Dossier
L’Afrique se développe ? Mieux, elle se digitalise et innove à grande vitesse avec ses start-up! Les entreprises occidentales ont une belle carte à jouer, à condition d’agir vite et de se débarrasser de grilles de lecture périmées.

Avec une croissance moyenne de 5% sur la dernière décennie et l’émergence d’une classe moyenne dont les effectifs se comptent déjà en centaines de millions de personnes, l’Afrique et son milliard d’habitants représentent un immense potentiel de croissance digitale. La grande chance de la tech africaine? Le mobile. «L'Afrique a sauté une génération en passant de Western Union au paiement mobile, souligne Philippe Limantour, associé spécialiste du digital à EY. Il manquait jusqu'à présent les infrastructures de communication. Mais aujourd'hui, dans certains pays, un acte de propriété, c'est une photo géolocalisée mise dans une "blockchain"». En septembre dernier, la start-up Afrimarket, consacrée au transfert d'argent de la diaspora avant de devenir une plateforme d'e-commerce, a levé 10 millions d'euros. De nombreux pays du continent sont déjà en avance sur bien des aspects et affichent des ambitions inédites grâce à un volontarisme politique très affirmé, souligne Ammin Youssouf. Le fondateur d'Afrobytes, premier hub européen dédié à la tech africaine, développe: «Les gouvernements ont bien compris tout le bénéfice que pouvait leur apporter la tech dans leur développement. En 2015, le Kenya a effectué une levée obligataire via mobile. De son côté, le Rwanda veut devenir un pays "cashless" d’ici 2020 et créer le premier drone-port mondial!» D’après les études menées par le centre Afrotech de l’école polytechnique fédérale de Lausane, les drones-cargos pourraient prendre en charge jusqu’à 15% du transport des marchandises…  

Croissance africaine, emplois français

Pour Richard Attias, organisateur du New York Forum Africa au Gabon, en 2015, l’alignement des planètes est optimal: «L'Afrique regorge d'opportunités, car le coût des tickets d'entrée est encore modeste et le potentiel tout simplement gigantesque.» Investir s’avère d’autant plus crucial que le continent peut devenir un puissant générateur d’emplois… en France, selon Philippe Perdrix. Le fondateur de 35°Nord, agence spécialisée dans les relations presse des entreprises africaines, explique: «Il faut bien comprendre que la croissance de l’Afrique peut bénéficier à l'économie française. Environ 100 000 emplois en France reposent déjà sur les exportations vers le continent. Si la dynamique actuelle se maintient, ils seront 800 000 ou un million en 2050.» La course est donc lancée, mais pour l’heure ce sont les pays anglophones qui mènent la danse. Selon une étude de Disrupt Africa, sur les 186 millions levés par les start-up africaines en 2015, 54 millions (29%) ont été captés par l’Afrique du Sud, 49 millions (26%) par le Nigéria et 47 millions (25%) pour le Kenya. «Comme ce fut le cas en Europe, il existe un décalage entre l'Afrique francophone et anglophone, mais il est en train d'être comblé», estime Richard Attias. Attention, cependant, à ne pas gâcher les chances de concrétiser cet énorme potentiel avec une grille de lecture datée, sans rapport avec la réalité africaine actuelle, avertit Ammin Youssouf : «L’Afrique, ce sont 54 pays, soit 54 marchés différents. Et pour réussir sur ces marchés, les grands groupes étrangers devront accélérer leur propre transformation digitale pour être performants.» Pour illustrer ce bouillonnement, Stratégies a choisi de dresser le portrait de cinq start-up emblématiques.

 

JUMIA TRAVEL

Jumia Travel vise la première place dans la réservation hôtelièreLancée en 2012 au Nigéria, la centrale de réservation hôtelière Jumia Travel (ex Jovago) emploie désormais 500 personnes, réparties dans 17 bureaux, et couvre 43 des 54 pays du continent. Sa plateforme permet d’accéder à 25 000 hôtels et enregistre désormais plus d'un million de visiteurs par mois. Parmi eux, 5% effectuent une réservation dont la dépense moyenne s'élève à 50 euros ou les dépasse. Paul Midy, son jeune dirigeant français, explique son succès par la situation dans laquelle se trouvent les clients: «Ils rencontrent des difficultés à localiser les établissements, qui font peu de publicité. Il y a aussi le problème des prix. Sur Jumia Travel, nous proposons régulièrement des offres bonifiées grâce au volume de commandes. De 20% en moyenne, certaines promotions peuvent aller jusqu’à 80%.» Un marché qui reste à développer: «Quand 50% des réservations sont faites en ligne en Europe, cela représente dix fois moins sur le continent.»

