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En communication aussi, il y a un avant et un après Japon pour l'industrie nucléaire française. Areva, EDF et les pouvoirs puiblics doivent retrouver la confiance des Français.

Quelle trace va laisser la catastrophe de Fukushima dans l'opinion publique française? Lundi 21 mars, alors que les Japonais comptaient leurs morts et s'alarmaient plus que jamais des conséquences de l'accident nucléaire, deux sondages ont ajouté leurs voix à la bataille médiatique qui agitent pro et antinucléaires depuis le vendredi 11 mars, jour où le tsunami post-séisme a frappé le Japon et endommagé la centrale (lire page 10).

Le premier, commandé par EDF à TNS Sofres et réalisé en pleine crise, les 15 et 16 mars, indique que 55% des Français sont opposés à la demande des écologistes d'abandonner la production d'électricité nucléaire en France. Le second, signé Ifop, émane cette fois d'Europe Ecologie. Selon lui, 70% des Français sont pour une sortie du nucléaire: 51% pour un arrêt progressif à 25 ou 30 ans et 19% pour une sortie immédiate.

De quoi nourrir un peu plus les suspicions entourant les instituts d'études et leurs sondages, outil de communication très appréciée des entreprises et des associations. De quoi aussi alimenter le flot d'informations discordantes, péremptoires voire mensongères qui se succèdent depuis dix jours.

Notamment au Japon, où le gouvernement, soucieux d'éviter la panique, a fini par perdre sa crédibilité en distillant des messages contradictoires. Tokyo Electric Power (Tepco), quatrième producteur mondial d'électricité, en charge de la centrale de Fukushima, est également critiqué, tant pour sa communication floue et tardive que pour ses pratiques frauduleuses: l'entreprise n'a cessé, par le passé, de falsifier les rapports d'inspection de ses installations.

En France, dès le début de la crise, les principaux acteurs de la filière nucléaire, EDF et Areva, mais aussi l'Etat, actionnaire des deux groupes, n'ont eu qu'un mot d'ordre: information et transparence. «Tout a été fait pour communiquer abondamment et effacer les stigmates de Tchernobyl», commente Didier Heiderich, président de l'Observatoire international des crises.

En 1986, les autorités françaises avaient minimisé au maximum l'impact de l'accident, assurant que le nuage s'était arrêté à la frontière allemande. Pas de déni, cette fois, sur la gravité de la situation. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ont multiplié les communiqués et les points presse.

Une réunion d'urgence entre acteurs de la filière, parlementaires et ministres en charge du dossier, Nathalie Kosciusko-Morizet à l'Ecologie et Eric Besson à l'Energie, a même été organisée le 16 mars à l'Assemblée nationale: une vaste opération «porte-ouverte» retransmise sur France 3 et LCP où chacun s'est exprimé.

«Toute l'information que nous avons, nous la donnons. Nous ne travestissons aucune réalité», a insisté Eric Besson. «Le gouvernement s'appuie sur les experts, les scientifiques. C'est une communication lucide et réaliste qui fera date», commente Tea de Peslouän, directrice du département crise de l'agence Burson-Marsteller. Le gouvernement s'est ainsi montré plus alarmiste que son homologue japonais, donnant une note plus élevée au risque nucléaire. «Il s'est affiché en expert lucide. Sa parole n'en est que plus crédible», poursuit Didier Heiderich.

Rassurer

Autre enjeu dans cette crise protéiforme: rassurer les Français en communiquant sur la sûreté. Le gouvernement s'est engagé, très vite, à contrôler les réacteurs du pays, au regard notamment des risques sismiques, et à rendre public les résultats.

Une ligne reprise par EDF, qui a ouvert ses centrales à plus de deux cents journalistes soucieux de comprendre les mécanismes et les procédures d'un secteur s'affichant comme le plus contrôlé de France. Bien qu'avec parcimonie, Henri Proglio, son président, s'est tout de même exprimé sur RTL et dans Le Monde pour revenir sur «l'obsession de la sûreté» qui anime le groupe.

Rassurer, c'est aussi la mission confiée aux salariés d'EDF à qui il s'est adressé par courrier. La lettre, révélée par le site Mediapart, revient sur quelques arguments à mettre en avant pour rassurer familles, voisins et amis, comme les 2 milliards d'euros annuels investis par EDF en maintenance pour garantir un niveau de sûreté optimum.

Pour le reste, le groupe a surtout veillé à adopter une attitude de compassion. EDF a été l'un des premiers à communiquer sur l'aide apportée aux Japonais: sûreté, solidarité, mais aussi humilité («aucune technologie n'est sans défaut ou sans risque», dixit Henri Proglio) ont guidé une communication de crise supervisée par Stéphane Fouks, vice-président d'Havas.

Une autre stratégie a guidé Areva. Certes, l'entreprise conseillée par Image 7 (relations publiques) et Euro RSCG C & O (publicité) a, elle aussi, répondu aux nombreuses sollicitations des journalistes, communiqué en interne et fait preuve de solidarité en affrêtant un avion et en donnant un million d'euros à la Croix-Rouge japonaise. «La transparence, la communication et la pédagogie sont la marque de fabrique d'Anne Lauvergeon », rappelle Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication du groupe.

Mais les enjeux sont tout autre: la présidente d'Areva, dont le mandat arrive à échéance en juin, s'est davantage exposée en intervenant notamment au JT de 20 heures de France 2. «Candidate à sa succession, elle n'a rien à perdre et tout à gagner en se présentant, dans les médias, comme le meilleur avocat du nucléaire», commente un consultant.

