Dossier Digital
A l'occasion du salon Virtuality, qui se tient du 24 au 26 février à Paris, Stratégies fait le point sur la façon dont les marques s'approprient cette technologie qui en met plein les yeux.

Réalité virtuelle, an 1. De l'avis de tous les spécialistes, 2016 a été l’année fondatrice pour la réalité virtuelle (Virtual Reality, VR). C'est au mois de mars qu'Oculus, racheté 2 milliards de dollars par Facebook en 2014, a commercialisé son casque Rift, et en avril que HTC a suivi avec son modèle Vive. Ils auraient aurait vendu respectivement 360 000 et 450 000 unités dans l'année, selon le cabinet Super Data Research. De son côté, Sony aurait écoulé 750 000 casques compatibles avec sa console PS4 depuis octobre 2016. De retour du Consumer Electronic Show de Las Vegas en janvier, Mathieu Flaig, consultant au Hub Institute et auteur du blog Publigeekaire.com, a noté une hausse de 48% du nombre de start-up spécialisées dans ce créneau, soit soixante-dix, par rapport à l'édition 2016. Les secteurs du tourisme, des loisirs et de la culture se sont déjà emparés du marché. Aux Etats-Unis, le parc d'attraction The Void Vision of Infinite Dimensions ringardise l'expérience du Laser Game avec des capteurs qui permettent aux joueurs de chasser des fantômes dans un univers virtuel intuitif. Un projet similaire a ouvert à Lyon, Eydolon, sous l'égide du collectif VR Connection. Place de la Bastille, à Paris, il est possible de voyager dans le temps avec la borne Timescope, qui réinvente les jumelles touristiques, récompensée au récent Sitem, le salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme.En 2016, la technologie VR était aussi omniprésente dans les événements des marques. À Paris, Samsung a investi l'esplanade de la bibliothèque François Mitterrand en juin avec un parc d'attractions virtuel, le Life Changer Park, et a remis ça en décembre sous la verrière du Grand Palais, deux événements montés avec l'agence Magic Garden. Des salons professionnels aux défilés de mode en passant par les conférences de presse, les expériences immersives étaient partout. Sans oublier la Cardboard, cette visionneuse en carton créée par Google que l'on pouvait découper dans les emballages de Coca-Cola ou de menus Happy Meal de McDonald's. Et maintenant? «L'année 2016 a été l'année de l'évangélisation, 2017 sera celle de la démocratisation, à mesure que le taux d'équipement va augmenter, prédit Jean Mariotte, président fondateur de la société de production Smart VR Studio. Il y a une courbe d'expérience dans ce domaine et les marques veulent se positionner face à leurs concurrents.» Potentiellement, toutes peuvent trouver un usage à ces vidéos spectaculaires. Tour d'horizon des opérations les plus bluffantes et les plus pertinentes repérées ces derniers mois.En événementielDifficile, aujourd’hui, de faire un pas dans un salon automobile sans tomber sur un casque de réalité virtuelle. Au Salon de Genève, en mars 2016, DS, la marque de luxe du groupe PSA, associée à Dassault Systèmes, proposait de se transporter place de la Concorde, à Paris, pour tester une DS3 via lle casque HTC Vive. Assis dans un fauteuil et manettes en mains, l'utilisateur vivait une expérience de conduite au plus près de la réalité, et pouvait aussi choisir les accessoires du véhicule ou la couleur de la carrosserie. Le dispositif est désormais installé au DS World, le showroom de la marque à Paris. On peut prédire une généralisation de ce service chez les concessionnaires comme outil d'aide à la vente.Toujours à Genève, l'horloger Tag Heuer est allé plus loin en créant son propre casque de réalité virtuelle, inspiré de l'univers des courses automobiles, avec l'agence 909C et la technologie SDK Oculus. Le prétexte était l'histoire de la collection Carrera, lancée en 1950 à l'occasion de la course Panamericana. Un mélange de tradition et de modernité qui nourrit l'image de l'horloger, confronté à l'accélération digitale.

