Création
Le 63e Festival international de la créativité a fermé ses portes samedi 25 juin, à Cannes. De cette semaine de palmarès et de conférences se dégagent cinq tendances.

Vive la «creative data»!

Cette année, plus encore que lors des éditions précédentes, la data et ses potentialités ont inspiré la créativité des agences. Source d'insights ou outils de mesure, la masse des données désormais disponibles est à l'origine de nombreuses campagnes présentées à Cannes. «Photo coach», de l'agence 360i pour Canon, est en l'espèce un exemple très abouti: après avoir localisé les lieux les plus photographiés de New York, via les données des partages de photos sur les réseaux sociaux, la marque et son agence ont installé des panneaux d'affichage digitaux et mobiles proposant des conseils de prise de vues aux photographes amateurs en fonction de l'heure et de la météo. «Ce cas, et bien d'autres encore, montre combien la data peut aussi avoir une dimension humaine, que ce soit au travers d'applications dans le domaine de l'art ou sur des sujets d'intérêt général», explique Valérie Planchez, vice-présidente d'Havas Paris. Sur le plan artistique, le Grand Prix de la catégorie Creative Data attribué à «The next Rembrandt», de JWT Amsterdam pour ING, est évidemment incontournable. Mais d'autres campagnes sont à noter: des œuvres d'art issues de l'intelligence artificielles avec «Art with Watson» d'Ogilvy & Mather New York pour IBM, une typographie créée à partir d'une modélisation des formes architecturales de l'Opéra de Sydney avec «Shifting Perspectives» d'Interbrand…

 

La réalité virtuelle, de plus en plus réelle

Dans les couloirs du Palais des festivals, on croise des hordes de cyborgs. Le visage à demi-caché par un masque, ils se contorsionnent sur leurs sièges, éclatent de rire ou agrippent, de peur, leurs accoudoirs. La réalité virtuelle, ou VR (virtual reality) était la reine des 63es Cannes Lions. Avec, en majesté, le NYT VR project du New York Times, qui est reparti avec deux Grand Prix, Entertainement et Mobile, pour le film «The Displaced» (Vrse.Works). «Lire un article est une chose, visionner un reportage en est une autre, mais se retrouver dans une pirogue à côté d’un adolescent africain réfugié est tout autre chose», explique Pascal Beucler, senior vice-president & chief strategy officer de MSL Group et membre du jury Entertainment, qui évoque entre autres campagnes notables «Dream Adventures», de 180 LA pour Expedia, et St. Jude Children's Research Hospital et «Museum of Feelings», d'Ogilvy & Mather Chicago pour SC Johnson. 

La plage Youtube, anciennement plage Google, se consacrait totalement aux mondes virtuels. L’an passé, les requêtes Google portant sur le VR ont été multipliées par quatre (source: Google Data monde, mai 2016). Youtube a également dévoilé un nouveau classement, le Top ten des publicités les plus populaires sur You Tube en VR déterminé par un algorithme sur la base du nombre de vues payées, de vues organiques et de rétention de l’audience: le «360° Ads Leaderboard». Sur la première marche du podium, «The BMW M2 – Eyes on Gigi Hadid». Les dix vidéos ont réuni au total plus de 20 millions de vues.

 

Back to basics

  «Déjà, l'an dernier, la tendance avait émergé. Mais cette fois, on constate un vrai engouement pour des productions minimalistes», indique Valérie Planchez, d'Havas Paris. Le Grand Prix Titanium «#optoutside» d'Edelman, Venables Bell & Partners et Spark pour le distributeur américain de vêtements et matériels de loisirs en plein air REI est un cas d'école: fermer ses boutiques le jour du «Black Friday» pour inciter ses clients à profiter du grand air, il fallait oser. Même simplicité pour le film de Honda, «Paper» (agence RPA) retraçant l'histoire du constructeur par un film d'animation en papier. Un joli contre-pied après le film «Sound of Honda» sur Ayrton Senna, exploit technologique et Grand Prix Titanium en 2014. Mark Tutssel, global chief creative officer de Leo Burnett Worldwide et président du jury Direct, prône

lui aussi le retour «à des valeurs humaines, à la collectivité». Le Grand Prix de cette catégorie a ainsi récompensé «The Swedish Number», signé par Ingo Stockholm pour The Swedish Tourist Association. L’opération permettait de joindre directement au téléphone des Suédois disposés à parler de leur pays. «Il est rafraîchissant de voir une opération comme celle-ci, qui revient à la forme de communication la plus humaine: la voix, via le combiné du téléphone», explique Mark Tutssel.

