Un produit, un brief, un plan de communication au service d’une stratégie: le mariage, vendredi 29 avril, du prince William et de Catherine Middleton est aussi une gigantesque opération marketing de la Couronne britannique.

Deux milliards de téléspectateurs au moins – un tiers de l'humanité – devraient assister devant leur poste de télévision au mariage du prince William et de Catherine (Kate) Middleton, vendredi 29 avril à Londres, à partir de 9h15. Un chiffre démesuré à la hauteur de l'énorme opération de communication organisée dans les moindres détails depuis des semaines par Buckingham Palace. Avec des méthodes dignes des meilleurs cas marketing. Du brief aux produits dérivés en passant par le teasing et le plan médias, enquête dans les coulisses d'un «lancement de produit» mondial.

Le brief: redorer l'image des Windsor . Le mariage doit permettre avant tout à la monarchie britannique de bénéficier d'une cure de jouvence dont elle a vraiment besoin, et qu'elle a su préparer comme il se devait. «Je ne pense pas que ce mariage soit un “produit” pour la monarchie, tempère Sara Cywinski, biographe de Kate Middleton. C'est un symbole authentique de leur amour. Toutefois, il va aussi permettre de réunir la nation autour d'un moment historique et va encourager davantage de personnes à s'intéresser à la monarchie.»

En tout cas, le «Kiss in front of the Nation» de William et Kate – programmé pour 14h25, en clôture de la cérémonie et cinq minutes avant le défilé aérien de la Royal Air Force – sera le plus attendu et le plus regardé de toute l'histoire de l'humanité.

«La différence par rapport au mariage de Diana et de Charles, qui a eu lieu il y a exactement trente ans, est que, depuis, Internet s'est imposé et cela permet aux Windsor de disposer de leurs propres sites Web et de gérer leur communication en direct», note Stéphane Bern, animateur de l'émission Le Fou du roi sur France Inter, qui va commenter le mariage princier en direct sur France 2.

Teasing et storytelling . Une roturière heureuse vaut-elle mieux qu'une aristocrate suicidaire? Après sa rupture avec William, au printemps 2007, Kate Middleton était apparue dans la presse le lendemain d'une sortie londonienne entre «barbie girls» vêtue d'une robe courte, noire et semi-transparente, ajustée au corps et brodée de sequins brillants, ceinturée d'un ruban noir et chaussée de bottes de la même couleur. Moins «classy» qu'à l'accoutumée mais plus audacieuse, lumineuse et enivrante de beauté que jamais elle ne l'avait été. William avait fini par rappliquer, avec de nouveaux arguments à faire valoir. Le psychodrame n'a pas été maîtrisé par Buckingham Palace, mais a renforcé l'attachement des Britanniques à ce couple, notamment à Kate Middleton, qui a prouvé ce jour-là qu'elle pouvait elle-même écrire l'agenda royal. Un «storytelling» de rêve.

À l'approche du «Wedding Day», cette histoire de «marque» orchestrée par Buckingham Palace, et mise à jour par la fraîcheur et la modernité d'un couple qui a grandi avec les écrans, fonctionne à merveille. Les médias parlent du couple comme ils le feraient pour deux boxeurs. Seront-ils prêts? Seront-ils suffisamment concentrés? Ont-ils peur? William a reconnu récemment qu'il ne fermait plus l'œil de la nuit, Kate s'est remise à fumer. Leurs amis, interrogés par les journalistes, bercent le public de récits aussi mièvres que féériques.

Dans le même temps, la Couronne ouvre grand ses portes. Le service de communication a publié sur You Tube les interviews de quelques-uns des principaux artisans du «Wedding Day»: le chef cuisinier, le majordome de Buckingham Palace, le chef d'orchestre du London Chamber Orchestra… Tous évoquant, avec un grand sourire et un éclair dans le regard, leur impatience à quelques jours du sommet de leur carrière professionnelle.

Tous les ressorts du cobranding. Une marque haut de gamme, mais vieillissante, associée à un produit nouveau et branché: l'association a déjà fait merveille dans le monde du marketing. «Kate exerce une réelle attraction sur le public, explique Sara Cywinski. C'est une fille “normale”, avec des racines de classe moyenne qui rendent son intégration dans la famille royale tout à fait admirable. Son histoire est un conte de fées moderne, et cela l'a fait aimer du public, qui la sent tout à fait apte à assumer le rôle de princesse, et potentiellement de “Queen Consort”. Elle est en train de devenir une icône mondiale, inspirant une nouvelle génération de “fashionistas” avec son image naturellement cool et chic. Le monde attend son épanouissement en tant que membre de la famille royale, mais aussi en tant qu'îcone de la mode.» Les chapeaux bibi, qu'elle porte régulièrement, ont enregistré une hausse des ventes de 65% depuis six mois dans les magasins de mode Selfridges et Harvey Nichols.