Pour des maisons de couture historiques, comme Dior et Balenciaga qui ont présenté leurs défilés 2016 à 360 degrés, l'enjeu était aussi de faire une démonstration de technologie et de générer du «buzz», autant que de faire vivre un moment d'exception aux spectateurs. Mais il faut que la technique soit au service d'un contenu. Si l'on filme un défilé en réalité virtuelle, il faut réinventer la façon de présenter les vêtements. 

De son côté, Red Bull, associé aux sports extrêmes, a permis aux spectateurs d'une compétition de plongeon à La Rochelle en juillet dernier de vivre les sensations d'une chute de 30 mètres de haut, mais depuis une plateforme de 7 mètres seulement.En publicitéLe format publicitaire classique est bousculé par la technologie VR. Si des cinémas en réalité virtuelle ont ouvert leurs portes, sous l'égide de MK2 ou de Pickup VR Cinema en France, on peine à imaginer la reproduction du modèle existant avec un écran publicitaire en début de séance. Les lunettes 3D ont déjà du mal à convaincre. Et puis, comme le souligne Stéphane Maguet, directeur de l'innovation de l'agence We are social, «dans une expérience aussi immersive, il faut trouver d'autres stratégies que la coupure publicitaire». Difficile d'imaginer plus intrusif qu'une réclame en pleine immersion avec des dauphins ou pendant une visite virtuelle de musée. «Il y a un gros travail à faire sur l'écriture pour faire passer une émotion, estime Mathieu Flaig, du Hub Institute. Parce que le spectateur est coupé de la réalité, il a une relation intime avec ce qu'il voit.» Et de citer un des meilleurs exemples d'application en communication: la bière Old Irish, qui a mêlé film à 360 degrés et street marketing à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Les passants consentants visionnaient une vidéo de 3 minutes sur l'Irlande, tandis qu'autour d'eux se montait un décor de bar. Lorsqu'ils retiraient le casque, ils se retrouvaient exactement où le film les avait laissés, en plein pub à Dublin. L'effet de surprise est total et fonctionne aussi quand on regarde la vidéo promotionnelle montée par l'agence Leavingstone, ce qui est rare avec la VR.En communication corporate, on peut citer la tequila Patron, qui raconte sa production – du champ d'agave à la bouteille – du point de vue d'une abeille, symbole de la marque (avec l'agence Firstborn et la société Legend 3D) ou encore le cognac Louis XIII Rémy Martin, qui a créé un film de découverte en avant-première de son flagship de Pékin (avec VR Lines et Studio Kabo). Autre exemple où la vision en 360 degrés est justifiée, celui des messages d'intérêt public, comme la prévention routière. Aux Etats-Unis, AT&T a mené la campagne «It can wait» sur les risques des SMS au volant qui se termine par une simulation d'accident, visible via cardboard. En France, GMF a créé, avec Interlinks, deux films de sensibilisation aux dangers du portable pour les piétons et de l'alcool au volant, diffusés lors des salons.

 

