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Maison Martin Margiela, Grand Prix Stratégies du design 2010, est primée pour des supports de communication signés de l'agence Ryswyck à l'occasion du lancement, avec L'Oréal, de son premier parfum. Bienvenue dans l'univers d'une grande marque innovante et insolite.

Tir groupé pour Maison Martin Margiela (MMM): distingué dans les catégories Design d'édition, pour le dossier de presse présentant sa première fragrance Untitled, et Web design, pour le site Internet du même parfum, la marque remporte haut la main le Grand Prix Stratégies du design 2010. Un sans-faute pour une griffe de mode luxueuse et épurée qui frappe d'emblée par la singularité et la multiplicité de ses codes, mais aussi par la simplicité et la force de créations qui font sens.

Tout commence en janvier 2010 par la présentation de son premier jus dévoilé aux journalistes à la «maison», une ancienne école de 3 000 m² du 11e arrondissement de Paris où l'entreprise a élu domicile. La marque de mode a su s'entourer pour l'occasion: le parfum et sa communication ont été élaborés par un «hub» créatif comprenant Martin Margiela en personne (il a quitté son entreprise en décembre 2009), les équipes de la division produits de luxe de L'Oréal, qui gère la licence du parfum, le designer français Fabien Baron (packaging), l'agence La Chose (annonces presse) et le studio de création Ryswyck (relations presse et site Web).

L'Oréal, qui a renforcé ses positions dans les parfums de designers regroupés sous l'étendard «YSL & Designer Brands», a vite cerné le potentiel de cette marque fondée en 1988 par l'un des stylistes les plus influents et les plus innovants de sa génération. Son univers, cohérent et fortement identifiable, colle parfaitement avec le penchant actuel pour un luxe non ostentatoire mettant en avant l'amour du produit, le savoir-faire artisanal ou encore l'art du recyclage. L'entité gère par ailleurs la licence parfum de Diesel, marque de l'homme d'affaires italien Renzo Rosso, actionnaire majoritaire depuis 2003 de Maison Martin Margiela qui, depuis, multiplie les licences (parfums, lunettes, objets pour la maison, chaussures, etc.).

Pour travailler cette marque «pépite», le leader mondial de la beauté a adapté ses méthodes de travail et son modèle économique, comme il l'a fait en 2005 pour Flowerbomb de Viktor & Rolf. Avec dix-huit boutiques en propre dans le monde, Maison Martin Margiela a en effet été créée en toute indépendance et à l'écart du «star system» par l'un des designers les plus secrets du monde de la mode. Ancien styliste de la maison Hermès, ex-assistant de Jean-Paul Gaultier formé à l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers, Martin Margiela brille par sa discrétion: il n'apparaît jamais en public, ne s'est jamais laissé photographier, ne donne aucune interview, ne dit jamais «je», mais s'exprime au nom de sa «maison» préférant mettre en avant le travail d'équipe. «Il n'était pas question de s'appuyer sur la personnalité d'un créateur star ou même sur une égérie pour promouvoir la fragrance», raconte le directeur de communication de Maison Martin Margiela, en demandant que son nom ne soit pas cité.

L'anonymat est en effet une des valeurs clés de la marque qui soigne, à l'envi, son culte de l'impersonnalité: les mannequins défilent le visage couvert d'un voile opaque ou les yeux cachés par un bandeau noir; les vêtements portent une étiquette blanche ou seulement quatre points blancs conçus à l'origine pour la fixer. Placés à l'extérieur du vêtement, ils font tout de même office de signe de reconnaissance. Tout comme les chiffres de zéro à vingt-trois qui désignent les collections ou les lignes d'accessoires de la maison. «C'est une réponse à la tyrannie des logos, mais aussi une façon de dire que la star, c'est le produit, que le vêtement appartient, in fine, à celui qui le porte et se l'approprie», poursuit le porte-parole de la maison. Avec un tel credo, la griffe aurait aimé que son parfum n'ait pas de nom. L'Oréal a fini par la convaincre que ce qui ne se nomme pas n'existe pas. Et qu'il fallait bien pouvoir distinguer cette fragrance des autres parfums à venir. L'appellation reste, in fine, dans l'esprit de MMM: Untitled, c'est-à-dire sans titre, écrit entre parenthèse comme on peut le trouver sur l'étiquette d'une œuvre d'art exposée dans un musée.

Un retour à l'essentiel où rien n'est laissé au hasard

Dans l'ensemble, L'Oréal a cherché au maximum à respecter les codes et la cohérence de cette marque si singulière en misant sur la simplicité et le sur-mesure. «Pour la communication, nous avons écarté l'idée de travailler avec une agence globale choisie sur compétition. Nous avons opté pour des spécialistes, des partenaires de talent et de confiance que nous connaissions et qui pouvaient apporter une vraie valeur ajoutée au projet», explique Richard Pinabel, directeur général international des des marques de designers L'Oréal.