La vraie provocation, serait-ce le retour aux fondamentaux? Comme le Grand Prix Print & Publishing, «McWhopper» de Y&R NZ Auckland pour Burger King, une annonce entièrement en texte. «Ce Grand Prix, une annonce parue dans The New York Times, montre ce que les journaux ont encore à offrir: leur crédibilité, à l’heure des réseaux sociaux, lance Jamie Standen, directeur de création de Rosapark et juré du prix Print & Publishing. Le recours à la lettre, une des manières les plus civilisées de s’exprimer…» Les fondamentaux, on vous dit.

 

Et la catégorie Film dans tout ça?

Longtemps reine du Festival de la publicité cannois (elle est toujours présentée le dernier jour), la catégorie Film n'est désormais plus le Graal de la profession. «La rupture a été consommée en 2008 avec la campagne Burger King sur la disparition du WhopperWhopper Freakout» de Crispin Porter & Bogusky], une opération d'abord événementielle, suivie d'une expérience digitale et ensuite seulement d'une campagne publicitaire, détaille Valérie Planchez. Maintenant, on travaille comme ça, et le palmarès de Cannes l'a encore très bien montré, même si ce genre de films est encore minoritaire sur les écrans, mais ce sont ceux-là qui s'échangent et circulent.»

Autant dire que l'avenir des spots médiocres est compté. «Aujourd'hui, le consommateur choisit les contenus qu'il regarde. Il faut donc lui offrir du spectacle», note la vice-présidente d'Havas Paris. Cette année, entre autres exemples, les spots «Snow Day» de Nike (Wieden + Kennedy Portland), «Wiener stampede» de la campagne «Meet the ketchup» de Heinz (David Miami) ou «Find your magic» d'Axe (72 and Sunny Amsterdam) illustrent cette tendance. Plus radical, Pascal Beucler, de MSL Group et membre du jury Entertainment, ajoute: «les formats publicitaires classiques sont confrontés à un désenchantement croissant, particulièrement chez les millennials. Entre branded content et storytelling, toute forme narrative ample est la nouvelle frontière de l’âge post-publicitaire.»



Cannes ne fait plus la charité

Avec ses ouailles, Rob Reilly a été particulièrement clair: «Je les ai briefées sur trois thèmes: prendre position sur les campagnes marketing dans ce qu’elles ont de meilleur, comme “Like a girl”, Grand Prix l’an passé. Se concentrer sur les grandes marques, et surtout, surtout, être intraitables sur les campagnes caritatives.» Le directeur de la création monde de McCann Worldgroup, président du jury Promo & Activation, s'est attaqué fontalement à l’un des serpents de mer des Cannes Lions: les campagnes non-profit, qui flirtent bien souvent avec les «ghosts» et autres «scam ads», ces campagnes chasseuses de prix, au plan médias faible, voire inexistant…

«Ce discours-là, je ne l’ai jamais entendu de manière aussi radicale à Cannes: arrêtons de récompenser les idées un peu “scam”, mais récompensons les succès commerciaux…», souligne Olivier Apers, executive creative director de BETC Paris et juré Promo & Activation. La profession de foi sert également, souligne Rob Reilly, «de message pour les jeunes gens. Dans le passé, nous avons récompensé tant de campagnes “grandes causes” que les jeunes créatifs avaient tendance à aller en premier vers ce genre d’annonceurs. Il est important de réaliser des campagnes non-profit, mais essayer d’être le plus créatif possible pour les plus grandes marques.» Faites passer…

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