En magasinLors du Singles Day (journée des célibataires) en novembre, un événement commercial plus important que le Black Friday en Chine, le géant de l'e-commerce Alibaba s'est associé au grand magasin américain Macy's pour proposer une expérience de shopping virtuel. Muni d'un cardboard, l'internaute était propulsé à New York et accueilli dans le temple du commerce où il pouvait bénéficier de promotions et payer en ligne. La plateforme fondée par Jack Ma a également dévoilé en 2016 un service de paiement en réalité virtuelle, VR Pay, qui permet de régler ses achats d'un hochement de tête, sans retirer le casque. Des innovations qui tiennent plus de l'effet d'annonce que de réelles avancées pour Thomas Borie, senior project manager de Fabernovel Innovate: «Je crois beaucoup plus aux interfaces conversationnelles, les bots, qu'à la VR pour améliorer l'expérience de shopping.» «Viser et valider avec un cardboard n'est pas si facile. Tant que cela ne sera pas intuitif, ça restera au stade du test», acquiesce Mathieu Flaig, du Hub Institute.Certains commerçants ont cependant adopté les casques connectés, mais pour créer du trafic en magasin physique cette fois. Ikea propose de visualiser sa future cuisine en Suède, Décathlon présente ses tentes en situation dans son magasin parisien de l'avenue Wagram, la marque de chaussures de randonnée américaine Merrell a créé un parcours qui crée l'illusion d'un trekking vertigineux. Moins spectaculaire, mais très efficace, le fabricant de robinetterie Hansgrohe a organisé une animation avec le distributeur Leroy Merlin autour d'une douche virtuelle. Fous rires garantis dans le magasin. «Alors qu'Amazon Go pousse les points de vente à se réinventer, la réalité virtuelle est un outil de création de trafic et d'aide à la décision, assure Pascal Malotti, directeur conseil de Valtech. Le client arrive à se projeter dans un environnement, peut associer les produits entre eux, changer les couleurs… Il y a moins de risques liés au choix.» La société de conseil se fait productrice de contenu via sa filiale au Canada, qui a créé pour le fabricant d'électroménager Thermador des cours de cuisine virtuels.Si les chiffres de conversion restent difficiles à obtenir, les experts estiment que la VR est propice à l'achat. «Avec un casque, le client est réceptif, surtout s'il a du temps, comme dans un aéroport», témoigne Julien Abbou, directeur des opérations de DV Mobile. La société a conçu avec l'agence Mazarine un film ambitieux pour les parfums Prada, proche d'un jeu vidéo avec 466 options de navigation possibles pour explorer l'univers de la marque dans ses moindres détails. Pour les parfums Jean Paul Gaultier, autre licence du groupe Puig, Mazarine a créé avec le studio Okio le film #BeTheBottle dans lequel le spectateur adopte le point de vue d'un flacon. Les deux dispositifs ont été exploités en point de vente. Autre secteur où la VR a de l'avenir, l'immobilier, pour visualiser une future construction ou visiter un appartement à distance. Nexity a ouvert plusieurs agences connectées dans les grandes villes. «Les visites immersives avec l'Oculus permettent de gagner du temps, surtout à Paris, avec les problèmes de circulation, souligne Frédéric Verdavaine, directeur général adjoint services immobiliers aux particuliers de Nexity. Le client peut visionner cinq biens et décider d'en visiter finalement deux qui correspondent vraiment à son projet. Ce n'est pas un gadget, c'est un vrai concept qui a un impact sur le parcours client, la formation des collaborateurs…» Et pourquoi ne pas préparer ses futures vacances en visionnant des destinations grâce à la VR? C'est possible dans les agences Club Med qui proposent de découvrir les villages avec des casques Samsung.En communication RHC'est l'application à plus fort potentiel pour Thomas Borie, chef de projet senior à l'agence Fabernovel Innovate: «Autant pour le grand public, la VR n'ira pas plus loin que la télévision en 3D, autant j'y crois énormément pour le monde professionnel, où l'information est contextualisée.» Et de citer les secteurs de la logistique, de l'industrie automobile ou encore du bâtiment, où des informations peuvent s'afficher en surimpression sur des lunettes connectées. En formation médicale ou dans la vente, la puissance de mémorisation et d'appropriation de la VR est sans pareille. Aux Etats-Unis, Matrix, la marque destinée aux coiffeurs de L'Oréal, a mené un programme de tutoriels en VR pour former les apprentis aux nouvelles techniques.

