Crise
Opposé dans son immense majorité à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le secteur de la communication et des médias reste abasourdi par la victoire du Brexit. Réactions, analyses et conseils à chaud des professionnels.

 

 

Robert Zarader, président d'Equancy&Co

 

 

«Moins que les résultats du référendum, il faut en interroger les causes. A quel moment est-il pertinent de soumettre l’avenir de l’UE, que l’on sait honnie par beaucoup au Royaume-Uni comme ailleurs, au couperet référendaire? Loin de contester la souveraineté des peuples, il faut questionner le rôle de ceux qui les gouvernent, et c’est un constat d’échec. Diriger, c’est trancher, c’est avoir le courage d’une vision qu’on sait parfois minoritaire, mais tout simplement juste. C’est une responsabilité. Lorsque l’on fait du référendum le point d’orgue d’une politique, voire pire, un argument électoraliste, on ne gouverne plus, on se laisse gouverner, on renonce au long terme, on renie le principe même d’une démocratie représentative qui fonde pourtant nos sociétés européennes.»

 

Assael Adary, président d'Occurrence

«L’Union européenne coûte 350 millions de livres par semaine au Royaume-Uni.» C'est ce que martelait Nigel Farage, chef du parti populiste Ukip, pendant la campagne, pour reconnaître maintenant que «c’était une erreur faite par le camp du Leave». Le vrai chiffre est de 163 millions… Ce mensonge sur les chiffres par les partisans du Brexit vaut pour l’immigration, le commerce et l’emploi. Dans cette campagne, la data a été au cœur de la communication, sur les affiches et dans les slogans. Elle préfigure nos débats en France en 2017. Une campagne se gagnant maintenant avec des lettres et des chiffres, la communication politique a impérativement besoin de “data-déontologie”.»

 

Yannick Bolloré, PDG d'Havas

«Je pensais que le “in” serait gagnant et que la raison l'emporterait. Il est encore difficile de prévoir les conséquences de ce vote. Mais, à court terme, rien ne va changer. Nous venons d'investir de façon très significative à Londres pour y installer, près de la gare de Saint Pancras, notre siège européen qui accueillera d'ici fin 2016 quelque 1 700 personnes. Nous souhaitons ainsi nous rapprocher de nos clients dont les sièges sont souvent à Londres. La Grande-Bretagne représente 13% de notre activité et notre croissance y est de 5% par an. Nous allons continuer à investir. La Grande-Bretagne, pour nous, reste en Europe.»

 

Pierre-Jean Bozo, directeur général de l'Union des annonceurs

«L'impact sur les entreprises-annonceurs risque d'être considérable. L'inévitable dévaluation de la livre sterling va lourdement toucher nos exportations, du coup pénaliser nos entreprises et, par ricochet, affaiblir la croissance française. Or, en période de difficultés, ce qu'on coupe en premier, ce sont les investissements publicitaires. La réponse est à Bruxelles, mais aussi à Bercy. Des mesures doivent être prises pour aider nos exportations. Y aura-t-il l'instauration de visas? Cela va poser des problèmes de gestion des ressources humaines et de recrutement de nouveaux talents.»

 

Maurice Lévy, président du directoire de Publicis Groupe

«Sur le plan boursier, la situation est assez difficile, mais si elle se dégrade au Royaume-Uni, elle se dégradera pour tout le monde, et la publicité va en souffrir au même titre que d'autres secteurs d'activité. Nous travaillons avec nos clients britanniques dans la monnaie locale et nos coûts et revenus se font en livre sterling. Donc, pour nous, cela devrait normalement avoir des conséquences limitées. Je pense que les conséquences seront plus difficiles pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne.»

 

Cécile Colomb, directrice générale de Team Media

«Le Brexit nous touche pour la publicité financière, même si cela n’a rien à voir avec ce qu’il s’est passé en 2008, après la chute de Lehman Brothers, où nous avions des annulations tous les jours. Au lendemain du référendum, cinq IPO [«Initial Public Offering», soit introductions en Bourse] dans les biotechnologies ont été non pas annulées mais décalées, dont une vient de se repositionner. Le second semestre devrait être dynamique, compte-tenu du nombre de candidats à une IPO, avec ce que cela implique en matière de communication financière. En ce qui concerne la publicité commerciale, le Brexit n’a pas d’incidence à date pour nos marques, mais nous restons vigilants.»

