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Les exemples de marketing participatif se multiplient chez les annonceurs, qui veulent solliciter les consommateurs de plus en plus en amont. Mais cette pratique reste controversée.

À peine quatre ans d'âge et déjà une notoriété qui n'est plus à démontrer. Voilà résumée la jeune et grande histoire du « crowdsourcing », un néologisme inventé en 2006 par Jeff Howe et Mark Robinson, rédacteurs au Wired Magazine.Depuis, derrière ce mot, chacun est venu ajouter ce qu'il voulait : marketing participatif ou collaboratif, cocréation, etc. Les appellations diffèrent pour illustrer ce littéral « approvisionnement par la foule » de plus en plus utilisé par les annonceurs. Le principe : faire appel à la créativité, l'intelligence et le savoir-faire des internautes pour sa communication et ses produits.

Sur le papier, la technique paraît idéale, celle-ci jouant à plein sur l'idée collaborative du Web 2.0. « En quelques années, la recommandation d'un consommateur à un autre consommateur est devenue la forme ultime de la confiance », souligne Corentin Monot, planneur stratégique chez TBWA Paris. Pourtant, le « crowdsourcing » n'a pas que des adeptes. « Derrière cette idée se greffent beaucoup trop de fantasmes dans la tête des annonceurs, estime Matthieu de Lesseux, coprésident de DDB Paris. Il ne faut pas oublier que les exemples fondateurs du “ crowdsourcing ”, Dell Ideastorm en 2007 ou My Starbucks Idea en 2008, ont été lancés par des entreprises en situation de crise… » Avec pour message sous-jacent aux consommateurs : « Aidez-nous à y voir plus clair ! »

Autre idée tenace sur le « crowdsourcing » : cela permet de mener des opérations marketing à moindre coût. « Mais pour que l'opération réussisse, les annonceurs se rendent vite compte que ce n'est pas juste via un petit site animé par deux stagiaires. Il faut que ça devienne une culture d'entreprise. En interne, par contre, je pense que le “ crowdsourcing ” a un grand avenir dans les entreprises », ajoute Matthieu de Lesseux.

Certains ne vont pas au bout de leur démarche collaborative. Danette a ainsi soumis aux votes des internautes le lancement de ses futurs parfums. Si l'opération a remporté un succès d'audience (quelque deux millions de participants en France), la marque n'est pas remontée assez loin dans le processus de création de ses produits, utilisant les internautes comme une simple « caution » finale de ses choix initiaux. « À ses débuts, le “ crowdsourcing ” a été vu par certaines marques avant tout comme un générateur de trafic. Si on se cantonne à cela, le résultat est souvent décevant », souligne Corentin Monot.

Nouvelles formes de conversation marques-consommateurs

Tout le monde s'accorde cependant sur un point : la posture d'écoute dans laquelle se place la marque. « Grâce au “ crowdsourcing ”, les marques ont enfin compris qu'elles devaient se taire et écouter », estime Ludovic Delaherche, vice-président marketing et développement d'Eyeka, seule plate-forme en France faisant appel à la création des internautes pour le compte de marques. Elle rassemble désormais une communauté d'environ 83 000 membres répartis dans cinquante et un pays. Dernières opérations internationales en date : Reebok et Calvin Klein. Le brief de la marque de sport ? « Si Reebok faisait autre chose que des chaussures et des vêtements de sports, que ferait-elle ? » quant à Calvin Klein, la marque propose aux internautes de dessiner la bouteille de son prochain parfum. « Ce type d'expérience déclenche de nouvelles formes de conversation entre marques et consommateurs », analyse Fabrice Arsicot, directeur général adjoint de Ligaris E-comm. L'agence a récemment fait appel à la plate-forme pour le compte de la Commission européenne. « Sur un sujet aussi important que la lutte contre le tabac, les retours ont été extrêmement fournis », souligne Fabrice Arsicot. Très intéressée par le « crowdsourcing », l'agence Ligaris prépare d'ailleurs une étude sur le sujet à paraître prochainement.