En matière de communication de marque employeur, le cabinet Mazars a fait fort en fin d'année dernière avec la campagne Inside 360, réalisée avec Smart VR Studio, qui reproduit la première journée d'une nouvelle recrue. «Nous avons une problématique de recrutement forte, avec 1 000 personnes par an y compris les stagiaires, pour la plupart des bac+5 très sollicités et très sensibles à la transparence du discours, explique Olivia de Faÿ, directrice talent acquisition and employer branding. La réalité virtuelle, qui mêle des comédiens et des collaborateurs de Mazars, nous permet de communiquer notre culture d'entreprise telle qu'elle est, avec un ton décalé. Nous montrons que nous sommes sérieux sans nous prendre au sérieux.» Visible sur un site spécialement créé et via une application, le film est aussi diffusé lors de la tournée des campus. Mazars revendique plus de 30 000 visites uniques sur son site et plus de 1 000 téléchargements de l'appli. «En termes d'immersion et de transparence, la réalité virtuelle est un outil parfait. Mais il faut avoir des choses à raconter», précise Olivia de Faÿ. Une initiative qui a du sens: selon l'étude Future Workforce Study 2016 menée par Dell et Intel, 86% des actifs de la génération Y en France affirment que la technologie est un critère important pour accepter ou décliner un poste dans une nouvelle entreprise. Ubisoft a également conçu un film de recrutement avec la société de production 11e District, une façon au passage de réaffirmer sa culture d'entreprise face aux assauts de Vivendi.

Demain, la réalité mixte

Si certains n'y voient qu'un gadget de plus (voire le flop des Google Glass), d'autres considèrent la réalité virtuelle (VR) comme un futur média, à même de détrôner la télévision. Selon Goldman Sachs, les ventes d'équipements liés à la VR atteindront 110 milliards de dollars en 2025, plus que le marché de la télévision (99 milliards). D'après le cabinet Gartner, la technologie devrait devenir grand public d'ici cinq à dix ans, à mesure que le matériel va s'alléger et les prix baisser. «Les casques fermés vont devenir des lunettes augmentées, puis des lentilles dans vingt ans, prédit Mathieu Flaig, consultant au Hub Institute. La réalité virtuelle actuelle n'est que la première étape. A terme, il y aura une fusion avec la réalité augmentée.» Selon Jean Mariotte, fondateur de Smart VR Studio, «nous vivrons des expériences en réalité mixte: avec des lunettes type Google Glass ou Microsoft Hololens, nous pourrons projeter des objets en 3D dans la réalité. Dans un magasin, nous pourrons obtenir des informations supplémentaires sur un vêtement en surimpression.» Et d'entrevoir un monde à la Matrix«l'on ne fera plus la différence entre virtuel et réalité. D’ailleurs, on surveille de près un nouveau phénomène: l’hyper-réalité, c’est-à-dire l'alliance de la VR et de la “motion capture”, sans manette, mais avec des gants, qui analyse tous les mouvements pour les interpréter en temps réel.» L'agence We are social voit l'avènement du social VR, un monde où l'on ne partagera plus des photos, mais des vidéos 360 degrés et où l'on interagira à travers des avatars. «L'implication des Gafa va tout changer, assure Stéphane Maguet, directeur de l'innovation de l'agence. Demain il y aura un Tinder de la VR, c'est une évidence.» Vivement demain, alors.

La VR vue du consommateur

A 700 euros l'Oculus Rift et plus de 1 000 euros pour le HTC Vive business édition, la technologie VR est encore réservée aux geeks invétérés. D'autant qu'il faut ajouter l'ordinateur avec une carte graphique puissante et, dans le cas d'HTC Vive, un espace d'au moins 6 m² pour permettre les déplacements. Pas évident à installer dans son salon. Autre reproche adressé à la VR: les sensations de nausée ou de déséquilibre dues au décalage entre ce que perçoit le cerveau et ce que ressent le corps, mais qui devraient s'estomper à mesure que les programmes intègreront les mouvements, mais aussi les sens du toucher et de l'odorat pour une immersion totale. Reste la question morale. Le grand public, déjà habitué à mettre en scène le réel sur les réseaux sociaux, est-il prêt à faire le grand saut dans une réalité alternative? Au-delà d'un usage professionnel ou ludique, les avis divergent sur une généralisation des usages.

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