C'est le cas d'Amaury Van Ryswyck. Le fondateur de l'agence homonyme a déjà travaillé pour Maison Martin Margiela, mais aussi pour L'Oréal, notamment sur les relations presse de Fuel for Life de Diesel. L'agence a conçu un site minimaliste, à l'image du parfum, prenant à contre-pied la tendance au tout-technologique et aux effets spéciaux utilisés pour les lancements de parfum. Les journées presse ont également évité toute débauche de moyens. Pas de grand show, mais une présentation intimiste à de petits groupes de journalistes successifs reçus au siège de l'entreprise, autre lieu privilégié d'expression de la marque. Le dossier de presse, lui aussi, épouse et relaie l'esprit maison. Rien n'est laissé au hasard. «Nous sommes partis de la collection Replica de la griffe, une ligne de vêtements qui reproduit à l'identique des modèles de différentes époques», explique Amaury Van Ryswyck.

Le dossier de presse est donc la réplique d'un dossier tout simple avec ses différentes pochettes, mais c'est aussi une belle pièce confectionnée à la main par un artisan de la région parisienne. Il reprend d'autres codes de MMM: le «back to basic» ou retour à l'essentiel; l'utilisation du blanc ou plutôt des blancs, couleur fétiche d'une marque qui a rompu dès sa création avec l'utilisation massive du noir et du gris, et qui l'utilise partout, notamment dans ses points de vente où de vieux objets chinés sont recouverts de peinture blanche; le détournement des matières et des formes par un créateur aimant réinterpréter, transformer, recomposer. Le dossier utilise ainsi différents types de papiers (photocopie, carton, enveloppe, feuille plastique transparente, etc.) ou différents formats d'impression pour présenter le parfum. Il reprend également la typographie maison utilisée sur le flacon et le site Internet, celle d'une ancienne machine à écrire Olivetti. Enfin, ce kit d'initiation à la marque destinée à une presse beauté peu familière de la Maison Martin Margiela s'est attaché à informer les journalistes avec des textes factuels, évitant les superlatifs et les grandes envolées lyriques. In fine, les relations presse ont porté leurs fruits: Untitled est la nouvelle fragrance de l'année la plus citée dans la presse française de janvier à juillet 2010 (source: Kantar Media).

 

 

«Nous souhaitons construire un grand classique de la parfumerie»

Richard Pinabel est directeur général international des marques de designers L'Oréal. Il revient sur les objectifs et les projets de la marque Maison Martin Margiela.

 

Comment avez-vous orchestré la communication de la marque?

Richard Pinabel. Nous avons très peu investi en achat d'espace dans les médias. Nos efforts se sont concentrés sur les relations presse et avec les consommateurs, et sur le point de vente, avec une mise en scène théâtralisée du parfum qui retranscrit l'esprit de la marque et qui surprend par sa couleur blanche ou ses objets courants repeints auxquels on offre une seconde vie. En France, nous n'avons sélectionné que quatre-vingt-dix-sept portes, mais bien positionnées, tout en misant sur la formation des conseillères beauté. La qualité a été préférée à la quantité.

 

Quels sont vos objectifs commerciaux?

R.P. En Italie, le parfum est numéro un des ventes des magasins Douglas, où il est commercialisé en exclusivité. En Allemagne, nous sommes au-delà de nos objectifs dans les cinquante points de vente où il est distribué. Notre objectif est de construire un grand classique de la parfumerie, de le développer dans la durée. Nous allons donc progressivement étendre sa distribution, mais aussi le lancer l'année prochaine aux États-Unis. Nous misons sur une construction lente mais maîtrisée, que nous avons déjà expérimentée avec succès pour Flowerbomb de Viktor & Rolf. Ce parfum a débuté en 2005 dans cinquante points de vente outre-Atlantique. Il est entré au mois de juillet, avec six cent points de vente, dans le Top cinq des féminins aux États-Unis.

 

Quels sont vos projets ?

R.P. Nous allons lancer d'autres parfums pour cette marque. Nous travaillons d'ores et déjà sur des idées ébauchées par Martin Margiela. Mais, pour l'heure, nous lançons une nouvelle section sur notre site Web pour animer la première communauté parfums de la marque, qui compte déjà plus de 30 000 membres inscrits en moins de quatre mois. Cette section comprendra un jeu en ligne, inspiré des jeux vintage des années 1980, qui illustre bien le «back to basic» cher à la marque.

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