Eyeka n'a toutefois pas que des amis parmi les agences de publicité. Principal reproche : derrière les membres internautes de la communauté se trouveraient en réalité des contributeurs très « professionnels ». « Moins de 3% de nos membres vivent de leurs créations », nuance Ludovic Delaherche. Les détracteurs de la plate-forme se sentiraient-ils menacés ? « De la même manière qu'Internet a provoqué une fragmentation des audiences et des médias, on observe aujourd'hui une fragmentation de la création. Et je ne vois pas en quoi cela serait antagoniste », estime Gérard Lenepveu, responsable de la publicité et de la promotion de Pages jaunes. La marque vient de mener une opération sur Eyeka qui a généré pas moins de deux cents contributions. « Si les annonceurs ne développent pas forcément les produits suggérés par les internautes, les résultats obtenus via notre plate-forme leur donnent souvent une vision très pertinente de leur marque », ajoute Ludovic Delaherche.

De plus en plus de marques séduitent

Outre-Atlantique, le « crowdsourcing se répand tout autant. « Sans forcément beaucoup d'avance d'ailleurs, estime pour sa part Thierry Daher, PDG de l'agence Vanksen USA. Mais d'ici six à neuf mois, je pense que ce sera la folie du “ crowdsourcing ” aux États-Unis. » Depuis Dell, Starbucks ou Henkel et son Trophée de l'innovation, d'autres marques ont récemment tenté l'expérience, avec succès. Ainsi, fin 2009, American Apparel – via le site lookbook.nu où les « fashionistas » du monde entier postent leurs plus beaux looks – a réalisé un catalogue des plus belles tenues réalisées avec ses vêtements. Avec intelligence, la marque n'a pas imposé aux contributrices de porter uniquement des vêtements American Apparel pour composer leur style. Résultat : une participation massive, avec quelque 6 900 contributions, et un « lookbook » très tendance…

Autre exemple intéressant, celui du Pepsi Refresh Project, lancé début 2010 et mené avec l'agence TBWA Chiat Day (Los Angeles). Cette plate-forme collaborative Refresh Everything permet à n'importe quelle personne, entreprise ou organisation ayant un projet qui a pour but d'améliorer la société, de le soumettre. Au même moment, Pepsi annonçait qu'il ne communiquerait pas, pour la première fois depuis plus de vingt ans, durant le Superbowl : 20 millions de dollars économisés que la marque a promis d'utiliser au profit d'actions caritatives et pour récompenser chaque mois les meilleures idées recueillies sur Refresh Everything.

En France, une opération de cocréation a récemment retenu l'attention. Le chausseur André a ainsi confié une nouvelle collection à six blogueuses « mode » influentes, allant jusqu'à créer une nouvelle marque, baptisée Les Blogueuses s'en mêlent. Pour imaginer ces modèles vendus en magasin depuis début mars, la marque n'a pas caché qu'elle avait rémunéré les blogueuses. Peu importe. Même si ce n'est pas du pur « crowdsourcing », André a quand même osé le pari de confier sa marque à des anonymes. Malgré quelques réticences, le « crowdsourcing » s'installe donc sous toutes ses formes. À chacun désormais de trouver l'étape pertinente pour l'inclure dans son mix marketing.

 

 

 

Le modèle de My Major Company se duplique
Déjà plus de 1 000 fans pour le blog du parfum qui n'existe pas (encore) ! C'est l'aventure collaborative dans laquelle s'est lancée Céline Verleure, ancienne directrice du marketing digital international de L'Oréal Paris et du marketing international de Kenzo Parfums. « L'idée est de créer une nouvelle marque de parfum de niche en associant mon expérience dans le secteur et celle du Web et des communautés », explique-t-elle. Les membres de la communauté sont associés étape par étape aux coulisses de la création du parfum. Le nom de la marque a été choisi par sondage fin février : Olfactive Studio. Viendra ensuite le travail sur les jus et le flacon… « Si 1 000 internautes mettent 100 euros chacun dans mon projet, je peux lancer la fabrication de mon parfum », souligne Céline Verleure, qui n'a pas encore lancé la souscription officielle.

L'exemple de la plate-forme de coproduction My Major Company dans la musique fait donc des émules. Fabrice Lelong, le fondateur de Sarenza.com, vient également de lancer une plate-forme communautaire du même type. Cette fois, c'est la vente de meubles qui en est la cible. Le site Ledito.com propose ainsi un service de coédition de mobilier de designer : le but est d'impliquer l'internaute dans le financement de ces meubles. Le principe : une fois la somme de 3 000 euros atteinte par souscription des internautes, le site lancera la fabrication du meuble proposé ensuite à la vente.

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