«C'est une personne complètement différente de Diana, poursuit Sara Cywinski. Mais, inévitablement, les comparaisons seront faites.» L'une est le tirage négatif de l'autre, mais, en définitive, il s'agit de la même imagerie. Kate, c'est «Black Swan». Un cygne noir voué à se fondre dans la blancheur «windsorienne» et dont le parcours de vie aura consisté et consistera toujours à exister dans ce paradis blanc. Diana avait emprunté le chemin inverse. Née cygne blanc, officiellement vierge de tout défaut lors de son mariage avec Charles, elle n'a pu respirer qu'en cherchant perpétuellement à fuir l'infatuation de l'aristocratie, à salir les codes «windsoriens». C'est cette quête éperdue de l'humain authentique qui en a fait une légende et qui fera encore pleurer dans les chaumières dans cinq siècles.

Kate, elle, dit autant «yes» à William qu'à la monarchie. En tant que «représentante du peuple», elle fait figure de parfait agent de relations publiques. Dans la préparation du protocole, c'est elle-même, d'ailleurs, qui a décidé de venir à l'abbaye de Wesminster «as a commoner» (comme une roturière). Pour mieux en repartir ennoblie.

Comment la «Firme» scénarise l'événement . Au Royaume-Uni, on ne coupe plus la tête des rois, mais on fige celle des princes. La photo des yeux exorbités et de la bouche grande ouverte de Charles et Camilla, lors de l'attaque de leur Rolls-Royce, à l'automne dernier, par des étudiants protestant contre l'augmentation des droits universitaires, a fait le tour du monde… Cette Rolls, la famille royale a finalement décidé de la réutiliser pour le dernier voyage de jeune fille de Kate. Le message de la «Firme» – Buckingham Palace – est clair: la royauté peut être offensée, insultée, vilipendée, elle est résolument imperturbable.

Pour le «Royal Wedding», les Windsor ont mis le paquet et soigné tous les détails: une seule bague, portée par Kate, ainsi que le veut une tradition séculaire. Menu des deux repas essentiellement british et tenu secret jusqu'au dernier moment. Tout comme la robe de la mariée (deux millions de requêtes sur Google deux semaines avant le mariage) et le costume de William, dont on ne sait toujours pas s'il apparaîtra en militaire, comme ses aïeux.

Pas de chef d'État (hors pays du Commonwealth) parmi les mille neuf cents invités. En revanche, les familles royales étrangères sont conviées, ainsi que… David et Victoria Beckham. Entre tradition et peopolisation.

L'élément le plus visible et le plus spectaculaire sera le cortège d'un centaine de carrosses, entourés de bataillons militaires, qui défileront après la cérémonie religieuse entre Wesminster Abbey et Buckingham Palace. En tête, Kate et William, dont le «State Landau» avait été emprunté par Edouard VII après son couronnement en 1902, mais aussi Charles et Diana en 1981.

Les dernières semaines ont permis au futur couple royal de parfaire ses répétitions, avec plusieurs apparitions officielles dans différentes associations, écoles de commerce, centres culturels, suivies en direct par les chaînes de télévision.

Un plan médias hors normes . Huit mille journalistes couvriront l'événement dans un Londres transformé. Et ce n'est pas un hasard si c'est le Cabinet Office, «at the Very Centre of Government», qui a délivré au compte-gouttes les accréditations dans les périmètres réservés. La fonction officielle de la principale coordinatrice, Carol McCall, est «Head of Security, Intelligence and Resilience Communications». Un titre qui dit tout.

La BBC fera travailler 550 personnes sur l'événement (télévision, radio et contenus Web), ITV en mobilisera 300 et Sky 160. Jeremy Hunt, le ministre de la Communication et de la Culture anglais, a indiqué qu'au moins 2 milliards de téléspectateurs devraient suivre l'événement. Soit trois fois plus que lors du mariage de Charles et Diana. Selon les accords qu'elles auront négociés, les chaînes de télévision étrangères pourront reprendre les images fournies par la BBC, Sky ou ITV, qui profiteront de facilités pour filmer. En France, toutes les chaînes seront au rendez-vous, à commencer par TF1 et France 2.

