Communication
La marque de voiture électrique haut de gamme sera sans nul doute l'une des stars du Mondial de l'automobile, avec, en ligne de mire, le futur lancement de sa Model 3, plus «accessible». Si toutes les marques de luxe et les constructeurs ont les yeux braqués sur Tesla, elle n'a jamais mis un euro dans sa publicité. Retour sur un modèle en rupture.

Le calcul est aisé, la formule mathématique d’une simplicité biblique: «10% playboy, 90% ingénieur». Elon Musk, patron de Tesla, décline ainsi sa composition psychologique, chimique, physiologique. Et pour ses voitures, quelle est l’équation? 60% électricité? 20% haut de gamme? Selon les experts, la formule diffère. Un seul chiffre les met tous d’accord: le cas Tesla est 100% révolutionnaire.

«Tesla est la premier à avoir apporté un vrai écosystème de la mobilité électrique, estime Christophe Chaptal de Chanteloup, fondateur du cabinet CC&A consulting et ancien du marketing de PSA. Auparavant, les constructeurs se concentraient sur les véhicules, sur les batteries.» François Peretti, planneur stratégique à La Chose, partage la même analyse: «L’ambition de l’entreprise dépasse le produit automobile: accélérer la transition mondiale vers un mode de transport durable en rendant l’éco-mobilité plus accessible. Un challenge que Musk résume lui-même comme “la mise en place des choses qui ont besoin d’arriver pour que le futur soit excitant et inspirant”. Conception, design, business, tout est synthétisé en une seule pièce.»

La marque de luxe, dont le nom rend hommage au scientifique  Nikola Tesla –connu notamment pour ses travaux sur l’énergie électrique– est l’une des stars annoncées du prochain Mondial de l’automobile, qui se tiendra du 1er au 16 octobre à Paris. Porte de Versailles, pavillon 1, le constructeur y sera le voisin des prestigieuses DS et Citroën. Les visiteurs du précédent salon de l’automobile se souviennent peut-être que la marque y occupait, il y a deux ans, une place beaucoup plus symbolique. «Ce qui est stupéfiant chez Tesla, c’est son approche start-up, inédite dans l’automobile, et sa rapidité de développement, souligne Laurent Chiapello, directeur des rédactions d’ Auto Plus , de l’Auto-journal et de Sport auto . Elon Musk a racheté Tesla en 2008, a sorti sa première voiture en 2012 et vend près de 50 000 véhicules aujourd’hui…»  Pas mal pour un constructeur qui a fait un choix pour le moins radical: «Tesla dépense à peu près… zéro dollar en marketing! , résume Paul Kreitmann, directeur de création chez CLM BBDO. Et pour autant, toutes les marques de luxe ont les yeux braqués sur elle.»  

Chez Tesla, on persiste et on signe. «Nous avons choisi de ne pas faire de publicité pour plusieurs raisons: tout d’abord, parce que nous estimons que nous disposons d’un produit qui parle tout seul, que nous avons juste besoin de montrer», explique Charles Delaville, responsable de la communication de Tesla France, un ancien d’Ogilvy PR. Il faut aussi dire que d’autres se chargent très bien de sa promotion. Comme le relève Paul Kreitmann, «elle se passe de pub parce qu’elle est très forte en “advocacy”, le fait de s’assurer un plaidoyer de la part de ses consommateurs, de créer des “fans”».

People addicts

Et pas des moindres. En 2010, Leonardo di Caprio fut l’un des premiers à prendre le volant de la voiture électrique, en l’occurrence la Tesla Roadster, en partenariat avec Tag Heuer dont l’acteur est l’ambassadeur. Cameron Diaz, Shakira, Demi Moore, George Clooney… Le fan-club de Tesla prend ses quartiers à Hollywood. Pas étonnant pour une voiture dont le prix d’accès se monte à 70 000 euros. La France, dont le parc automobile compte 1% de véhicules électriques, ne manque pas non plus d’inconditionnels: Alexandre Lazerges, journaliste chez GQ spécialisé dans l’automobile, relate cette anecdote éclairante: «Aujourd’hui, entre mettre 100 000 euros dans une Jaguar ou dans une Tesla électrique, le choix est vite fait. Lorsque Tesla a lancé son Model S, sa berline familiale de luxe, Henri Seydoux, le père de Léa Seydoux, dont le système Bluetooth Parrot équipe les Tesla, a écrit directement à Elon Musk pour pouvoir conduire la première ”S” sur le sol français.» Engouement. «Rouler en Tesla, c’est valorisant pour des conducteurs qui possèdent déjà une Rolls-Royce ou une Ferrari», résume Laurent Chiapello.

Valorisant, parce qu’on achète une part de rêve? Ou même, de rêves –au pluriel. Ceux dont fourmille Elon Musk, Steve Jobs de la bagnole. «Elon Musk contribue à l’image de Tesla parce qu’on peut employer à son égard les mêmes termes que pour la marque: une entreprise innovante, qui casse les codes, refuse les compromis et le statu quo, rebat les cartes d’une industrie séculaire avec la volonté de partir d’une page blanche pour repenser la mobilité électrique», énumère Charles Delaville de Tesla France.

