Spécial digital
Le digital a ouvert de nouveaux espaces d’expression, que les marques doivent remplir. Mais à quelles fins et quelles conditions ?

C'est encore un effet collatéral de l'explosion digitale. En l'espace de quelques mois, le brand content s'est imposé comme la nouvelle toquade des marques et de leurs conseils. Au point de devenir un objet de débat: nouvelle vision de la communication éditoriale ou simple lifting lexical?

Deux écoles s'opposent. Le brand content, littéralement contenu de marque, ne serait pour les uns rien d'autre qu'une désignation supplémentaire de la communication éditoriale, voire de l'expression publicitaire. Pour les autres, il acterait l'affranchissement d'une communication axée sur le produit, orientant les marques vers une prise de parole plus générique et publique.

C'est le Crédit agricole, partenaire du monde du football depuis trente-huit ans, qui décide d'investir ce territoire sportif bien au-delà de son expression la plus médiatisée, en devenant un porte-parole du ballon rond dans toutes ses pratiques. Point d'entrée choisi par BETC Content: une websérie de 22 épisodes, diffusée sur la page Facebook de la banque, mettant en scène le casting d'une équipe de 22 joueurs amateurs (des hommes, des femmes, des juniors ...) par Laurent Blanc, le sélectionneur de l'Équipe de France.

Et si la justification de ce fameux brand content relevait tout d'abord, très prosaïquement, d'une nécessité mécanique? Le digital a ouvert une somme d'espaces d'expression qu'il faut bien remplir. A cette nécessité s'ajoute l'urgence.

Car le digital a aussi démultiplié l'appétence informative des consommateurs, des salariés, des citoyens. Il faut donc alimenter les espaces d'expression en continu. D'un point de vue macro-économique, le brand content, c'est d'abord l'obligation des marques à produire du contenu en masse.

Et les volumes sont tels qu'il y a, d'un point de vue quantitatif, de la place pour tout le monde. Ce qui fut longtemps la chasse gardée des agences de communication éditoriale occupe aujourd'hui une palette de nouveaux intervenants: agences de publicité, agences médias, agences digitales, sociétés de production audiovisuelle, éditeurs de presse.

Pour tous ces acteurs, les plus directement concernés par la révolution digitale et confrontés à un réajustement permanent de leurs frontières légitimes d'action, le brand content agit comme un levier de diversification ou d'enrichissement d'offre.

 

Même le cinéma s'y met.
Le groupe MK2 vient de lancer MK2 Agency, une agence de production de contenus audiovisuels. «Dans une industrie du cinéma en pleine mutation, nous souhaitons faciliter l'accompagnement d'annonceurs en quête de ROI», affirme Elisha Karmitz, directeur général de la nouvelle structure.

Ce qui se concentrait pour l'essentiel entre des supports écrits, leur transposition sur des sites Internet et quelques développements audiovisuels a emprunté les formes les plus diverses autorisées par les techniques numériques: programmes courts et émissions TV, webséries, sites éditoriaux ou de services, applis mobiles, réseaux sociaux...

«Un même contenu peut être mis en forme différemment en fonction de son support de consultation, dans une logique de “responsive design”», commente Lucas Denjean, directeur du pôle projet d'Extrême Sensio.

Exemple avec toutlevin.com, portail de référence sur le monde viticole et les plaisirs vinicoles édité par le groupe Castel, premier producteur de vins français. Extrême Sensio l'a doublé d'une appli mobile et d'une déclinaison Ipad développant chacune des contenus spécifiques sur les accords mets-vins.

Le cas Red Bull est emblématique de ce qu'une marque peut construire lorsqu'elle s'en donne les moyens. Le fabricant autrichien de boissons énergétiques a profité de sa forte présence dans le monde des sports extrêmes pour littéralement préempter le territoire. Le dispositif laisse en effet peu de place aux impétrants: sponsoring d'une vingtaine d'événements sportifs, production d'émissions sur NBC Sport et Direct Star, édition d'un magazine (The Red Bulletin) titré à 4,6 millions d'exemplaires dans le monde et à 400 000 en France, en complément de l'Equipe, Web TV, chaîne You Tube (235 millions de vues), applis Ipad et Iphone.