Ses déclarations ont pourtant soulevé les critiques. Dire, comme elle l'a fait sur France 2 le 15 mars, «Je crois que nous allons éviter la catastrophe» ou «Chaque jour de passé est un jour de gagné», ressemble à de l'imprudence. Quelques heures après, la situation s'aggravait.

Mais ce sont surtout les propos sur la sûreté de l'offre d'Areva qui ont été pointés du doigt par les antinucléaires et nombre d'observateurs. «S'il y avait eu des EPR à Fukushima, il n'y aurait pas de fuite possible dans l'environnement», a déclaré Anne Lauvergeon, qui, à l'instar du gouvernement, a saisi un peu vite une opportunité: transformer les handicaps commerciaux d'hier en atouts.

Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, avait donné le «la» en déclarant que la catastrophe japonaise devrait favoriser l'industrie française, plus chère parce que plus sûre. Des propos repris par le président de la République.

Un faux pas? «L'heure est encore à l'émotion, à la compassion. Ce n'est pas le moment de parler “business”, commente Didier Heiderich. D'autant qu'il n'existe pas encore d'EPR en fonctionnement. Le parc actuel se composant essentiellement de centrales d'anciennes générations, l'argument n'est pas de nature à rassurer.»

Changer de stratégie

Que faire maintenant? Malgré les résultats du sondage d'EDF, les spécialistes s'accordent sur un point: il y aura un avant et un après Fukushima. L'image de l'atome en a pris un coup. Anne Lauvergeon a rappelé la nécessité, pour les industriels, de «reconstruire la confiance» sur le nucléaire.

D'autant que les Verts, les associations écologistes et les antinucléaires ne vont pas rester les bras croisés à un an de l'élection présidentielle. Et qu'ils n'ont de cesse de rappeler l'opacité de la filière, qu'ils taxent, en France aussi, de mensongère et de manipulatrice. «L'heure est à la solidarité, non à la revendication, mais ça viendra. Nous sommes en train de réfléchir à une stratégie de campagne et de communication», explique Axel Renaudin, chargé de communication à Greenpeace.

Pour EDF et Areva, il est encore trop tôt pour déterminer qu'elles seront les actions de communication de sortie de crise. Difficile d'agir tant que les réacteurs de Fukushima fument encore. EDF pourrait, selon nos informations, lancer une plate-forme collaborative de dialogue et d'échange sur Internet soutenue par une campagne de publicité. A condition que le scénario du pire soit évité.

Jacques-Emmanuel Saulnier va, de son côté, s'attacher à établir, en communication aussi, «un retour d'expérience». Devra-t-il revoir la stratégie du groupe Areva? Quid de son dernier spot international, lancé en janvier 2011 avec un budget de plus de 10 millions d'euros? «Je n'avais pas de réservation d'achat d'espace en cours. Je n'ai pas eu à la suspendre», explique-t-il.

Reste que ce film d'animation à la gloire des énergies sans CO2, épinglé par les écologistes, mais jugé conforme aux règles déontologiques par le JDP, organisme de contrôle de la publicité, n'est plus diffusable en l'état. Des jeunes y dansent dans un paysage verdoyant à deux pas d'une centrale en bord de mer sur iune musique de Funky Town… «Il est impossible qu'Areva continue avec la même stratégie, analyse Laurent Terisse, fondateur de l'agence Limite, spécialisée dans la communication responsable. La communication à la papa qui combine la logique de l'ingénieur arrogant à celle du film publicitaire, par essence suspect, n'est plus recevable par l'opinion.»

Retour à la réalité

Pour beaucoup de professionnels, la filière nucléaire a fait une erreur de communication en faisant l'impasse sur les risques dans son discours auprès du grand public. «Non seulement les campagnes les ont occultés en se focalisant sur les mérites d'une énergie sans CO2, mais, pour Areva, elles ont cherché à “déréaliser” le nucléaire en optant pour le dessin animé, analyse Jean-Christophe Alquier, vice-président de TBWA France, qui gère la communication corporate de Total. Le dernier spot est une ode positiviste au nucléaire qui assure le bonheur et le progrès de l'humanité. Le retour à la réalité est d'autant plus difficile. Le citoyen se sent manipulé.»

«Comment, en effet, obtenir la confiance de l'opinion en mentant par omission?, lance Laurent Terisse. Vous polluez, donc vous dites que vous êtes propre. Cette stratégie a trouvé ses limites.» Pour Georges Peillon, expert en communication de crise chez Altum Communication, sous-entendre un risque zéro de peur de générer des angoisses ou de la défiance n'est, en effet, pas responsable: «Une entreprise a tout à gagner à dire que les risques majeurs existent, mais qu'ils sont maîtrisés.»

Enfin, le fond mais aussi la forme seront, peut-être, à revoir. Le format publicitaire n'est pas, selon ces spécialistes, le plus propice pour la filière nucléaire, d'autant qu'Areva ne vend qu'aux entreprises, notamment étrangères. Il peut certes contrer les discours alarmistes des associations environnementales qui cherchent à sensibiliser l'opinion, mais il enferme dans une logique de séduction caricaturale.

Ecoute, rencontre sur le terrain, relations publiques, influence, Web… c'est plutôt là que cela se joue. «Il faut entrer dans une vraie logique d'information, qui protégera de l'effet de manipulation», conclut Jean-Christophe Alquier. A moins que ces industries décident d'investir massivement sur les énergies renouvelables. Qui sait?

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