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L’enseigne suédoise a ouvert le 6 octobre son premier flagship en France sur les Champs-Élysées. Un point de vente unique qui reflète le grand écart de H&M entre le luxe et le prêt-à-porter.

C'était l'un des événements mondains de la semaine parisienne. Lundi 4 octobre, l'enseigne de prêt-à-porter H&M a fêté l'inauguration de son premier flagship français, situé au 88, avenue des Champs-Élysées et conçu par l'architecte Jean Nouvel, lors d'une soirée très courue. Un aréopage composé d'actrices, de journalistes, de blogueuses et de gens de la mode gravitaient dans cet espace de 2800 m² sur trois niveaux qui mélange style parisien et décor industriel. Un magasin de prestige pour une enseigne atypique qui vend des vêtements d'entrée de gamme avec une communication de luxe.

Après avoir systématisé le recours à des stylistes de renom pour ses collections, à l'image de Lanvin pour l'automne-hiver 2011, H&M fait appel à une illustre signature pour sa mégaboutique. L'architecte de l'Institut du monde arabe à Paris et de la tour Dentsu à Tokyo a-t-il vampirisé l'enseigne suédoise? «Jean Nouvel s'est fondu dans H&M, observe Olivier Saguez, président de l'agence de design Saguez & Partners. Il a réalisé un travail ascétique et rigoureux, selon une esthétique de l'utile dans laquelle chaque outil est à sa place.»

Sur la plus belle avenue du monde, H&M rompt avec le parti pris des flagships qui misent sur l'épate. «Ces derniers prennent dans ce cas plus d'importance que les objets qu'ils vendent, alors que l'architecture se démode rapidement, estime Olivier Saguez. Jean Nouvel a pris le contrepied de cette démarche en répondant à la question "Qu'est-ce qu'un magasin qui reçoit beaucoup de monde?"»

À l'intérieur de la mégaboutique, on découvre une unité de ton entre les sols, les murs et les plafonds, tous de couleur beige, par contraste avec le noir foncé de la serrurerie, des habillages et des escalators. «Ce lieu est une belle machine à vendre bâtie autour de deux matériaux, la pierre de Bourgogne et la tôle noire, analyse Olivier Saguez. La première, présente en imitation au plafond du flagship H&M, renvoie à la pierre du Louvre, tandis que la deuxième évoque l'esprit très industriel des ateliers Eiffel de la fin du XIXe siècle.»

Sous-sol élégant

Ingénieusement, des écrans vidéos suspendus montent et descendent au rythme des escalators permettant d'accéder au premier étage, réservé aux vêtements pour homme. À cet endroit, le plafond est bas et voûté, tandis que des écrans numériques coulissent le long des baies vitrées qui offrent une vue plongeante sur les Champs-Élysées.

De retour au rez-de-chaussée, un escalier d'une largeur gigantesque permet de descendre dans le plus grand espace du magasin, celui du prêt-à-porter pour femme. «Destiné à être une ruche surfréquentée, ce flagship se distingue par l'élégance du sous-sol, dont l'architecture rappelle celles des voûtes du métro», analyse Olivier Saguez.

Cette arrivée sur les Champs-Élysées (le 6 octobre pour le grand public) précède celle des marques américaines Abercrombie & Fitch et Tommy Hilfiger, suscitant une polémique sur la banalisation de l'avenue. Mais elle survient longtemps après certains de ses concurrents, comme Benetton, Gap et Zara. «L'ouverture d'une boutique de H&M sur les Champs-Élysées, carrefour parisien incontournable et international, était très attendue», glisse Marion Renard, rédactrice en chef du mensuel Muteen et de la beauté pour Jalouse.

Lors de la soirée d'inauguration, on croisait dans les allées du magasin des habituées de l'univers du luxe comme Lou Doillon et Élisa Sednaoui, égérie de Chanel et nouvelle ambassadrice de H&M. L'enseigne brouille en effet les frontières entre le luxe et le prêt-à-porter de masse par un subtil mélange de leurs codes.

«C'est un phénomène intéressant, car c'est la première fois qu'un partenariat entre le très haut de gamme et l'entrée de gamme est effectué à l'échelle planétaire, explique Pierre-François Le Louët, président du bureau de style Nelly Rodi. Le distributeur américain Target s'y était déjà essayé en 2003 avec le styliste Isaac Mizrahi, mais sans atteindre cette ampleur. Au début, la réaction du milieu du luxe a été très négative envers H&M, désormais, tout le monde se demande quel sera le prochain styliste de l'enseigne.»

Marketing de la rareté

Par sa qualité d'exécution, la communication publicitaire reflète cette démarche, illustrée par le recours au photographe Terry Richardson et au top model Daria Werbowy. «H&M a su trouver un code à la fois simple et frappant, remarque Isabelle Carron, directrice associée de l'agence de publicité Just a Kiss. On est centré sur le produit, sans univers extérieur. Il s'agit d'appliquer les codes du luxe, c'est-à-dire mannequins et photographes sublimes, à la direction artistique des campagnes d'une enseigne du marché de masse.»

La différence se situe dans le registre d'expression, figé et glacé pour le monde du luxe, en mouvement et ancré dans la vie pour H&M. «Si le luxe insiste sur l'univers qui entoure le vêtement, H&M choisit de montrer comment assortir l'ensemble de ses habits, dans une veine presque pédagogique, relève Isabelle Carron. Le message perçu mais non dit pourrait se reformuler par "Comme vous, des mannequins s'habillent en H&M". L'enseigne n'est pas discriminante en termes de prix et de clientèle. 

Enfin, le distributeur suédois orchestre avec brio un marketing de la rareté, fait de quantités limitées et de renouvellements incessants, mais paradoxal en apparence pour un positionnement à bas prix. «Inspirées des modèles de la maison de couture Balmain, les vestes "officier" H&M ont été fabriquées en très petite quantité et étaient introuvables à Paris, ce qui a déclenché un buzz important, raconte Marion Renard. Ce phénomène est encore plus aigu sur les pièces dessinées par des créateurs, comme en témoignent les scènes d'hystérie dans les magasins qui vendaient la collection de Karl Lagerfeld. Ainsi, les filles reviennent plusieurs fois par semaine de peur de rater la pièce du moment.»

Car le style et la force de H&M résident dans sa réinterprétation de la créativité de la haute couture pour la rendre accessible au plus grand nombre. «À l'inverse de Zara et de sa sophistication à l'européenne, ou bien de Gap et de son confort à l'américaine, H&M ne se préoccupe pas de son propre style, mais cherche seulement à coller à l'air du temps, note Pierre-François Le Louët. H&M n'est pas vraiment une marque, mais une enseigne qui s'efface au profit de ses vêtements. Elle n'a pas de point de vue particulier sur la mode, car l'on y trouve toutes les tendances. H&M ne peut donc pas se démoder…»

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