Mais entre publicité, prise de parole, nouvelle expression corporate, qu'est-ce qui spécifie le brand content? «Remplir des espaces ne suffit pas. Encore faut-il savoir répondre à deux questions. Primo: comment renforcer l'engagement des consommateurs, des salariés, des partenaires? Deuzio: comment enrichir le territoire de la marque et de l'entreprise?», argumente Aurélie Boué, directrice de BETC Content, structure créée en mai 2011.

Pour Laurence Vignon, vice-présidente de Textuel-La Mine, il faut surtout distinguer le brand content des matériaux livrés dans le cadre de plans médias: «La différence se fait par la récurrence. Un vrai contenu de marque, c'est un rendez-vous identifié dans une périodicité réfléchie. Cela fait plus de dix ans que Leroy Merlin s'adresse au public avec les différentes déclinaisons de "Du Côté de chez vous".»

Au-delà des outils, les agences de communication éditoriale conservent une réelle légitimité. Elles ont la maîtrise de certains prérequis. Définir la finalité de la communication: s'agit-il de créer de l'affinité, de favoriser la préférence et la recommandation, d'asseoir une nouvelle légitimité commerciale? Définir le genre du contenu: s'agit-il de divertir, d'informer, de mobiliser? Définir le temps éditorial: à quelle cadence doit-on prendre la parole? Définir la ligne éditoriale: quel ton, quels mots, quels codes sémantiques doit-on adopter?

«Par opposition aux contenus traditionnels, le brand content ne peut plus être pensé en dehors de cette notion de partage et d'appropriation, parfois extrême, par le consommateur», avance Lucas Denjean d'Extrême Sensio.

Le brand content déporterait ainsi le centre de gravité de la communication au cœur d'une équation émission-réception. Avec une exigence accrue du public pour des contenus pédagogiques.

La deuxième vague du baromètre Ipsos-L'Agence de contenu confirme que les internautes sont en attente d'une information objective, affranchie de la référence produit. «Nous constatons une progression de l'intérêt pour les informations de fond, les interviews et les avis d'experts sur les sites de marques. 72% des internautes consulteraient davantage un site de marque si celui-ci proposait des informations de fond, et pas seulement des contenus commerciaux ou publicitaires», commente Rémy Oudghiri, directeur du département Tendances & Insights d'Ipsos Public Affairs.

«Les marques sont des médias en puissance. Comme un média, chaque site de marque a un positionnement, et comme un média, chaque marque possède une audience et un lectorat spécifique, en attente d'une information spécifique», défend Ava Eschwège, cofondatrice en mars 2010 de L'Agence de contenu.

L'émergence des médias sociaux a profondément modifié l'écosystème de la communication, désormais marquée par l'échange, l'appropriation et la réappropriation des contenus, la fameuse "conversation" entre les marques et leurs publics.

Dans contexte, jusqu'où la marque peut elle s'émanciper de ses propres produits? Quid par exemple d'un "co-brand content"? Car après tout, si l'on pousse assez loin la logique d'une objectivation du discours, qu'est-ce qui empêcherait deux marques, et pourquoi pas deux marques concurrentes, de s'associer autour de contenus communs, en tout cas diffusés sur un média partagé?

«On n'en est pas encore là, répond Laurence Vignon. Si rapprochements il doit y avoir, ils se feront d'abord dans une logique d'extension des audiences que par l'entée éditoriale.»

Jusqu'où le brand content peut-il porter l'objectivation du discours? Après un accident survenu dans une de ses usines, la compagnie Imperial Sugar Company, sur les conseils de l'agence News Strategies (anciennement The News Group Net) a lancé un site d'actualité sur l'industrie du sucre (http://www.iscnewsroom.com/), aujourd'hui perçu et consulté comme une source experte d'information sur le secteur.

«L'équipe de rédaction n'hésite pas à donner la parole à des experts indépendants, des concurrents... et même des détracteurs, comme l'American Heart Association», souligne Ava Eschwège.

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