La chaîne américaine ABC News bénéficie d'un accord avec la BBC, qui lui permettra de diffuser vingt heures de programmes en direct. Comme pour l'essentiel des chaînes de télévision intéressées par l'événement, la déclinaison se fera en mode cross-média. La chaîne américaine Lifetime a lancé cette semaine une série (Kate & William), suivie d'un documentaire (Royal Wedding of a Lifetime) en six épisodes. BBC Knowledge, chaîne diffusée dans le monde entier, lui consacrera une semaine spéciale. BBC Worldwide a vendu ses programmes à trente-deux diffuseurs (notamment américains, australiens ou thaïlandais lors du dernier MIP TV de Cannes), «ce qui démontre à la fois l'intérêt international majeur pour cet événement et la valeur des programmes de notre catalogue», se félicite Steve McAllister, son responsable des ventes et de la distribution.

L'enregistrement musical de la cérémonie (deux chœurs, un orchestre et deux fanfares) sera également disponible sur Itunes l'après-midi même de la cérémonie. La Couronne communiquera directement via le Twitter du Press Office (Clarence House), via la page Facebook créée l'automne dernier juste avant l'annonce du mariage ou encore grâce à la chaîne officielle sur You Tube.

La manne des produits dérivés . Quoi de plus kitsch qu'une assiette ornée des figures de Charles et Diana? Trente ans plus tard, l'objet change de têtes, mais s'écoulera de nouveau à très grand volume, bien au-delà du «Wedding Day». Cinq millions de pièces de monnaie à l'effigie de William et Kate auront été écoulées d'ici à la fin du printemps (pour 25 millions de livres, soit 28,5 millions d'euros) et 3 millions de tasses et assiettes (18 millions de livres, soit 20,5 millions d'euros).

Buckingham Palace perçoit des droits sur les objets vendus officiellement dans tous le pays, tout en ayant aussi quelques magasins (Queen Gallery Shop, Buckingham Palace Gift Shop), ainsi qu'un site Internet. La tasse officielle la plus chère, ornée d'un W (pour «Wedding» et William), est vendue 125 livres (142,50 euros). Voir le site www.royalcollectionshop.co.uk.

La monarchie a-t-elle aussi cherché à faire passer un message sur les pièces et timbres figurant le visage de William et de Kate? Sur deux séries, celle-ci n'y est pas vraiment représentée à son avantage, comme s'il fallait bien rappeler que le sang royal ne circulera jamais dans ses veines: visage bouffi sur la première pièce, expression sévère, voire machiavélique sur la deuxième. La «Firme» avait refusé l'union de Camilla et de Charles au début des années 1980. Elle accepte aujourd'hui Kate, mais pas au point de reconnaître et mettre en valeur ses charmes sur la monnaie britannique.

Un retour sur investissement assuré . Au total, le «Royal Wedding» rapportera environ 685 millions d'euros (600 millions de livres) de recettes à l'économie anglaise, selon le Centre for Retail Research. Pour cela, Visit Britain, l'agence touristique nationale, a dépensé 115 millions d'euros (100 millions de livres) pour attirer les touristes. C'est M&C Saatchi, qui a été chargée de la campagne.

Le gouvernement, en accordant un jour férié exceptionnel, invitera tous les Britanniques à se rassembler dans la rue, au pub ou devant leur écran pour fêter une concorde nationale dont le pays a bien besoin. Le mariage d'Elizabeth II, en 1953, n'avait pas eu droit à tant d'égard. Six cent mille personnes devraient venir à Londres pour l'occasion, auxquelles s'ajouteront 500 000 touristes ou Londoniens déjà sur place, soit 1,1 million de personnes pour acclamer les nouveaux mariés dans les rues de la capitale britannique. Même les républicains seront de la fête… «Nous avons parlé à un avocat et sommes arrivés à la conclusion que la BBC avait une obligation légale d'être impartiale dans sa couverture du mariage royal.» Graham Smith, secrétaire général du parti politique Republic, a obtenu une présence à l'antenne de la BBC, la veille du mariage, pour… stigmatiser la monarchie. L'humour anglais est décidément imbattable.

 

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