salariés», prédit André Chapuis, délégué syndical central CGT de la Fnac. Focalisée sur le bouclage de l’opération, l’enseigne s’est abstenue d’évoquer le sujet auprès des salariés. Et ce à l’inverse du travail du dimanche, qui fait l’objet d’une intense campagne. Mais les priorités pourraient changer dans les mois qui viennent et les services de communication interne post-fusion vont avoir du pain sur la planche.  

Deux annonceurs très différents

Côté publicité, le rachat laisse toutes les options ouvertes: la Fnac travaille actuellement avec l'agence Marcel et Darty avec Ici Barbès. L’annonceur va t-il confier tout le budget Fnac-Darty à deux équipes d’une même agence pour assurer une meilleure coordination voire concevoir des campagnes cobrandées? Ou au contraire maintenir le statu quo? «Les deux annonceurs gèrent leur marque de manière très différente. Ils peuvent opter pour un fonctionnement collaboratif ou en silo, c’est aux agences de s’adapter. Mais il est trop tôt pour poser la question», estime François Blachère, partner d’Ici Barbès. En revanche, la pertinence d’un schéma en silo semble moins évident pour l’achat d’espace, géré par Zenith-Optimedia pour la Fnac (82 millions d'euros investis dans les médias en 2015, en hausse de 61%) et Havas Media pour Darty (105 millions, en baisse de 7,5%). Le premier groupe privilégiant la presse (43%) et internet (24%), le second la radio (40%) et la presse (21%). Là aussi, les calculettes seront de sortie...

En complément

Et s’il n’en reste qu’un…

Faudra t-il à terme fusionner les deux enseignes quand leur offre sera rapprochée? «Cela serait difficile tant leurs valeurs sont différentes», estime Henri-Pierre Vacher, partner du cabinet OC&C, spécialiste de la distribution. Alexandre Bompard, le PDG de la Fnac, a d’ailleurs pris l’engagement de garder les deux marques, mais sa promesse ne vaut que tant qu’il sera aux manettes. Qu’en sera-t-il dans cinq ou dix ans, sachant que la gestion marketing de deux marques vendant un assortiment de plus en plus proche est coûteuse dans ce secteur aux marges réduites. Si le choix devait se faire, Bernard Buono, de BETC Shopper, estime qu’il vaudrait mieux conserver la Fnac, qui a déjà commencé à s’étendre vers l’électroménager et dispose d’une image plus forte que Darty. De fait, dans le classement OC&C 2015 des 30 enseignes les plus l’attractives, seule la Fnac apparaît, au 12e rang.    

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