 

 

Vincent Leclabart, président de l'Association des agences-conseils en communication

«Actuellement, les agences françaises sont souvent dépossédées du “lead” sur les budgets internationaux pour des raisons de coût sociaux, au profit notamment des agences britanniques. On peut imaginer que la France récupère une partie de ces leads. Si le gouvernement français est malin, il peut faire en sorte d'attirer vers la France de grands groupes britanniques et internationaux dont les sièges sont en Grande-Bretagne. C'est une opportunité à saisir. Et, plus largement, une harmonisation des régles sociales et fiscales au sein de l'Union – qui, espérons-le, s'accélérera désormais – peut nous permettre de profiter de la situation.»

 

 

 

Michael Peters, président du directoire d'Euronews

«Je suis surpris de la conviction des leaders d'opinion qu'il ne pouvait y avoir de Brexit. Sur CNN, Martin Sorrell expliquait que c'était totalement inimaginable. C'est la continuation de la rupture entre deux sociétés qui s'inscrit dans le même flot que la montée des populismes en Europe ou la campagne de Trump aux Etats-Unis. Quant aux recettes publicitaires paneuropéennes, je ne sais pas quelle va être la réaction des annonceurs. Ce peut être tout mauvais ou tout bon, si cela donne encore plus envie de communiquer en Europe.»

 

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

«Le Brexit n'est pas un phénomène médiatique lié à une crise de la représentation, mais le résultat d'inégalités multiples. Les télévisions et radios qui veulent rassembler doivent ressembler, tout ce que l'on a dénoncé sur la diversité des origines vaut pour les classes sociales. Les catégories les moins favorisées sont très peu représentées. [Quant à la révision de la directive SMA de 2010, qui prévoient de soumettre les plateformes internet de type Netflix a des obligations d'exposition et de contribution en faveur des œuvres européennes], le volontarisme de la Commission européenne pourra-t-il s'exprimer dans les mêmes conditions? On peut craindre que son influx nerveux ne soit atteint.»

 

 

Fabrice Fries, responsable du pôle influence de Publicis Consultants, ancien membre du cabinet de Jacques Delors, président de la Commision européenne  «Le grand récit de l’intégration européenne était déjà bien écorné depuis Maastricht, celui de la désintégration commence de s’écrire et, d’un pur point de vue de communication, la bataille s’annonce passionnante. Il sera difficile pour les pro-UE, pour un problème de légitimité politique d’ici 2017, de répondre par «plus d’Europe», comme c’est l’habitude. Il faudra trouver autre chose. La Grande-Bretagne, elle, une fois passé le moment de sidération devant sa propre audace, cherchera à construire son propre récit pour constituer un pôle d’attraction rival. Le parcours du divorce va être très compliqué, il sera aussi une bataille de communication, projet contre projet.»

 

 

Stéphane Rozès, président de Cap - Conseils, analyses et perspectives

 

«Le recul économique de l'Europe depuis quinze ans, le retour du nationalisme, le repli sur soi et le populisme viennent de l'illusion de la plupart des décideurs européens qui voudraient que l'économie fasse les sociétés, lisse leur identité. Les politiques bruxelloises sont contraires au génie européen, qui est de faire du commun à partir de la diversité culturelle de ses peuples, et non l'inverse. Entre leur prospérité, leur survie économique et leur identité, entre l'avoir et l'être, les peuples choisissent toujours l'être. Une conférence entre Européens, si possible avec les Anglais, avec la méthode vertueuse de la dernière COP 21, doit se mettre en place et débattre de trois sujets: le souhaitable (qui somme-nous? où voulons nous aller?), le réel «actuel» et les leviers de la renaissance européenne.»

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