Marketing
Comment un produit créé pour les pays émergents peut-il devenir un succès dans les pays riches? Loïc Plé, professeur à l’Iéseg School of Management, a étudié ce phénomène.

«Quand les entreprises conçoivent des produits destinés aux pays émergents, peuvent-elles avoir intérêt à les commercialiser dans les pays riches? Dans le cadre d’une étude, je me suis intéressé aux stratégies d’offres des sociétés dans ce cas de figure. J’ai analysé l’histoire d’un appareil d’électrocardiogramme, le Mac 400, lancé par General Electric en 2008. Le groupe américain l’avait conçu spécifiquement pour le marché indien. Il n’était vendu que 800 dollars contre 2000 dollars pour l’équipement classique, plus sophistiqué. Le Mac 400 disposait de moins de fonctionnalités et de boutons mais cet électrocardiogramme correspondait bien aux besoins sur place. Des médecins occidentaux ont entendu parler de cette machine et ont passé commande pour leur cabinet. Du coup, General Electric a décidé de le diffuser dans les pays développés et l’a intégré à sa gamme de produits. Dans les deux années qui ont suivi sa sortie, près de 6 000 unités ont été vendues dans plus de 50 pays à travers le monde, dont plusieurs pays d’Europe occidentale. Au final, seuls 20% de ces ventes ont été effectuées sur le marché indien auquel il était pourtant destiné. Il ne s’agit pas pour autant de renoncer à faire de belles marges sur ce type de produit.

Système D

Cette démarche trouve un écho dans l’ouvrage de Navi Radjou, Jugaad Innovation (Diateino, 2013), traduit en français par le concept d’innovation frugale. “Jugaad” est un mot populaire hindi qui recouvre un concept que l'on pourrait traduire en français par “débrouillardise”, soit improviser des solutions ingénieuses dans des conditions complexes (voire hostiles). D’autres marques comme Renault ont suivi le même chemin: ainsi le constructeur automobile a créé la Logan pour les marchés émergents, avec le principe du reverse engineering, c’est-à-dire en partant de tout ce qui fait un véhicule, avant de remonter toutes les étapes de fabrication afin d’en supprimer certaines. Avant de la commercialiser en France. Et c’est un succès commercial incroyable.

“Bottom of the pyramid”

Cette stratégie qui consiste à s’intéresser aux consommateurs les moins fortunés, c’est-à-dire “bottom of the pyramid” (BOP), est parfois déployée directement en France. Ainsi le groupe Crédit agricole a développé, en 2009, tout un système avec le “dispositif Passerelle” pour accompagner les clients qui rencontrent des difficultés financières: mise à disposition d’un conseiller, restructuration de la dette, formation pour gérer un budget… Un projet pas seulement philanthropique: il permet à la fois de limiter les risques financiers avec les clients, et aussi de les fidéliser une fois qu’ils ont résolu leurs problèmes car ils ne partent pas. Ce qui n’était au départ qu’une expérimentation a été généralisé fin 2009 à 28 des 39 caisses régionales du Crédit agricole.»

Le prof

Loïc Plé est professeur associé en stratégie à l’IÉSEG School of Management, où il est aussi directeur adjoint en charge de la pédagogie et du développement académique. Il a publié plusieurs articles dans des revues scientifiques et managériales, et plus d’une quinzaine d’études de cas pédagogiques. Il travaille sur toutes les dynamiques de cocréation et codestruction avec le client. Pour ce sujet, il a cherché à comprendre quelles étaient les incidences des clients précaires sur les stratégies d’offres des entreprises. 

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