Industrie
Le géant du ciment fait face depuis plusieurs mois à de vives critiques pour son implication dans une affaire de financement de Daech en Syrie. Deux spécialistes de la gestion de crise se penchent sur ce cas qui s'est invité dans le débat présidentiel.

Voilà une publicité –devant plus de 6 millions de Français– dont le groupe Lafarge Holcim se serait bien passé. Lors du débat du 4 avril sur BFM TV entre les onze candidats à la présidentielle, en plein débat sur la Syrie, Jean-Luc Mélenchon, relayé par Nathalie Arthaud, déclare son intention de sanctionner le cimentier franco-suisse pour ses compromissions avec l'État islamique. C'est le dernier épisode d'une crise à laquelle doit faire face le groupe depuis les révélations du Monde en juin 2016 sur le paiement par Lafarge (qui n'avait pas encore fusionné avec le suisse Holcim) de «taxes» à l'État islamique afin de pouvoir continuer d'approvisionner sa cimenterie de Jalabiya, située dans le nord de la Syrie.

Enquête interne

Un dossier très sensible aujourd'hui entre les mains de la justice française et européenne et qui s'est soldé le 1er mars dernier par la présentation d'une enquête interne confiée au cabinet d'avocats Baker & McKenzie concluant que «rétrospectivement, les mesures prises pour poursuivre les activités de l'usine étaient inacceptables». Un comité d'éthique a été créé, avec notamment pour mission de former les collaborateurs. Le départ du directeur général du groupe, Eric Olsen, débarqué par le conseil d’administration, a été acté le 24 avril.

Ces contre-feux suffiront-ils? La polémique sur les velléités de Lafarge-Holcim de participer à la construction du mur de Donald Trump à la frontière mexicaine n'a pas arrangé les choses.

Jean-Christophe Alquier, président-fondateur d'Alquier Communication

«Constituer une coalition des principales ONG»

 «Sur ces sujets sensibles, il y a trois problématiques à gérer: le rapport avec la politique fluctuante voire ambivalente de la France au gré de ses intérêts, le fait de devenir l'entreprise bouc émissaire d'une campagne électorale et la difficulté dans ce contexte de rendre crédible voire audible une commission d'enquête interne. Or d'autres dossiers se sont agrégés à l'affaire syrienne (le mur de Trump et le rappel des conditions de la construction du mur de l'Atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale). Une piste pour le groupe serait de constituer une coalition des principales ONG présentes dans les pays où il est implanté pour analyser la situation au cas par cas et produire un rapport indépendant. Avec l'absolue nécessité de le relayer activement tout en l'accompagnant de décisions opérationnelles mises en œuvre justement par son nouveau comité d'éthique. Mais l'idéal est qu'un tel comité soit saisi a priori sur des sujets potentiellement sensibles et non a posteriori.» 

 

Joshua Adel, directeur associé d'Ylios

«Introduire la culture du risque réputationnel»

«Pour des multinationales comme Lafarge, la fonction intelligence économique qui doit intégrer le risque réputationnel comme un risque industriel est encore largement sous-estimée. Ce n'est pas un simple risque de RP. La résonance politique de certaines décisions peut prendre des dimensions colossales du fait notamment de la mécanique médiatique. Il est donc indispensable de professionnaliser l'intelligence stratégique et économique dans ces grands groupes. Pour cela, il faut introduire la culture du risque réputationnel au sein de la direction communication et ce, en relation avec la direction générale. Cette démarche doit être enrichie par la dimension géopolitique. La Syrie n'est pas un marché comme les autres et le cas du mur de Trump dépasse la simple question du business, on entre là dans le débat public. Pour Lafarge, le mal est fait, mieux vaut faire profil bas et anticiper désormais pour l'avenir en faisant un audit du risque réputationnel». 

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