Il a servi de modèle au personnage de l’alter ego d’Iron Man, Tony Stark. Récemment, il faisait la couverture du newsmagazine Society, avec l’accroche: «Escroc ou génie?». Elon Musk agace tout autant qu’il fascine.

«Musk capitalise sur sa réputation d’inventeur global, concevant un écosystème au sein duquel chaque invention (Pay Pal, Tesla, Solar City, Space X) occupe un rôle particulier, reliant chaque pièce du puzzle à une mission transcendante: donner à un avenir plus excitant et inspirant les conditions nécessaires à son accomplissement –que cela passe par le développement énergétique durable ou le transport autonome,

raconte François Peretti, de La Chose.“L’homme le plus audacieux du monde”, comme le présente un article des

Échos, est notamment fondateur de Pay Pal et multiplie de nombreux autres projets d’un futurisme insensé comme l’Hyperloop (ralliant les 550 km entre Los Angeles et San Francisco en 30 minutes), ou un plan de colonisation martienne à horizon 2024.»

Sous contrôle

Ceux qui l’ont rencontré, comme Alexandre Lazerges, de GQ, évoquent «un personnage incernable, légèrement inquiétant, un peu cyborg». Musk distille au compte-goutte ses apparitions, car «entre Tesla, Solar City et Space X, c’est un homme extrêmement occupé», rappelle Charles Delaville qui pointe par ailleurs son activité sur Twitter, «où il interagit volontiers avec les consommateurs, et y puise des éléments qu’il va ensuite partager avec les services design et ingénierie». À telle enseigne que Jack Dorsey, le CEO du réseau social himself, déclarait le 15 septembre au salon Dmexco de Cologne que Musk avait le meilleur compte Twitter. En un mot comme en cent, «Elon Musk ne croit pas trop en la promo par des tiers. Chez Tesla, on a eu la volonté dès le départ de maîtriser la chaîne de A à Z», lâche le directeur de la communication de Tesla.

Le système de distribution, qui se passe des services des concessionnaires, est encore l’illustration de cette volonté de contrôle. «Tesla a fait le choix de ”squeezer” la distribution traditionnelle et ses cascades de marges», résume Christophe Chaptal de Chanteloup. La marque adopte une logique de «showrooming», dans des espaces qu’elle gère en propre avec une quantité réduite de modèles exposés (deux dans le showroom de Brooklyn), comme son point de vente de Parly 2 ou la future boutique éphémère de Cagnes-sur-Mer, au Polygone Riviera: 215 points de vente, qui passeront à 441 l’an prochain. Chez Tesla, on reste transparent sur cette stratégie. «Une voiture électrique demande beaucoup moins d’entretien qu’une voiture thermique, explique Charles Delaville. Notre business modèle ne repose pas sur l’après-service.»

Accélerer la production

Car tous les revenus générés, comme l’explique le directeur de communication de Tesla, ne sont –on l’aura compris– ni injectés dans la publicité, ni dans les concessions, ni dans l’après-service, mais sont au service du «magnum opus» de la marque. «Notre stratégie est d’entrer par le haut du segment pour descendre en gamme progressivement, indique Charles Delaville. Les gains générés par nos modèles S et X sont injectés dans le développement de la Model 3, disponible fin 2017 aux États-Unis et en 2018 en Europe, à 35 000 dollars [31 000 euros] et avec un objectif de production de 500 000 véhicules.»

500 000 contre… 50 000 véhicules livrés aujourd’hui. Ambitieux? Mégalomane? «Les faiblesses que l’on pointe souvent chez Tesla, ce sont sa rentabilité, pas avérée, et sa faculté à passer de l’artisanat de luxe à l’industrie de masse», note Christophe Chaptal de Chanteloup, de CC&A Consulting. Là encore, chez Tesla, on ne se dit pas inquiet. «Notre usine de Fremont, à l’est de la baie de San Francisco, est capable de produire jusqu’à 500 000 véhicules par an, précise Charles Delaville. Et nous sommes en train de recruter des experts de la production de masse.»

Présentée en mars 2016, la Model 3 a déjà fait l’objet de 370 000 précommandes, avec des arrhes de 1000 dollars… La Model 3 permettra-t-elle à Tesla de sortir de son endettement? Si tel n’est pas le cas, certains experts estiment, comme Laurent Chiapello, que «la marque pourrait attiser la convoitise d’un constructeur historique»… Mais Elon Musk sera-t-il prêt à se séparer de son bébé? En 2002, il revendait bien Pay Pal à Ebay pour 1,5 milliard d’euros… 

Dates et chiffres-clés

2003. Création de la marque en Californie par Elon Musk, Martin Eberhard, Marc Tarpenning, Ian Wright et JB Straubel.

2008. Lancement du Roadster, avec un châssis Lotus.
2012. Le Model S, modèle 100% Tesla, est lancé aux États-Unis, en 2013 en France, avec un prix d’entrée de 70 000 euros.
2017. Lancement du Model 3 aux États-Unis, en 2018 en France, au prix de 35 000 euros.
50 000. Nombre de voitures livrées en 2015, pour un objectif de production prévu entre 80 000 et 90 000 unités en 2016 et de 500 000 véhicules en 2018.
350 kilomètres. Autonomie de la future Model 3.
100. Nombre de salariés de Tesla France (plus de 3000 dans le monde).

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