AFROSTREAM

Devenir un acteur clé de la SVOD «afro»

Fondée fin 2013, Afrostream a dû attendre 2015 pour lancer un service de vidéos à la demande sur abonnement offrant accès à des séries et films afro-américains, africains et caribéens. «Il m’a fallu plus d’une année pour rencontrer les distributeurs hollywoodiens, les producteurs africains et négocier les droits des films, raconte son fondateur Tonjé Bakang. Et aussi pour lever des fonds. J’étais inconnu dans le milieu, mais, en une année, j’ai montré qu’il y avait de l’intérêt pour mon projet en passant de zéro à 55 000 abonnés sur Facebook.» Depuis, les partenariats se multiplient. En février 2015, il signe un accord avec MyTF1VOD qui aura recours à Afrostream pour diffuser une sélection de films «afro». En octobre 2015, c’est avec Orange Digital Ventures et la chaîne BET que des partenariats sont bouclés. Et en janvier dernier, Afrostream a cette fois signé un accord avec ITV Studios Global Entertainment afin de pouvoir diffuser la série Cockroaches.

FIFO

FiFo : un produit gratuit, plusieurs possibilitésProposer à travers le smartphone un produit gratuit pour attirer les clients potentiels. Telle était l’idée portée par Fifo, la start-up créée début 2016 par le Tunisien Akram Marzouki. Un concept qui lui a valu de décrocher, en 2015, le prix de la meilleure présentation lors du congrès annuel de l’Institut américain des ingénieurs en électricité et électronique, à Dallas. Sauf que l’appétence pour le commerce électronique reste faible en Tunisie. Les consommateurs se révèlent encore réticents à payer sur internet et les délais de livraison, souvent très longs, découragent les commandes. Akram Marzouki a donc fait évoluer son modèle pour cibler cette fois les restaurateurs, convaincus que la promesse d’un produit gratuit peut générer une plus forte consommation. Toutefois, le développement de Fifo dépend entièrement de la qualité des infrastructures téléphoniques puisqu’il faut être connecté pour recevoir les offres de gratuité. Akram Marzouki se montre néanmoins confiant: «L’installation de la 4G dans le pays fonctionne bien, je table sur 20 000 utilisateurs d’ici à un an.»

INFINITY SPACE (WeCashUp)

We Cash Up: mobile money for all!En 2014, son pitch de 60 secondes lors du Google I/O Pitch Night lui a permis d’empocher 20 000 dollars. Le concept du Camerounais Cédric Atangana a de quoi séduire: We Cash Up, sa solution de paiement électronique, se veut le point d’entrée unique entre les porte-monnaie des opérateurs de téléphonie et les e-commerçants. «Notre force, c’est d’agréger toutes les solutions existantes à travers une API unique qu’utiliseront les banques des commerçants», explique Cédric Atangana. Mieux encore, il devient possible d’acheter en ligne sans carte ni compte bancaire: «Il suffit d’aller dans un point relais avec du cash et il est aussitôt transformé en mobile money.» Un atout majeur puisque la majorité de la population africaine n’est pas bancarisée. Plus de 700 commerçants, y compris des grands noms du e-commerce, ont déjà annoncé qu’ils adopteraient We Cash Up. L’application sera officiellement disponible à partir du 24 novembre prochain.

GIFTED MUM

Des téléphones portables pour réduire la mortalité infantilePour réduire la mortalité infantile au Cameroun qui, en 2015, atteint 57 décès pour 1 000 naissances (contre moins de 4 en France), le Camerounais Alain Nteff a créé Gifted Mom, une application qui informe les femmes enceintes (dates des vaccins, examens, précautions à prendre) tout en répondant de façon personnalisée à leurs questions. Déjà employée par plus de 20 000 femmes et 34 centres de santé au Cameroun, Gifted Mom a commencé à s’implanter au Nigéria et devrait arriver au Mali et en Haïti, avant 2017. «En 2019, nous espérons être utilisés par 5 millions de femmes», précise Alain Nteff.

Iroko TV, futur Netflix africain ?

En 2011, avec le soutien de fonds d’investissement, le Nigérian Jason Njoku crée la plateforme Iroko TV pour diffuser les films «Nollywood». Il ambitionne de conquérir le marché africain, en compressant notamment les films pour contourner la piètre qualité de certaines connexions. En janvier dernier, Iroko TV a signé avec Canal+ un contrat d’un montant de 19 millions de dollars (soit un peu plus de 17 millions d'euros) pour accélérer son développement, peu après que Netflix a annoncé vouloir couvrir aussi le continent africain. Pas de quoi désarçonner Jason Njoku : «Nous comptons effectuer des traductions en français, en swahili ou en zoulou, et nous sommes très pointus en matière de contenus locaux. C’est ce qui nous différencie de Netflix.» Iroko TV va aussi se lancer dans la production de créations originales (300 heures dès 2016, le double en 2018). 

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